La fermeture du cycle impose de raisonner à l'échelle décennale. Le besoin s'en fera sentir dans vingt ou trente ans ; son intérêt, c'est-à-dire le fait d'en profiter pour utiliser au mieux la ressource, sera sensible à des échéances plus longues. On ne peut envisager de résoudre le problème immédiatement mais il faut trouver des solutions viables dans la durée.
Le CEA n'a pas été clair en affirmant que les réacteurs à neutrons rapides remplaceraient les réacteurs à eau pressurisée – je l'ai dit, l'indépendance du Haut-commissaire le permettait. Il fallait plutôt présenter ces réacteurs comme un choix stratégique pour le pays, à des échéances plus lointaines. Mais ce n'est pas parce qu'une échéance est lointaine qu'il ne faut pas la préparer immédiatement. Une filière qui perd ses capacités de production, n'attire plus les jeunes, ni ne stimule le tissu industriel, par manque de visibilité, et se délite. Il est impératif de donner une perspective pour entraîner une génération – j'ai passé quarante ans de ma vie à former des ingénieurs – et de disposer d'un tissu industriel que l'on peut mobiliser en vue de certaines réalisations.
S'agissant du présent, il ne faut pas arrêter le nucléaire lorsque cela n'est pas nécessaire : fermer une centrale parce que votre prédécesseur l'a promis n'est pas raisonnable. Il faut la faire fonctionner de manière sûre aussi longtemps qu'elle le peut.
Ensuite, il faut demander à un vrai Haut-commissaire une analyse technique approfondie de ce que recouvre le programme du grand carénage. L'étude, qui a certainement déjà été réalisée par EDF, devra être présentée aux décideurs de l'État.
Sur les petits réacteurs, je suis un peu dubitatif. Ils peuvent permettre de gérer l'intermittence, en évitant les dents de scie du fonctionnement d'un gros réacteur. En outre, l'investissement immobilisé pour chacun d'entre eux est plus faible, même si la somme totale des financements nécessaires est supérieure. On peut imaginer des réacteurs « préfabriqués ». Mais tout cela mérite d'être étudié. Si une argumentation est possible, elle doit être instruite globalement, non sur le modèle de start-up qui fabriqueraient un réacteur dans un garage. Les avantages et les inconvénients de cette stratégie doivent être pesés.
Dans un pays fortement nucléarisé, disposer de gros réacteurs n'est pas illogique. La taille de l'EPR résultait des exigences de nos partenaires allemands : il s'agissait de diminuer le surcoût lié notamment à la création d'une double enceinte. Il faudrait demander au CEA d'estimer la taille limite des réacteurs que l'on peut développer et s'il est raisonnable de passer de l'équivalent de 1 300 mégawatt à d'énormes puissances. Je ne suis certain que le choix stratégique ait été pertinent. Mais il s'agit d'une décision stratégique, industrielle, technique, à analyser, non d'une question politique. Nous avons emprunté cette voie, nous devons la poursuire même si la filière de réacteurs un peu moins puissants fonctionnait bien – d'ailleurs, la filière qui se développe est celle de l'AP 1000.
Quant aux très petits réacteurs, fabriqués en France pour être exportés, ils ne sont pas crédibles s'ils ne sont pas utilisés dans le pays même. Ils sont en outre proches des réacteurs de propulsion nucléaire, ce qui peut conduire à des situations difficiles sur le plan géopolitique : ils peuvent notamment se heurter aux services de contrôle des exportations (l' export control ) des États-Unis, en particulier pour toutes les technologies duales, qui recouvrent à la fois un aspect civil et militaire.
Il serait légitime de demander à un CEA correctement gréé, avec un Haut-commissaire qui fait son boulot, d'instruire ces questions, à l'usage d'un gouvernement qui sait décider.