Nous avons déjà longuement évoqué le sujet du maintien des compétences. Je m'inquiète effectivement de ce que les jeunes se soient détournés des filières nucléaires. Pour autant, nos centres de recherche ne manquent pas de capacités intellectuelles – ils manquent peut-être de motivation. Ils ont besoin de leaders, de personnes qui fixent des objectifs et emportent l'adhésion des troupes.
S'agissant d'Iter, je vous donnerai mon opinion personnelle. À la fin de mon mandat, j'ai effectivement donné mon accord au lancement de ce projet international et à son installation en France. En réalité, j'étais très hésitant, et je ne vous cache pas que le cabinet du Président de la République partageait mon sentiment – il m'a posé beaucoup de questions à ce sujet. Le Haut-commissaire de l'époque, M. René Pellat, malheureusement disparu, était pour sa part absolument enthousiaste, en tant que spécialiste de la fusion. Il n'empêche que la proposition ne me semblait pas très prometteuse : les commanditaires du projet, faisant valoir qu'ils avaient dépensé 5 milliards d'euros pour parvenir à confiner un plasma pendant quelques microsecondes, en demandaient 5 de plus pour essayer de le confiner pendant une milliseconde. En réalité, nous n'avons pas fini de payer ! Vous me répondrez que nous ne sommes pas les seuls à le faire puisque le projet bénéficie d'un financement international. J'avais néanmoins observé que les États-Unis avaient pris une part très faible, qui leur permettait quand même d'avoir accès à tous les résultats. Connaissant l'appétence des Américains pour tout projet potentiellement profitable, il y avait lieu de s'interroger.
Au-delà des aspects scientifiques, le projet revêtait aussi des enjeux géopolitiques et, tout bêtement, locaux. Le conseil général des Bouches-du-Rhône était à l'époque l'un des principaux promoteurs de ce gigantesque projet de béton. Il n'empêche que le centre de recherche installé à Cadarache coûte de plus en plus cher, malgré quelques retombées intéressantes du point de vue scientifique. Les Japonais, qui étaient en concurrence avec nous pour accueillir le projet, s'en sont finalement bien tirés puisqu'ils ont récupéré la modélisation et les études de matériaux – voilà pour eux des retombées tangibles, immédiates. Vous comprenez donc mes réserves s'agissant d'Iter.
Vous m'avez également interrogé sur les petits réacteurs modulaires que sont les SMR. Ils ne sont pas nouveaux puisqu'ils sont utilisés, comme les PWR (Pressurised Water Reactors), dans la propulsion navale. Ils sont intéressants à plusieurs points de vue.
Leur premier atout tient à une question de manufacture. Aujourd'hui, quand on veut installer un réacteur quelque part, on apporte tout ce qui est utile à cet endroit et la construction se fait sur place. La logique est différente pour les SMR, qui sont construits à la chaîne, dans des usines, comme des avions, même si chaque exemplaire a ses particularités. On apporte alors le réacteur presque entièrement fabriqué à l'endroit où il doit être installé, sur du béton que l'on est tout de même obligé de couler sur place. Cela peut permettre des économies d'échelle importantes.
Les SMR ont aussi un avantage de marché : dans de nombreux pays où il n'est pas nécessaire de construire une grille de maintien très puissante, à savoir dans l'ensemble des pays du Moyen-Orient, dans tout l'ouest des États-Unis, en Amérique du sud et en Russie, un SMR ou quelques réacteurs suffisent pour fournir de l'énergie à un village ou à toute une région. Les Russes sont champions en ce domaine : ayant une certaine expérience de la propulsion navale, ils ont essayé tous les types de SMR possibles. Pour répondre à votre question, nous privilégions plutôt les PWR. Il existe aussi des réacteurs à sels fondus, mais je ne suis pas le plus à même pour vous parler du fonctionnement des réacteurs rapides ; je vous invite donc à interroger les personnes qui suivent ce sujet de plus près.
Les SMR peuvent enfin avoir d'autres applications, telles que la désalinisation de l'eau de mer, dont on parle beaucoup en ce moment, ou le chauffage des réservoirs pétroliers d'huiles lourdes, par exemple.