Intervention de Pierre Meurin

Réunion du mercredi 14 décembre 2022 à 9h35
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Meurin, rapporteur :

Cette proposition de loi vise à supprimer les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m).

Je commencerai par un propos philosophique, car ce sont les grandes idées qui sous-tendent les actions politiques concrètes. Lors de l'audition de l'Agence de la transition écologique (Ademe) et des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa), un représentant de l'Ademe m'a dit : « Les énergies fossiles nous ont donné des possibilités quasiment illimitées. Il sera difficile de trouver des solutions alternatives du même niveau. »

Les ZFE-m, comme le concept de sobriété énergétique, reposent sur l'idée de décroissance. Ce pessimisme scientifique et technologique revient à dire : il faut revenir en arrière pour le climat et la santé, car nous ne pourrons pas inventer le « mieux demain ». Cette logique intellectuelle, poussée à l'extrême, conduirait à une glaciation sociale : il faudrait ne rien faire pour ne pas prendre de risque.

La traction humaine des véhicules n'est-elle pas plus conforme à la transition écologique que la traction mécanique ? Il faut toujours pousser jusqu'au bout un raisonnement pour en déceler les conséquences ! Sous couvert de belles et grandes idées, on commet parfois les pires erreurs politiques. L'enfer est pavé de bonnes intentions. Dans cette logique, on oublie de croire en la science, dans la technique, dans le progrès et donc dans le développement de la société. On oublie de croire que demain sera mieux qu'aujourd'hui. On oublie d'investir pour l'avenir.

Les ZFE-m, qui rétablissent de facto une sorte de péage urbain, relèvent précisément de cette logique intellectuelle décroissante. Puisque la voiture est polluante, l'automobiliste pollue et ne doit donc plus rouler. Peu importe qu'il ne dispose d'aucune alternative plus propre pour se déplacer, il faut le verbaliser dès 2025. Entre 13 millions et 17 millions de véhicules seront concernés par cette interdiction de circuler d'ici deux ans.

Nous sommes face à une pyramide à l'envers, qui inverse la progressivité des court, moyen et long termes. Pour notre part, nous souhaitons faire en sorte que d'autres solutions émergent, que les Français privilégient l'intermodalité et qu'ils en viennent naturellement à utiliser de moins en moins leur voiture.

Les ZFE-m sont un dispositif qui ne tient pas ses promesses et a tout de la fausse bonne idée. Je vous propose donc d'envisager d'autres pistes, socialement acceptables et opérantes sur les plans climatique et sanitaire.

Nous voulons une écologie sociale, consensuelle et partagée entre les Français et les territoires, non une écologie punitive, que je qualifierai de séparatiste, opposant, d'un côté, les métropoles, qui ont absorbé et concentré les transports, les commerces, les professionnels de santé et les services publics, et, de l'autre, les zones rurales qui ont vu peu à peu se réduire l'ensemble de ces offres.

Entre 1920 et 2020, le maillage ferroviaire de notre pays a été amputé de 40 000 kilomètres. Tous les élus des zones rurales connaissent ces voies ferrées abandonnées, qui font partie du paysage. Ce long mouvement de fermeture des petites lignes populaires du quotidien, qui permettaient aux Français d'aller travailler dans de bonnes conditions, a conduit à l'explosion du trafic routier. Alors que tout a été fait pour le démultiplier, il faudrait maintenant le supprimer sans délai.

La dévitalisation des villages et l'éloignement progressif de tous les transports publics, des services de santé et des commerces au profit des métropoles ont entraîné un allongement des trajets en voiture, en particulier pour les Français les plus modestes, que le prix de l'immobilier dans ces métropoles a conduits à un exode vers les zones plus rurales. Pour eux, la voiture est devenue un outil de survie.

Dès 2025, lorsque les premières verbalisations automatiques seront opérées, les ZFE-m marqueront la deuxième phase du séparatisme. Après avoir été écartés des logements métropolitains, les plus modestes ne pourront plus pénétrer dans ces territoires, même pour le travail. Les ZFE-m feront de ces Français, qui sont déjà les oubliés de la mondialisation, les oubliés et les exclus de la métropolisation.

Les enjeux sanitaires sont bien plus globaux que le simple chiffre de 40 000 morts par an du fait de la pollution de l'air aux particules fines et aux oxydes et monoxydes d'azote. En trente ans, l'écart d'espérance de vie entre les métropolitains et les ruraux est passé de trois mois à plus de deux ans, au profit des métropolitains.

Nous aimerions tous qu'il n'y ait aucun mort de la pollution, comme nous aimerions aussi qu'il n'y ait, par exemple, aucun mort lié à la désertification médicale. Or celle-ci conduit les Français les plus modestes, dans les zones rurales, à ajourner, voire à renoncer à l'accès aux soins, ce qui entraîne des évolutions pathologiques irréversibles. Savez-vous que l'excès de sel provoque 1,5 million de morts dans le monde ? En nous appuyant sur la même logique que les ZFE-m, nous pourrions en interdire la vente, afin de ne prendre aucun risque.

Tous les paramètres ne rentrent pas dans les cases d'un tableau Excel produit par un ministère ou dans une diapositive de PowerPoint. Je voudrais en citer un, qui relève des sciences humaines, trop souvent sacrifiées sur l'autel des sciences dures et de la data. Depuis la crise des gilets jaunes, les automobilistes et les Français des zones rurales se sentent stigmatisés, culpabilisés et infantilisés. Le contrat social devrait se fonder sur une adhésion la plus large possible à un enjeu qui relève du bien commun. Or le sentiment de stigmatisation et de culpabilisation entraîne un rejet de la transition écologique par des millions de Français qui ont l'impression qu'elle se fait sans eux, et surtout contre eux. Ces éléments sont à prendre en considération pour que la politique redevienne enfin une science humaine, un art de trouver le bien commun précisément en commun.

Plus concrètement, les ZFE-m sont instituées et organisées selon des critères contestables. Les vignettes Crit'Air sont liées à l'ancienneté du véhicule, alors qu'une Clio Campus Crit'Air 3 pollue quatre fois moins qu'un SUV Range Rover pourtant Crit'Air 1. La mesure des particules fines est effectuée par rapport au système d'échappement de la voiture, alors que les émissions de particules fines liées au freinage et à l'usure des pneus sont 2 000 fois plus importantes – une idée intéressante serait de fluidifier le trafic dans les métropoles pour limiter les coups de frein. La prime à la conversion est impossible à mettre en œuvre et coûterait des milliards d'euros aux contribuables. Les ZFE-m risquent de mobiliser des milliers d'agents pour les constats d'infractions. Comme le matériel vidéo n'a pas été budgété et que les ressources humaines ne sont pas disponibles, la mesure pourrait être inapplicable, en plus d'être antisociale. J'ai eu cet échange avec le vice-président de Rouen Métropole, pourtant issu du mouvement Europe Écologie-Les Verts. En tant qu'élu de terrain, il est plus que sceptique sur l'efficacité du dispositif, dont il a déjà observé les limites. Par effet de ricochet, des artisans et professionnels pourraient être amenés à refuser des clients et des chantiers dans les périmètres couverts par des ZFE-m.

Les auditions pour ce texte, tout comme la mission flash de la commission, ont fait ressortir tous ces problèmes, qui sont trop nombreux pour donner lieu à des adaptations ou pour créer une usine à gaz de dérogations et d'aides. Il faut tout reprendre à zéro et refondre l'ensemble du système, car les élus locaux, comme les Français, n'y comprennent plus rien. Or nous avons un devoir de clarté et d'intelligibilité de la loi.

Notre proposition de loi est en grande partie une réponse à la conclusion de la mission flash menée pour notre commission par MM. Millienne et Leseul : «  Le déploiement des ZFE-m soulève des questions majeures d'acceptabilité et de justice sociale, qu'il nous faut anticiper dès à présent. Il est urgent que notre commission se saisisse pleinement du sujet ».

À travers cette proposition de loi, je vous propose de le faire en supprimant les ZFE-m, en encourageant doucement et avec pédagogie les Français à passer d'une voiture des années 2000 à une voiture des années 2010, en améliorant l'entretien des moteurs par le décalaminage et en préparant l'intermodalité de demain, sans idéologie et dans une logique de coconstruction.

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