Il y avait beaucoup d'autres projets, comme Atmea, un réacteur très prometteur de 1 000 mégawatts, arrêté dans les années 2011-2012. Il avait pour but de répondre à la demande des pays qui n'étaient pas intéressés par les très gros réacteurs, ces derniers étant privilégiés par EDF et par les électriciens allemands quand ils avaient encore l'autorisation de faire du nucléaire. Nous avons développé ce réacteur avec Mitsubishi Heavy Industries dans le but de faire du « Lego intelligent », en prenant le meilleur des deux pays. L'avantage pour Areva était de pouvoir construire au Japon tout en partageant les frais du développement.
Autre projet de développement : les petits réacteurs modulaires, dits SMR. Je pense depuis très longtemps qu'ils sont l'avenir du nucléaire, à côté des grands réacteurs de puissance. En effet, vous ne pouvez plus faire un acte sur un site nucléaire sans avoir l'autorisation préalable de l'autorité de sûreté du pays où vous travaillez, après lui avoir envoyé tous les détails. Or il s'avère que l'autorisation peut arriver au bout de plusieurs mois, voire plusieurs années – cela a pris deux ans et demi pour le site d'Olkiluoto. Pendant ce temps-là, vous ne pouvez pas faire ce que vous devez faire et l'ordre des facteurs sur un chantier devient totalement désordonné : vous devez payer les entreprises à être présentes et à ne rien faire, d'où les surcoûts considérables que l'on a connus. C'est une situation absolument dramatique. À l'inverse, les petits réacteurs modulaires sont construits en usine et assemblés sur site. L'autorité de sûreté fait des vérifications en usine, ce qui diminue beaucoup le caractère aléatoire sur site. Or, là encore, la décision française a consisté à mettre ce projet en sommeil, en 2010-2011, tandis que les États-Unis et la Chine ont continué à développer cette technologie. Les SMR sont un sujet stratégique pour l'avenir de notre industrie nucléaire.
Enfin, Astrid, réacteur de quatrième génération, est un peu la revanche du CEA après l'arrêt de Superphénix, dont on reprend la technologie tout en revenant aux basiques. Un observateur étranger m'avait demandé pourquoi nous retravaillions avec le CEA, qui n'avait pas construit de réacteur depuis cinquante ou soixante ans. C'est une objection valable : je pense que les industriels n'ont pas été suffisamment associés au projet Astrid et que nous aurions pu mener cette recherche à un niveau international – nous en avions d'ailleurs discuté avec les Japonais et les Indiens.
Pour résumer ces dix ou onze dernières années, je dirais que nous nous sommes peu à peu amputés de divers moyens. Je considère qu'il faut faire un diagnostic de la situation, en regardant froidement les choses, afin de décider si l'on passe cette technologie par pertes et profits ou bien si l'on redémarre l'industrie nucléaire.
Je voudrais terminer par un sujet largement esquivé dans le débat alors qu'il est fondamental. Depuis dix ans, pour vendre un réacteur nucléaire, il faut le financer. Ainsi, les Russes financent l'intégralité de la construction du réacteur qu'ils installent en Hongrie, et ils se rembourseront au moment où la centrale produira ; il en va de même pour les Américains en Pologne. Tous les pays offrent désormais cette prestation. La France, qui finance ainsi les Rafale, doit se demander si elle est prête à le faire pour des réacteurs, sous peine d'être à chaque fois en dehors du coup. L'industrie nucléaire suppose d'avoir non seulement une offre à proposer mais aussi un système environné.