S'agissant de l'hydraulique, la France a exploité tous les sites. La question des microcentrales pourrait être réexaminée pour les petits sites.
Vous prêchez un convaincu : l'électricité n'est en effet pas un bien comme un autre. C'est un défaut caractéristique d'une idéologie ultralibérale et une erreur fondamentale d'imaginer que l'on peut faire un marché d'un bien non stockable. Un marché suppose un bien fabriqué, que l'on peut consommer ou conserver jusqu'au moment où il est consommé, ce qui permet de spéculer. Là, on a fabriqué un outil de spéculation pure. On a fait gagner de l'argent à des personnes qui n'ont pas produit un électron. Essayer de développer des énergies alternatives à partir de la « rente nucléaire » semblait une bonne idée. Il reste que certains acteurs ont bénéficié du dispositif de l'Arenh (l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique), sans avoir jamais fabriqué une éolienne. C'est à la limite du scandale.
L'électricité est un bien commun, un bien public. Dans une société, il est normal que chaque individu puisse y avoir accès au même tarif, quel que soit l'endroit où il se trouve. L'énergie relève des missions régaliennes de l'État. Mais aujourd'hui, celui-ci passe son temps à faire des choses qu'il ne devrait pas faire et à ne pas faire ce qu'il devrait.
Les scientifiques sont peut-être trop silencieux mais on ne leur donne pas souvent la parole, non plus. Vous ne m'avez pas beaucoup entendu car j'avais fait le choix de conseiller le politique, c'est-à-dire de rendre un rapport dont le politique faisait ce qu'il voulait, pour rendre une décision ayant une valeur politique. Divulguer mes conseils sur la place publique serait revenu à lui forcer la main, ce que je ne voulais pas faire. Depuis que je me suis retiré, je peux dire les choses clairement.
Je me souviens d'un débat où Georges Charpak était sans cesse interrompu car ses raisonnements duraient cinq à dix minutes, quand Noël Mamère s'exprimait en trente secondes. De même, le professeur Pellerin n'a jamais dit que le nuage de Tchernobyl s'était arrêté à la frontière : c'est Noël Mamère qui l'avait suggéré. Par la suite, le professeur Pellerin a déposé quatorze plaintes et gagné tous ses procès, mais aucun journal ne l'a relayé. Les scientifiques devraient peut-être parler plus mais on ne peut pas dire qu'on leur facilite la tâche !
La question des compétences est centrale : quand on « pense d'en haut », on imagine qu'il importe avant tout de former des ingénieurs et des managers, mais les compétences se construisent de la base au sommet. S'il manque des soudeurs dans le domaine du nucléaire, c'est que la désindustrialisation a fait disparaître des quantités colossales d'emplois industriels. Le nucléaire, c'est la partie émergée de l'iceberg : on en parle parce que c'est médiatique. Mais les formations techniques se sont délitées de façon très importante et nous allons rencontrer une série d'autres problèmes dans les prochaines années.
Il est grand temps de réindustrialiser le pays, de créer de nouvelles formations techniques, de remotiver les jeunes à y participer, y compris en les payant bien. Il faut arrêter de fabriquer des « ingénieurs plantes vertes » là où cela fait joli, et dire à ceux qui ont reçu un enseignement gratuit qu'ils doivent quelque chose à leur pays. Quand on a des talents, on n'a pas le droit de ne pas les faire fructifier.