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Intervention de Emmanuel Taché de la Pagerie

Réunion du mercredi 14 décembre 2022 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuel Taché de la Pagerie, rapporteur :

Le constat est sans appel : sur les 145 homicides recensés au sein du couple en 2021, 122 sont des féminicides ; 159 400 plaintes ont été déposées pour violences conjugales en 2020, et étaient en augmentation de 14 % en 2021. Cette situation infernale nous oblige en tant que législateurs aussi bien qu'en notre âme et conscience de femmes et d'hommes.

La proposition de loi créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales, dont l'entière maternité revient à notre collègue sénatrice Valérie Létard, elle-même travailleuse sociale, est une réelle occasion d'avancer. Adoptée à l'unanimité par le Sénat en octobre dernier, elle a pour ambition d'instaurer une avance que les caisses d'allocations familiales (CAF) accorderaient dans un délai exceptionnel de soixante-douze heures. À l'issue des auditions menées conjointement avec Béatrice Descamps, il nous est apparu judicieux de la voter conforme et en l'état. Dans l'esprit de sagesse qui a animé nos collègues sénateurs, il serait bon de l'aborder de façon transpartisane, consensuelle et coconstructive, dans le seul objectif de répondre rapidement à un problème crucial, devenu intenable en 2022.

Depuis 2017, le Président de la République a fait des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes une grande cause de ses quinquennats, et a lancé en 2019 le Grenelle contre les violences conjugales. Malgré la qualité du travail des ministères tutélaires – en particulier ceux d'Isabelle Rome et de Jean-Christophe Combe, avec lesquels nous avons eu de fructueux échanges –, nous sommes pourtant loin des objectifs fixés. Avec les crises sanitaire et sociale, les violences conjugales, notamment celles faites aux femmes, ont atteint un niveau insupportable. Lors des deux confinements liés à la covid-19, les violences sexistes et sexuelles concernaient 69 % des appels de victimes, ces situations de harcèlement, de contrôle mental et de violences se retrouvant dans l'ensemble de la société.

Les violences au sein du couple, du foyer ou par d'anciens partenaires ont des conséquences sociales et psychologiques qui nécessitent une réponse structurelle, matérielle et législative. Ce texte a pour objet d'extraire les victimes des griffes de leurs bourreaux, en lien avec les travailleurs sociaux. Pour 59 % d'entre elles, la nécessité de quitter le domicile est réelle ; seules 18 % le quittent avant d'y revenir. En dehors de l'oppression psychologique, le manque de ressources financières ou d'accès à ces ressources constitue le frein majeur au départ définitif. Le nombre des victimes de violences conjugales est ainsi supérieur à la moyenne chez les étudiants, les chômeurs, les inactifs non retraités, notamment les femmes au foyer, nombreuses à ne pas disposer de leur propre compte bancaire. Dans ce contexte, un départ est impossible.

La victime ayant souvent charge d'âme, les enfants entrent également en ligne de compte dans les violences économiques associées aux violences conjugales. Le contrôle financier peut aller jusqu'à la dépossession totale des moyens d'autonomie de la victime – cela a été montré lors d'un colloque consacré à la lutte contre les violences économiques au sein du couple, organisé en 2020 par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, à laquelle Béatrice Descamps et moi-même appartenons. Ces violences se prolongent après la séparation, notamment par le non-versement des pensions alimentaires. Le Gouvernement a répondu à ce problème en créant un dispositif de recouvrement par la CAF d'une pension alimentaire non versée.

Avec la présente proposition de loi, il s'agit, non pas de travailler dans l'urgence, mais de répondre à l'urgence. Les amendements déposés témoignent de la volonté de chacun de s'associer activement et positivement à son adoption. De son côté, le Gouvernement pourrait reprendre, dans le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023, la proposition d'examiner l'intérêt à ce que les caisses de Mutualité sociale agricole (MSA) procèdent, aux côtés des CAF, au versement de l'avance d'urgence en faveur des victimes de violences conjugales.

Ce texte nous offre la possibilité d'avancer concrètement ensemble. Nos engagements politiques prennent racine dans notre intimité : si, il y a trente ans, ma mère avait bénéficié de cette aide, le chemin de sa résilience aurait certainement été plus court et plus serein.

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