J'ai coutume de dire que le nucléaire du futur est le nucléaire d'aujourd'hui, c'est-à-dire l'EPR et les réacteurs comparables de génération III ou III+. En effet, on construit aujourd'hui un réacteur pour quatre-vingts ans – c'est la durée pour laquelle certains réacteurs de 900 mégawatts ou même plus obtiennent des licences aux États-Unis, dans des conditions certes différentes de celles dont nous avons l'habitude. Autrement dit, si nous arrivons à commencer en 2025 la construction des EPR annoncés par le Président de la République, ils seront opérationnels dix ans plus tard et jusqu'à la fin du siècle.
La construction de ces réacteurs rencontrera naturellement des problèmes : elle prendra plus de temps et coûtera beaucoup plus cher que prévu. Aussi, qui supportera le coût des investissements que nécessite la conception de réacteurs de quatrième génération ? Pour ce qui concerne la recherche, ce sera le CEA, comme on l'a vu dans le cadre du projet Astrid. Pour ce qui est de l'exploitation, en revanche, ce sera une autre affaire : il faudra convaincre des entreprises occupées à construire des EPR pour quatre-vingts ans d'investir dans un nouveau type de réacteur sans aucune garantie que ce dernier sera aussi fiable que les réacteurs actuels. On peut comprendre leur hésitation ! Il faudra également construire, à côté de ces nouveaux réacteurs, un certain nombre d'installations qui traiteront les combustibles de façon différente. J'en avais parlé avec Anne Lauvergeon : tous deux trouvions que cela coûterait horriblement cher aux exploitants.
Il y a tout de même un côté positif à cette démarche : c'est le maintien de nos compétences et de notre recherche aux premières places du classement mondial. Du fait de l'arrêt du projet Astrid, nous avons beaucoup perdu dans ce domaine. Il n'est pas trop tard pour nous y remettre, mais à la place du président d'EDF, je serais hésitant, car je considérerais que le réacteur du futur n'est pas mon problème immédiat. À la place de l'administrateur général du CEA, en revanche, ma préoccupation serait de maintenir notre recherche au niveau mondial qu'elle n'a jamais quitté jusqu'ici.