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Intervention de Christophe Bentz

Réunion du mercredi 14 décembre 2022 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Bentz, rapporteur :

Depuis plusieurs mois, le pouvoir d'achat des Français est frappé par une inflation en hausse, qui s'ajoute aux conséquences délétères des politiques menées depuis des décennies. En novembre 2022, les prix à la consommation avaient augmenté de 6,2 % sur un an, et les prévisions sont pessimistes.

Cette proposition de loi vise à agir sur le salaire, grand oublié des politiques des gouvernements successifs, et à apporter une réponse efficace pour contrecarrer l'appauvrissement de nos concitoyens, grâce à une mesure de bon sens, dans une conjoncture économique, malheureusement durable. L'augmentation générale des prix étant supérieure à celle des salaires, nous proposons un dispositif supplémentaire, complémentaire à ceux en vigueur.

Face à cette situation, le Gouvernement nous a soumis, l'été dernier, un texte portant sur le pouvoir d'achat, certes pas inutile – notre groupe l'a d'ailleurs voté –, mais bien en dessous des enjeux et attentes légitimes des Français. La Première ministre et le ministre de l'économie ont d'ailleurs reconnu les limites de l'action gouvernementale en exhortant les entreprises « qui le pouvaient à augmenter les salaires ». Une telle déclaration, en période de crise, est un aveu d'échec du Gouvernement, qui se limite à des mesurettes sur le pouvoir d'achat, se refusant à s'attaquer aux salaires, seul chantier susceptible d'augmenter significativement le pouvoir d'achat de millions de Français.

Il est grand temps de mettre en place un dispositif réellement incitatif, qui valorise le travail et le rémunère à sa juste valeur. Cette proposition de loi vise donc à offrir à nos entreprises un nouveau dispositif qui les incite à augmenter les salaires de 10 %, grâce à l'exonération des cotisations patronales sur cette augmentation, cela pour une durée de trois ans. Cette mesure sociale urgente permettra de soutenir les salariés, sans pénaliser les entreprises et sans coût pour l'État.

La majorité présidentielle a institué la prime de partage de la valeur, qui remplace la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, exonérée de cotisations patronales jusqu'à 6 000 euros, dans certaines conditions. Nous avions voté pour ce dispositif, bien que peu convaincus par son efficacité, parce qu'il vaut mieux une solution imparfaite pour les Français que pas de solution du tout. Il apparaît d'ores et déjà que l'attribution des primes ne sera pas à la hauteur des attentes en matière de hausse de revenus : la prime moyenne versée depuis 2019 s'élève à seulement 550 euros pour environ 5 millions de bénéficiaires, soit un gain de 45 euros par mois pour un tiers des salariés du secteur privé. Si l'on rapporte cette augmentation au salaire moyen des Français, qui s'établit à 2 500 euros, cela représente une augmentation de seulement 1,8 %, contre une inflation de plus de 6 %. Et c'est sans compter avec les effets de substitution entre salaires et primes, qui sont et seront malheureusement bien réels. Une prime n'est pas prise en considération dans le calcul d'une pension de retraite, d'une demande de prêt ou lorsqu'il s'agit de louer un logement. Ce qui compte aujourd'hui, pour vivre dignement de son travail, c'est d'abord le salaire de base et non une rémunération bricolée, qui intègre primes, allocations et avantages en nature.

Point positif, cependant, cette prime ne coûte pas un centime d'argent public, comme le démontre l'étude d'impact du projet de loi sur le pouvoir d'achat, qui indiquait que les sommes versées n'étant pas considérées comme des recettes prévues, elles ne constituent pas une diminution des ressources pour la sécurité sociale. J'anticipe ainsi les reproches qui pourraient nous être faits : notre dispositif répond à cette même logique, puisque ce n'est pas une charge pour l'État, mais seulement un manque à gagner. Il concerne en outre tous les salaires jusqu'à trois fois le Smic et profitera donc à près de 90 % des salariés. C'est la raison pour laquelle nous avions estimé que l'augmentation du Smic, proposée par la gauche, n'était pas la plus adaptée, d'autant que celui-ci est indexé sur l'inflation. Cette mesure ne répondait pas à l'enjeu global, excluait les classes moyennes et pesait lourdement sur les entreprises de taille modeste.

On constate en effet un décrochage du niveau de rémunération de toutes les catégories socioprofessionnelles, en particulier des classes moyennes dont la renégociation des salaires n'a pas permis de suivre le cours de l'inflation. Quant à la négociation collective, elle peine à être à la hauteur des enjeux, avec des hausses de salaires comprises entre 2,5 à 3,5 %, en 2022. C'est pourquoi nous proposons la mise en place d'un nouvel outil, qui s'inspire de l'existant tout en étant adapté à la situation d'urgence que nous connaissons.

Tout d'abord, les allégements de cotisations mis en place ces trente dernières années ont favorisé la création d'emplois, mais pas nécessairement la valorisation des salaires. Notre dispositif, qui a vocation à être temporaire, s'inspire de cette logique en la recentrant sur les difficultés des classes populaires et moyennes, c'est-à-dire sur la stagnation de leurs salaires qui, dans le contexte inflationniste, se traduit par une perte de pouvoir d'achat. En exonérant de cotisations patronales une majoration salariale appliquée à l'ensemble de l'entreprise, notre dispositif vise à diminuer les effets de seuil liés au régime actuel de cotisations et d'exonérations. Aujourd'hui, lorsqu'un employeur souhaite augmenter de 10 % le salaire net d'un salarié au Smic, cette majoration entraîne une hausse de 18 % de ses coûts salariaux. Concrètement, quand le salaire net de l'employé augmente de 130 euros par mois, l'employeur est redevable de 150 euros de cotisations patronales supplémentaires, soit un taux de 91 % de cotisations sociales appliqué à la hausse du salaire brut. Au-delà des effets de seuil liés aux exonérations actuelles, toute majoration salariale est soumise au taux normal de cotisations patronales, qui atteint environ 37 % entre 1,6 et 2,5 Smic et 41 % entre 2,5 et 3,5 Smic. Ce qui peut dissuader les employeurs d'augmenter les salaires dans un contexte économique incertain.

Par ailleurs, aux termes de notre proposition de loi, l'exonération de cotisations serait conditionnée à la signature d'un accord d'entreprise portant sur une majoration de tous les salaires inférieurs à trois fois le Smic. Je le répète, ce sont près de 90 % des salariés du secteur privé qui sont concernés par cette mesure.

Enfin, cette majoration salariale doit être substantielle, alors que l'inflation n'a jamais été aussi élevée depuis quarante ans. Aussi les entreprises devront-elles garantir au moins 10 % de hausse de salaires pour obtenir l'exonération. Si l'ensemble des employeurs du secteur privé s'en saisissaient, cette mesure permettrait de redistribuer 45 milliards d'euros de salaires supplémentaires à plus de 15 millions de salariés. L'exonération permettra de réduire de 16 milliards d'euros le coût supporté par les entreprises, soit un quart du coût de la hausse des salaires, en se fondant sur le niveau actuel des cotisations. En rétablissant ainsi une dynamique des salaires qui compense la perte de pouvoir d'achat subie par l'ensemble des salariés, cette proposition de loi assurera une juste rémunération du travail sur le long terme.

À la suite des auditions menées, des contributions reçues et du travail de préparation, je vous proposerai des amendements pour ajuster et parfaire le dispositif. Compte tenu du calendrier d'examen du texte et des nouvelles exigences de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, je vous proposerai de le limiter à trois années, à compter du premier juillet 2023. S'il se révèle efficace, il sera possible de le faire évoluer dans une nouvelle loi de financement de la sécurité sociale.

Outre des ajustements rédactionnels permettant de préciser que la majoration salariale sera bien calculée à partir des salaires effectivement pratiqués dans les entreprises à l'ouverture des négociations sur l'accord prévu par la proposition de loi, je vous proposerai d'évaluer le dispositif, en demandant au Gouvernement un rapport analysant sa mise en place au regard du régime actuel de cotisations patronales et d'exonérations.

Au-delà de la situation d'urgence dans laquelle nous nous trouvons, il est important de bien intégrer les nouveaux dispositifs à ceux existant déjà. La méthode que nous poursuivons avec cette proposition de loi est celle de l'incitation des entreprises, par des mécanismes éprouvés mais recentrés sur la question essentielle des salaires, la seule à même de répondre à la fois à la nécessité de mieux rémunérer le travail et à la crise du pouvoir d'achat.

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