Je suis extrêmement heureuse de vous présenter notre première proposition de résolution européenne sur le sujet fondamental de l'indépendance et du pluralisme des médias, avec une vision différente de celle de ma collègue. Notre objectif est de protéger, de manière transpartisane, les médias et les journalistes, tant à l'échelon national qu'européen.
Mon analyse est un peu plus nuancée sur l'opportunité de l'intervention de l'UE sur un tel sujet. Le mécanisme promu par la Commission européenne est d'une certaine manière toujours le même – je l'ai bien connu en tant que députée européenne : les législations nationales sont fragmentées, ce qui pose des problèmes pour les investisseurs et donc pour l'économie ; dès lors, l'Union doit intervenir. Ce raisonnement doit être abordé avec davantage de prudence et ne pas être appliqué aveuglément. Si nous retenions cette grille de lecture, l'Union devrait intervenir à tous les niveaux, dans tous les domaines, et ferait toujours mieux que les États membres. Nous l'avons vu au moment de la crise sanitaire. Par un glissement sémantique extrêmement contestable dans l'interprétation du TFUE, la Commission s'est découvert une compétence en matière de santé publique, alors qu'il s'agissait jusqu'alors d'une compétence des États membres aux termes de l'article 168 de ce traité.
Sans revenir en détail sur le débat concernant la base juridique, je relève un problème : la proposition de législation sur la liberté des médias s'inscrit dans le plan d'action pour la démocratie européenne, mais elle se fonde sur les compétences de l'UE en matière de marché intérieur. C'est une situation un peu étrange, voire dérangeante. Il existe certes un lien avec le marché intérieur, par exemple au titre des contrôles sur la concentration dans les médias. Mais la liberté des médias dépasse évidemment le seul cadre du marché intérieur.
Il faut se demander si une intervention européenne est nécessaire et si les compétences transférées par les États à l'Union autorisent cette dernière à légiférer. Notre rôle de parlementaires nationaux est de veiller à l'application du principe de subsidiarité. Avec ma corapporteure, nos analyses diffèrent sur la légitimité de l'intervention européenne dans ce domaine particulier – mais nous avons travaillé en bonne intelligence.
Les arguments convaincants qui amènent à conclure au non-respect du principe de subsidiarité ne manquent pas. D'une part, les médias ne figurent pas, dans les traités, parmi les compétences exclusives ou partagées de l'UE. D'autre part, l'article 114 du TFUE ne fournit pas une base juridique adéquate. Comme chacun le sait, les médias ne sont pas des services comme les autres et ils ne peuvent pas être régulés au titre du marché intérieur.
Je m'interroge aussi sur l'instrument juridique choisi par la Commission européenne. Le domaine des médias présente des caractéristiques nationales et culturelles qui doivent être respectées. Un règlement n'offre évidemment pas la souplesse nécessaire aux États membres. Une directive européenne serait déjà un meilleur choix. Mais je crois surtout qu'au regard de ses compétences limitées en la matière, la Commission devrait s'en tenir à l'adoption d'une recommandation non contraignante.
Je ne suis pas la seule à défendre cette lecture juridique face à celle, extrêmement politique, de la Commission. Ce matin même, le Bundesrat a déposé un avis en subsidiarité. L'Assemblée nationale hongroise avait déjà fait de même. Il faudra donc porter la plus grande attention à l'avis du service juridique du Conseil, qui devrait être rendu public la semaine prochaine.
Néanmoins, dans un esprit de compromis qui guide mon travail et celui de mon groupe politique depuis le début de cette législature, nous avons pu aboutir à une proposition de résolution européenne qui n'aborde pas le sujet de la base juridique. Pour ma part, ce choix découle notamment des demandes formulées par les journalistes lors des auditions. Plusieurs syndicats et leurs fédérations européennes ont souligné que la proposition de législation allait dans la bonne direction et leur serait utile, notamment en raison des dispositions sur la protection des sources – à laquelle nous tenons tous, bien entendu. J'ai donc réorienté mon travail pour essayer d'aboutir à une résolution qui soit la plus utile possible à la profession de journaliste si le règlement venait à être adopté – même si, je le rappelle, nous nous opposons à l'emploi de cet instrument juridique.
Il est évident que la proposition de règlement est inacceptable en l'état et doit être substantiellement amélioré. Les situations en matière de liberté et d'indépendance des médias sont très diverses au sein de l'UE. La France a ainsi une législation particulièrement protectrice pour les journalistes et pour le pluralisme de l'information. C'est mon principal point de vigilance. La loi de 1881 sur la liberté de la presse ne doit pas être remise en cause par les institutions européennes. Sur plusieurs points, la Commission tient le même raisonnement que les pays scandinaves. Or, comme tous les pays, nous avons des spécificités. Une chose est certaine : l'intervention de l'Union ne peut pas conduire à anéantir des dispositifs juridiques qui fonctionnent depuis des années et affaiblir des dispositions nationales protégeant les journalistes. Elle ne peut pas non plus dénier les spécificités de la presse écrite par rapport aux médias audiovisuels.
La proposition de résolution tend donc à protéger la législation nationale sur plusieurs sujets, tels que les garde-fous pour le fonctionnement indépendant des fournisseurs de médias publics et la responsabilité éditoriale des médias, publics comme privés.
Enfin, nous défendons un point important en ce qui concerne les très grandes plateformes en ligne. Elles sont davantage régulées depuis l'adoption du règlement sur les services numériques (Digital Services Act – DSA) l'été dernier. Twitter, Facebook et Instagram, pour ne citer qu'eux, doivent dorénavant retirer rapidement les contenus illicites publiés par les utilisateurs. Cette nouvelle réglementation entraîne des difficultés pour les médias traditionnels, qui sont traités comme tout un chacun et peuvent voir leurs vidéos démonétisées ou leurs contenus retirés sans avertissement préalable.
Là encore, la proposition de législation européenne sur les médias va dans le bon sens, en cherchant à renforcer les obligations des très grandes plateformes en ligne vis-à-vis des médias. Le texte ne va cependant pas assez loin. Il procède seulement par incitation alors qu'il devrait davantage protéger les fournisseurs de services de médias. Nous demandons donc que les plateformes soient contraintes, dans un délai raisonnable, de rendre publics les motifs de retrait d'un contenu jugé illicite lorsque ce dernier a été publié par un service de média traditionnel.
Telles sont les conclusions que je tire de notre travail commun. Je tiens à souligner, une fois encore, l'esprit de coopération et d'écoute qui a prédominé avec ma corapporteure. Nous ne sommes pas tombées d'accord sur tous les sujets, et nous avons même une divergence importante sur le respect du principe de subsidiarité. Mais grâce à des efforts mutuels, nous avons pu aboutir à la proposition de résolution que nous vous présentons.