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Intervention de Constance Le Grip

Réunion du mercredi 7 décembre 2022 à 13h50
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip, rapporteure :

Avec ma collègue Joëlle Mélin, nous vous présentons une proposition de résolution européenne sur une proposition d'acte législatif européen dite législation sur la liberté des médias, ou Media Freedom Act. Ce texte important a été présenté le 16 septembre dernier par Mme Věra Jourová, vice-présidente de la Commission européenne chargée des valeurs de l'Union européenne (UE) et de la transparence, et par M. Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur.

Ce projet de règlement est destiné à garantir et à protéger l'indépendance des médias et leur pluralisme. Les deux commissaires ont longuement évoqué leurs inquiétudes sur la situation des médias au sein de l'UE – et de la presse en particulier – compte tenu des pressions et des ingérences de toute nature qui s'exercent de plus en plus sur les journalistes et les entreprises de presse. Avec ce texte, la Commission européenne met en œuvre l'engagement pris tant par le président Emmanuel Macron, lors de la présidence française du Conseil de l'UE, que par la présidente Ursula von der Leyen en septembre 2021.

Avec Joëlle Mélin, nous allons faire une présentation à deux voix du projet de proposition de résolution européenne auquel nous avons abouti.

Je partage le constat de la Commission européenne : des menaces de diverses natures pèsent sur la liberté des médias et sur l'exercice de la profession de journaliste. Dans de nombreux pays de l'UE, des journalistes sont menacés, espionnés, attaqués – dans certains cas physiquement. Plusieurs ont même été récemment assassinés parce qu'ils se battaient pour le droit à l'information : la Bulgare Viktoria Marinova, la Maltaise Daphne Caruana Galizia, le Slovaque Ján Kuciak, et le Néerlandais Peter Rudolf de Vries.

L'information est un bien public. Il faut défendre une information de qualité, fiable, produite par des médias indépendants et pluralistes, dont les lignes éditoriales ne sont pas dictées par les financeurs et dont la gouvernance et les structures de financement sont transparentes. Tout cela fait partie de la défense de l'État de droit et de la démocratie. Dès lors, l'indépendance et le pluralisme des médias dans l'UE doivent être garantis et confortés par une législation européenne. L'Union est tout à fait fondée à proposer un acte législatif pour assurer la défense de nos valeurs et pour renforcer la confiance des citoyens dans les médias.

La proposition de règlement vise quatre objectifs : encourager l'activité et l'investissement transfrontières – avec par exemple des dispositifs d'évaluation et une plus grande transparence en matière de concentration ; accroître la coopération et la convergence en matière de régulation – notamment s'agissant du respect du pluralisme et de l'indépendance des médias ; faciliter la fourniture de services de médias de qualité, en forgeant un ensemble de dispositifs pour réduire les risques d'ingérence publique et privée ; enfin, assurer une allocation transparente et équitable des ressources – ce qui concerne la manière dont sont réalisées les mesures d'audience et les publicités politiques ou commandées par les États.

Élaborer une législation européenne pour renforcer et organiser davantage l'espace européen de l'information, résoudre les problèmes concrets qui affectent le fonctionnement du marché intérieur des services de médias, lutter contre la fragmentation du marché intérieur due à des règles nationales trop différentes en matière d'indépendance et de pluralisme, mais aussi en matière de concentration des médias ou de protection des sources des journalistes : tout cela relève selon moi de la compétence de l'UE. Le texte de la Commission doit permettre de tendre vers une plus grande sécurité juridique des acteurs qui interviennent dans ce marché intérieur européen des médias.

Dans l'exposé des motifs de la proposition de texte, la Commission européenne prend grand soin d'assurer qu'elle respecte pleinement – c'est bien le moins – les compétences nationales, en se référant explicitement au protocole d'Amsterdam sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres. Elle mentionne aussi, et c'est assez inédit, le paragraphe 2 de l'article 4 du Traité sur l'Union européenne (TUE), qui stipule que celle-ci respecte l'« identité nationale inhérente [aux] structures fondamentales politiques et constitutionnelles » des États membres.

Voilà pour la question de la compétence de l'UE et de la base juridique choisie pour ce projet d'acte – en l'occurrence l'article 114 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Il nous restait à identifier les points à améliorer dans le texte qui est proposé.

Force est de constater que de réelles difficultés existent et qu'elles ne sont pas toutes de nature technique. En l'état actuel, l'équilibre n'est pas atteint de manière satisfaisante – c'est le moins que l'on puisse dire – entre tout d'abord la nécessité de lutter contre la fragmentation du marché intérieur des médias, ensuite celle de renforcer l'indépendance et le pluralisme et, enfin, le respect nécessaire des prérogatives des États membres. Nous nous interrogeons sur les difficultés d'articulation entre ce projet de texte et le droit de la presse français, en particulier avec la loi de 1881 sur la liberté de la presse et celle de 1986 relative à la liberté de communication. L'adoption de ce projet de règlement sans modification nécessiterait un travail d'adaptation de notre droit.

Parmi les points extrêmement discutables figure le fait que le projet de règlement ne fait pas de différence entre la presse écrite et le secteur audiovisuel, alors que cette distinction est fondamentale en droit français. Cet amalgame n'est pas satisfaisant. De même, la proposition de la Commission européenne soulève des difficultés en ce qui concerne le droit des concentrations, l'indépendance des rédactions et des journalistes – ce qui n'est pas rien – ainsi que celle du secteur audiovisuel public. Des difficultés juridiques sont également à attendre en matière de droit pénal.

Tout cela nous a conduits à rédiger une proposition de résolution qui prend une certaine distance par rapport au texte de la commission.

Il est en particulier nécessaire de prendre en compte les spécificités du droit de la presse écrite, qui résultent de la loi de 1881. On ne peut pas traiter cette presse de la même manière que le secteur audiovisuel.

Deuxième point auquel nous sommes attentives : l'indépendance du futur comité européen pour les services de médias, qui devrait succéder au groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA). Il rassemblerait l'ensemble des instances nationales de régulation du secteur des médias. Le rattachement de cet organe à la Commission réclame notre vigilance. En effet, si la Commission en assurait le secrétariat, comme le texte le prévoit, les garanties d'indépendance feraient défaut. On ne peut pas, d'un côté, vouloir garantir l'indépendance des autorités nationales de régulation et, de l'autre, mettre en place un organisme un peu trop dépendant de la Commission. Si ce comité européen devait voir le jour, il devrait à tout le moins être autonome.

En résumé, je considère que les institutions européennes sont parfaitement fondées à intervenir sur le cadre qui régule l'activité et le travail des médias, compte tenu du rôle qu'ils jouent dans nos démocraties et pour le bon fonctionnement de l'État de droit. J'apporte mon soutien politique de principe à cette proposition d'acte législatif européen. Mais les équilibres actuels, qui ont été laborieusement construits, ne sont pas satisfaisants et doivent être nettement améliorés. Tel est l'objet des négociations qui débutent à peine au sein du Conseil et du Parlement européen, et qui vont certainement être longues. Tel est également l'objet de la proposition de résolution européenne que nous allons examiner.

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