Je suis très heureux de venir pour la première fois devant la délégation aux droits des enfants de l'Assemblée nationale. Je salue la création de ce formidable outil pour faire avancer les choses, en particulier la cause de la protection de l'enfance. C'est l'aboutissement d'un engagement total de nombreux députés, dont la présidente de l'Assemblée nationale, vous-même, madame la présidente, notre ami Erwan Balanant et tant d'autres.
L'enfance a été placée par le Président de la République au nombre des priorités du nouveau quinquennat. La prise en compte du droit des enfants est au cœur de la feuille de route du Gouvernement. Le ministère de la justice participe bien sûr à la défense et à la promotion des droits des enfants.
La justice des mineurs s'exerce au quotidien sur l'ensemble du territoire, pour la protection de l'enfance comme pour la prévention de la délinquance. Il est absolument primordial de réaffirmer la spécificité et l'importance d'une justice de qualité en la matière.
Pour mener l'ensemble de ses missions, le ministère de la justice bénéficiera l'année prochaine, grâce à vous, d'une nouvelle hausse de plus de 8 %, pour la troisième année consécutive. Son budget pour 2023 permettra notamment de donner à la justice des mineurs des moyens à la hauteur de sa mission et pour son avenir, en valorisant les compétences et l'action de chacun des professionnels du monde judiciaire. Ce sont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers qui seront recrutés au cours du quinquennat, soit davantage en cinq ans que pendant les vingt dernières années.
Les chantiers actuels du ministère concernant la justice des mineurs sont nombreux, en matière tant pénale que civile.
En matière pénale, nous avons fêté le 30 septembre le premier anniversaire de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs (CJPM), qui modifie en profondeur la procédure pénale applicable aux mineurs. Plusieurs de ses objectifs sont déjà atteints et les résultats sont probants.
Les délais de jugement ont ainsi été divisés par deux, passant de plus de 18 mois à 9,1 mois en moyenne au niveau national. Le nombre de mineurs incarcérés a diminué et la part de ceux placés en détention provisoire est nettement en baisse. Je salue l'engagement de tous les magistrats, greffiers et éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) dans la mise en œuvre de cette réforme indispensable. Cette justice plus rapide permet également aux victimes d'être mieux entendues et mieux considérées ; ce n'est pas à vous que j'ai besoin de dire combien c'est primordial.
Je reviendrai prochainement devant le Parlement pour dresser un bilan plus exhaustif de la réforme de la justice pénale des mineurs, en liaison avec la mission d'évaluation en cours, pilotée par Jean Terlier et Cécile Untermaier.
En matière civile, je veux saluer la promulgation de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dont Michèle Peyron était la rapporteure et qui a complété les mesures de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance. Elle améliore la prise en charge des mineurs non accompagnés et renforce l'accompagnement des jeunes majeurs. Désormais, un avocat est présent auprès du mineur chaque fois que son intérêt le réclame.
Un pilotage clair de la politique publique de protection de l'enfance est très attendu de nos concitoyens. Il est indispensable que les départements, dont c'est la compétence première, dialoguent plus étroitement avec l'institution judiciaire. J'ai d'ailleurs reçu récemment, dans le cadre d'un échange très constructif avec l'Assemblée des départements de France (ADF), son président, François Sauvadet.
La place de la justice dans la protection de l'enfance est évidemment essentielle. Le travail des 522 juges des enfants sur ces questions se fait avec tous les acteurs publics et – ne les oublions pas – ceux du monde associatif.
Le comité interministériel de l'enfance s'est réuni pour la première fois le 21 novembre à l'hôtel Matignon. Il vise trois objectifs principaux : lutter contre les violences faites aux enfants, garantir l'égalité des chances aux enfants et aux jeunes, agir pour le développement et l'avenir de tous les enfants, en impliquant plusieurs ministères – santé, éducation nationale, intérieur, collectivités territoriales et, bien sûr, justice.
Afin de renforcer l'action pénale et judiciaire contre les auteurs de violences faites aux enfants, les premières préconisations de la Ciivise sont en cours d'expertise dans le but d'apporter des solutions concrètes le plus rapidement possible. D'ici à la fin du mois, je prendrai une circulaire à cet effet, spécifiquement dédiée à la lutte contre les violences faites aux enfants, pour faire de celle-ci un enjeu prioritaire d'envergure similaire à celle de la lutte contre les violences conjugales.
Pour lutter contre la prostitution des mineurs, des actions en vue d'améliorer le repérage et de lutter contre les réseaux seront menées en liaison avec les services du ministère de l'intérieur.
Le ministère de la justice s'investit également dans des actions destinées à garantir l'insertion professionnelle et sociale des enfants les plus fragiles en construisant des partenariats rénovés avec les armées et les entreprises, afin qu'aucun enfant ne soit laissé sur le bord du chemin. L'insertion est l'une des clés pour préserver la cohésion de notre pays.
Mon ministère est encore moteur, aux côtés d'autres ministères, concernant les réflexions sur la protection des enfants dans le champ numérique, au niveau national et international, notamment en matière de contenus à caractère pornographique.
Mieux protéger les enfants, c'est aussi les empêcher d'avoir accès à des visuels trop violents, inadaptés à leur âge et à leur maturité, et dont je pense qu'ils suscitent une grande violence, donc la montée en puissance d'un certain type de délinquance. Ce travail est mené au niveau interministériel sous l'égide du ministère de la culture, avec l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique).
À l'échelon européen, des travaux sont en cours dans le cadre de la prévention et de la lutte contre les abus sexuels sur les mineurs. Le règlement dit ASM ou, en anglais, CSA (Child Sexual Abuse) est en préparation. Le texte européen est suivi à titre principal par le ministère de l'intérieur, mais il l'est aussi, avec beaucoup d'attention, par le ministère de la justice. Pour lutter contre la pédopornographie en ligne, la Commission européenne propose, d'une part, la création d'un centre européen de prévention et de lutte contre les abus sexuels sur mineurs et, d'autre part, de renforcer la réglementation en la matière. Il s'agit en particulier de durcir les obligations générales des fournisseurs de services en ligne et de définir des obligations plus ciblées de détection, de retrait, de blocage et d'identification des contenus, sous la responsabilité d'autorités nationales de coordination.
Pharos, la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements, fonctionne bien ; nous souhaitons conserver cet outil et le renforcer.
Pour mieux prendre en charge les enfants victimes, nous développons un dispositif d'accompagnement tout au long du processus pénal. Il commence par un passage à l'Uaped ; nous en avons soixante-quinze ; courant 2023 et en 2024, chaque département sera doté d'une telle structure. Comme vous, madame la présidente, j'en ai visité ; il s'y accomplit un travail d'excellence, une prise en charge pluridisciplinaire – sanitaire parfois, médicale, médico-légale, psychologique, psychiatrique, sociale, judiciaire.
Vous avez évoqué la retranscription des procès-verbaux. La difficulté que pose le fait de ne pas retranscrire est la suivante : comment communique-t-on alors le document aux autres parties ? Comment s'exerce le contradictoire ? Ces questions procédurales sont importantes. Si tout le monde a la même chose, on peut commencer à discuter : on y travaille, on y réfléchit.
Les associations d'aide aux victimes sont spécialisées dans l'intervention au côté des mineurs. On a beaucoup parlé de spécialisation des juridictions en ce qui concerne les violences faites aux femmes. On peut mettre beaucoup de choses dans cette notion de spécialisation ; en tout cas, cela implique davantage de formation et un accompagnement particulier pour les enfants, ce qui est indispensable.
Je souhaite évidemment développer la fonction d'administrateur ad hoc. Mais ce nom, pour les gamins, n'est pas très joli et ne veut pas dire grand-chose. J'ai pensé à cette appellation que je vous soumets à des fins de coconstruction : parrain judiciaire. Elle serait plus compréhensible par un petit. Si vous avez d'autres idées, je suis preneur. On ne se voit pas dire à un gamin de 6 ans « tu vas rencontrer ton administrateur ad hoc ». C'est un détail, mais les détails sont importants.
Le chien d'assistance judiciaire est une vieille idée qui nous vient de Cahors, où l'un des magistrats du parquet souhaitait développer ce dispositif. Votre collègue Huguette Tiegna s'est beaucoup impliquée dans ce dossier. La présence du chien est censée permettre à l'enfant de mieux appréhender le procès qui s'ouvre ; elle agit un peu comme un doudou – on caresse l'animal, on se réfugie auprès de lui. À l'Uaped, j'ai vu qu'un enfant peut garder le silence, plus confortable que les mots, mais donner à voir le traumatisme par son langage corporel. Le chien permet en partie de s'en libérer.
Nous y travaillons depuis longtemps, pour régler la question du dressage. On ne peut pas placer immédiatement les chiens auprès des enfants ; il ne faut pas qu'ils aboient pendant les interrogatoires, par exemple. Ces petits détails ont un coût. Combien de temps le dressage doit-il durer ? Pour un chien d'aveugle, c'est plus de deux ans. Ici, on n'a pas besoin d'un dressage poussé à ce point : il faut que le chien soit calme, réponde à un certain nombre d'ordres, ne soit pas timide, soit gentil.
Le travail avance vite ; je ferai très prochainement des annonces. Je souhaite un déploiement beaucoup plus large de ce dispositif, car la chaleur et le réconfort apportés par l'animal apaisent beaucoup les victimes et permettent aux petits de revenir plus facilement sur les faits qu'ils ont subis. C'est donc un outil de plus au service des victimes que je veux mettre à la disposition des juridictions. Nous avons déjà dix chiens d'assistance judiciaire, pour 164 TGI (tribunaux de grande instance). Je travaille en particulier avec la SPA (Société protectrice des animaux) sur ces questions.
Il faut que la justice rassure l'enfant. Je présenterai donc prochainement le dispositif d'accompagnement du mineur victime tout au long du processus pénal. Les Uaped, situées au sein même des hôpitaux, sont spécialement équipées en matériel de soin et d'enregistrement audiovisuel pour capter la parole du mineur, mais aussi son image quand il a du mal à exprimer les choses – les silences sont parfois très éloquents. L'enregistrement est réalisé aux fins d'enquête ; des professionnels du judiciaire et de la santé, de la protection de l'enfance, se déplacent au chevet, si j'ose dire, du mineur victime. En outre, il y a parfois déjà des chiens d'assistance judiciaire dans les Uaped, mais aussi dans les juridictions, en phase de jugement. Ils font partie de l'accompagnement : l'idée est de les retrouver du début à la fin de la procédure.
La question des sanctions pénales contre les auteurs de violences faites aux enfants est primordiale. Je souhaite que le juge pénal statue systématiquement.
En ce qui concerne le maintien de l'autorité parentale quand c'est un parent qui agresse son enfant, et sa suspension avant une condamnation, il faut être extrêmement prudent, en raison des risques constitutionnels – les règles constitutionnelles ne sont pas superfétatoires à nos yeux – et d'instrumentalisation – les juridictions en ont fait l'expérience. Je suis donc favorable à ce qu'une telle suspension intervienne en cas de poursuites par le procureur de la République en liaison avec le juge aux affaires familiales (JAF). Cette évolution nécessitera un vecteur législatif, auquel je serai ravi de travailler avec votre délégation.
Protéger les enfants, c'est aussi leur permettre de connaître leurs droits afin qu'ils sachent comment les faire valoir. Les présidents de tribunaux judiciaires, présidents des conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD), mènent des actions concrètes de promotion des droits des mineurs. Des points d'accès au droit sont ouverts dans les établissements pénitentiaires pour mineurs ; je vous annonce qu'ils vont être généralisés.
Les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse animent des formations et des ateliers dans les établissements scolaires pour présenter l'organisation de la justice en France, sensibiliser les jeunes à leurs droits, mais aussi à leurs devoirs, leur permettre de bien connaître les règles et les défendre. Je salue l'engagement des « éducs », comme disent les jeunes : ils sont pour moi des saints civils – parce qu'il faut y croire ! Je veux rendre un hommage particulier à l'un d'entre eux, agressé il y a une dizaine de jours au sein d'un centre éducatif fermé. Des gens y ont pénétré armés, ils voulaient en découdre avec les jeunes de ce CEF ; l'éducateur s'y est opposé au péril de son intégrité physique. Il n'y a pas eu de violences physiques à proprement parler, mais il a vécu un très sale moment. Et quand je l'ai appelé pour lui dire mon soutien indéfectible, il ne m'a parlé que des enfants.
Les jeunes enfants qui doivent témoigner au tribunal appréhendent ce moment ; c'est pour eux une épreuve – soit dit en passant, toutes les victimes redoutent de témoigner devant une juridiction, même les adultes. Nous avons trouvé à l'étranger un dispositif que je souhaite déployer largement. Je ne m'y étendrai pas car la réflexion est toujours en cours, et je ferai des annonces à ce sujet dans les jours qui viennent. Sachez, toutefois, qu'il devrait s'agir de permettre aux enfants de se familiariser avec la salle avant l'audience. Ils seraient accompagnés et pourraient s'habituer au lieu, y compris, s'ils le souhaitent, en s'asseyant sur le bureau du président et du procureur…
J'en viens à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme concernant le retour des familles de combattants terroristes retenues en Syrie. La France n'a pas été condamnée pour avoir refusé des rapatriements ; elle l'a été seulement pour le manque de formalisation du processus décisionnel conduisant au non-rapatriement. La Cour a considéré, comme le soutenait le Gouvernement, que la France ne pouvait pas être tenue pour responsable des conditions de vie dans les camps du nord-est de la Syrie, pour la raison simple qu'elle n'y exerce pas sa juridiction, ce qui est la stricte réalité.
À cela s'ajoute une question majeure : celle de la sécurité des personnes chargées de récupérer ces femmes – lesquelles sont systématiquement judiciarisées – et ces enfants, qui, naturellement, nous en sommes tous convaincus, ne sont coupables de rien.
La Cour a aussi confirmé que les engagements internationaux de la France en matière de protection des droits de l'homme ne lui imposaient pas de rapatrier les personnes retenues dans le Nord-Est syrien. Or nous l'avons fait et continuerons à le faire chaque fois que ce sera possible.
Conformément à l'arrêt de la Cour, les demandes ont été réexaminées et une réponse motivée a été envoyée aux requérantes. Ce sera désormais la procédure de droit commun. Ces demandes pourront faire l'objet de recours devant le juge administratif, ce qui a été précisé dans les réponses que nous avons adressées. La France s'est donc d'ores et déjà mise en conformité avec l'arrêt.
J'ai lu et entendu beaucoup de choses sur la question, notamment que nous abandonnions les enfants, ce qui est assez éloigné de la réalité. Entre une réflexion équilibrée, pragmatique, et le « y'a qu'à, faut qu'on », il y a de véritables différences. Certains s'expriment avec une désinvolture qui leur permet d'oublier les questions de sécurité, entre autres.
La situation des mineurs en provenance de Syrie est particulièrement complexe et mérite toute notre attention. Notre politique consiste à faire preuve de beaucoup d'humanité, mais aussi d'une vigilance absolue. D'un côté, ces gamins ne sont pas responsables des choix criminels de leurs parents. De l'autre, une vigilance absolue est de mise car ce sont, selon la formule désormais consacrée, les « lionceaux du califat ». Comment peut-on régler le problème ? Vous avez sans doute entendu des pédopsychiatres s'exprimer. La réponse est loin d'être simple. Notre crainte est que ces enfants, en grandissant, soient récupérés par des groupes terroristes, ce que nous ne saurions envisager.
Les enfants rapatriés sont au nombre de 270 : 126 filles et 144 garçons ; 71 % ont moins de 10 ans ; 119 d'entre eux, soit 44 %, sont nés dans la zone irako-syrienne sans état civil et sans filiation. Ils sont désormais répartis sur le territoire national en fonction des lieux où ils avaient des attaches familiales – il s'agit, naturellement, de personnes n'ayant pas embrassé les mêmes croyances que les parents, qui avaient envisagé, en partant, de nous faire la guerre.
Ces enfants font systématiquement l'objet d'une double prise en charge, conformément à une instruction interministérielle du 21 avril, que j'ai complétée par une circulaire à mes services du 18 octobre. Ils sont suivis à leur arrivée dans le cadre de procédures d'assistance éducative, auxquelles s'ajoute éventuellement un placement en famille, quand c'est possible, ou en structure éducative. Ce suivi judiciaire se double d'un suivi administratif au sein des cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles. Ainsi, l'ensemble des acteurs locaux en contact avec ces enfants est impliqué, sous la coordination générale du parquet national antiterroriste.
Je tiens à vous faire part de ma détermination totale à défendre les droits des enfants, ainsi que de l'engagement des professionnels de la justice – civile ou pénale – pour les protéger le mieux possible.