Il s'agit d'une compétence qu'EDF estime ne pas avoir. Dans le nucléaire, nous ne fabriquons pas les équipements, nous faisons de l'ingénierie. Nous pourrions peut-être en faire également avec un autre acteur dans les énergies renouvelables, mais l'industrie européenne n'est malheureusement pas du tout développée dans ce secteur. EDF n'a jamais envisagé de prendre cette voie ; en revanche, l'éolien apporte à EDF, en tant qu'exploitant, un optimum économique, même si sa place dans le mix énergétique ne doit pas dépasser certaines limites : en effet, quand les conditions et le réseau le permettent, l'éolien est utile, et il importe qu'EDF participe à sa production. Pour développer du solaire et de l'éolien, il convient de restreindre les perturbations que les implantations des équipements induisent sur l'environnement. La filiale EDF Renouvelables dispose de réelles compétences en la matière, mais celles-ci ont trait à l'étude de l'environnement et non à l'ingénierie.
Les investissements ont en effet baissé en 2004, mais cette diminution n'a pas été imposée par l'État. En continuant à construire cinq centrales par an, nous nous sommes retrouvés avec trop de centrales dans les années 1990 ; voilà pourquoi EDF a pris cette décision, seule et sans aucun ordre du gouvernement, de ralentir les investissements. Cependant, l'entreprise a oublié les investissements nécessaires à la maintenance, ceux-ci s'imposant après dix ou quinze ans de service d'une centrale – lorsque celle-ci a moins de dix ans, les frais de maintenance sont faibles. En revanche, j'avais constaté que d'autres outils comme l'hydraulique n'avaient pas bénéficié d'investissements depuis longtemps, et mes successeurs ont maintenu la tendance.
Votre question sur l'organisation à Flamanville est bonne. EDF n'avait pas construit de centrales depuis presque vingt ans, donc la compétence d'ingénierie avait sans aucun doute baissé. Quand EDF a construit ses premières centrales, elle a reproduit le modèle des centrales états-uniennes Westinghouse. Plus tard, EDF et Framatome ont adapté ensemble le modèle, notamment en augmentant la puissance. Les premières centrales, celles de Westinghouse, fournissaient une puissance électrique de 900 mégawatts ; nous l'avons portée à 1 200, puis à 1 300 mégawatts avant d'atteindre 1 500 mégawatts avec l'EPR. Nous avons également modifié quelque peu le design. EDF a bien tenu le rythme de construction des centrales. Les équipes ont dû se dire que puisqu'elles avaient réussi à passer de 900 à 1 200 mégawatts puis de 1 200 à 1 300, elles parviendraient à atteindre de la même façon 1 500 mégawatts. Il n'en a rien été. L'EPR est historiquement issu d'une association entre Siemens, Areva, EDF et les autorités de régulation française et allemande. Ces structures ont travaillé pendant dix ans au développement d'un consortium franco-allemand pour l'EPR. Pour faire converger les idées parfois divergentes des autorités de sûreté française et allemande et des équipes d'ingénierie, on a rajouté des éléments qui ont rendu l'outil beaucoup plus complexe que ses prédécesseurs, processus dont les conséquences ont été sous-estimées. Les représentants d'EDF vous expliqueront qu'ils essaient, pour les prochaines générations de réacteurs, d'élaborer un EPR simplifié.
Quand EDF fabriquait cinq centrales par an, il y avait trente chantiers nucléaires en France, puisque la construction d'une centrale durait au moins six ans. Les agents passaient d'un chantier à l'autre et avaient des compétences très pointues. Là, on a construit un réacteur à Flamanville – comme l'a dit l'un d'entre vous, on aurait sans doute dû en produire un deuxième car cela aurait coûté moins cher. Néanmoins, des progrès ont été accomplis grâce à l'expérience de Flamanville : nous avons rencontré moins de difficultés à Taishan et nous serons encore plus performants à Hinkley Point au Royaume-Uni.
Vous avez dit que tout le monde avait rencontré des problèmes avec l'EPR : c'est vrai, mais ils n'ont pas tous été de même ampleur, et c'est là que l'expérience commence à porter ses fruits. La construction de Taishan a été beaucoup plus rapide que celle de Flamanville. C'est moi qui ai signé avec les Chinois la construction de ces réacteurs : je leur avais dit qu'ils allaient bénéficier du retour d'expérience de Flamanville, car le réacteur français entrerait en service avant la fin de leur chantier. En fait, les Chinois ont tellement bénéficié du retour d'expérience que leurs réacteurs sont entrés en service avant celui de Flamanville. La centrale de Taishan fonctionne même si certains problèmes ont été relevés au démarrage, mais il en va ainsi de tous les nouveaux projets. L'EPR d'Olkiluoto a rencontré un obstacle qui n'avait rien à avoir avec le nucléaire, mais, à ma connaissance, la centrale finlandaise comme la chinoise sont en service.
La France et les États-Unis disposent d'une structure indépendante chargée de veiller à la sûreté du parc nucléaire, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en France et la Nuclear regulatory commission (NRC) – ou commission de régulation – aux États-Unis. Tous les pays disposant de centrales nucléaires comptent de tels organismes. Il importe que ceux-ci soient totalement indépendants et reconnus comme tels. Il me semble que vous serez d'accord avec moi pour dire que c'est le cas en France : l'ASN est reconnue comme indépendante, donc l'opinion publique lui fait confiance. C'est essentiel ! Il s'agit de la condition sine qua non à l'acceptabilité du nucléaire. Il en va de même dans l'aéronautique : on accepte de monter dans un avion parce qu'on a le sentiment qu'il est sûr.
La philosophie de l'ASN et de la NRC diffère sur un point majeur. Aux États-Unis, on considère, comme pour l'aéronautique, que, pour fonctionner, une centrale nucléaire doit être conforme à ce qu'elle était le jour de son approbation ; s'il y a des usures, il faut les corriger, mais on ne lui demande pas d'intégrer les innovations apparues en matière de sécurité depuis son entrée en service ; un Boeing 747 datant de cinquante ans n'a subi aucune modification depuis l'autorisation qu'il a reçue pour voler, même si les nouveaux avions sont plus sûrs. La conception états-unienne repose sur la conviction que chaque innovation s'accompagnant d'un risque, il ne faut pas intégrer de nouveautés aux centrales qui fonctionnent.
C'est différent en France, où l'on demande d'incorporer un certain nombre d'éléments d'amélioration de la sûreté dans les centrales existantes.
Je ne connais pas le dossier actuel, mais l'un des débats entre EDF et l'ASN doit concerner les améliorations qui doivent être apportées. Ce qui n'est pas le cas aux États-Unis, où il a été décidé de prolonger à l'identique.