En tout cas, moi, je ne le suis pas ! Depuis dix-huit ans, nous nous sommes construits en opposition avec la politique énergétique menée, et il est rare que je sois aussi d'accord avec ce qui est dit.
Au début de l'après-guerre, la France, qui connaissait une grande instabilité politique, a réussi à mener un programme nucléaire d'envergure. Paradoxalement, alors que les institutions politiques se sont affermies, la cohérence de la politique nucléaire s'est effritée. Pour lancer de nouveaux programmes dans de bonnes conditions, sans refaire les mêmes erreurs, il importe non de faire le procès de certains responsables de gouvernements, d'institutions ou de filières industrielles mais de les écarter et de trouver les bonnes personnes – vous avez cité celles qui ont œuvré pour la filière nucléaire, l'indépendance énergétique française et la science mondiale. Comment pourrait-on changer les institutions, notamment le mode de consultation du Parlement, pour atteindre ce but ?
Vos rapports n'ont sans doute pas été traités comme il se doit, mais certains sont lus et utilisés – en particulier ceux de l'Ademe ou de l'association négaWatt, qui semblent faire autorité dans certains cercles. Comment expliquez-vous la bouffée délirante d'irrationalité qui, en France, conduit à mettre à égalité, voire en infériorité, les paroles du CEA, de la crème scientifique mondiale incontestable et incontestée, et de personnes qui n'ont aucune légitimité pour s'exprimer ? L'avis de scientifiques de haute volée internationale est considéré comme moins crédible que le rapport d'une ONG dont la transparence du financement ou les compétences sont plus que discutables.
La fiabilité des matériaux est un des angles d'attaque des antinucléaires depuis plusieurs années, en France comme à l'international. L'industrie belge a ainsi subi des tirs croisés pour mettre à bas sa filière nucléaire, qui a été dévorée, l'État belge n'ayant pas la force des grands corps de l'État français – il se rend compte maintenant de ses erreurs.
Certains défenseurs du nucléaire eux-mêmes s'interrogent sur la capacité de l'industrie française à produire des matériaux de qualité. L'ASN, notamment, remet souvent en question le taux de carbone dans certains aciers. S'agit-il de véritables pertes de compétence ou d'une surréaction de l'ASN, qui entre dans la mission qui lui a été confiée ? La France a-t-elle la capacité de rebondir si un problème est constaté dans la gestion de ces matériaux ou d'autres, qui seraient stratégiques pour les filières que vous souhaiteriez lancer ?
Ma famille politique défend depuis longtemps une collaboration intense avec le Japon, en particulier sur la question de la surgénération. Toute collaboration avec la Russie étant aujourd'hui impossible, quel est l'état des relations avec le Japon, un pays qui, comme la France, est pauvre en richesses naturelles et a développé un programme nucléaire important ? Peut-on les relancer ? Le Japon n'a-t-il pas abandonné cette perspective, en constatant le manque d'allant de la France ?
Par ailleurs, la relance du programme américain est-elle réelle, qu'il s'agisse des réacteurs censément équivalents à l'EPR, des petits réacteurs ou de la filière à neutrons rapides dont vous avez parlé en évoquant Bill Gates ? Il est très difficile pour le profane de distinguer ce qui relève de l'espoir ou de la communication.
Pourquoi la cogénération nucléaire a-t-elle été enterrée, alors que le CEA en avait étudié la possibilité et qu'elle est pratiquée en Europe de l'Est ? En France, c'est à petite échelle dans le Centre et autour de Gravelines. J'ai entendu qu'EDF refusait d'envisager ce gisement considérable de chaleur nucléaire car ce n'est pas son métier.
Dans l'urgence, ne pourrait-on pas faire du power up, c'est-à-dire améliorer la production du parc actuel ?
Moduler les réacteurs nucléaires pour s'adapter aux énergies renouvelables ne risque-t-il pas d'abîmer ces derniers et de compromettre leur espérance de vie ?
S'agissant de la doxa autour des 50 %, comme par hasard, RTE a décidé que la filière nucléaire ne pouvait produire que 50 % d'énergie dans le mix énergétique, soit l'objectif fixé par le Gouvernement. Dans un article courageux paru dans Le Point, Géraldine Woessner explique que Jean-Bernard Lévy n'a jamais dit que la filière nucléaire était, par essence, limitée à quatorze réacteurs EPR : elle pourrait faire ce que l'État lui demande, s'il lui en donne les moyens.
C'est la doctrine du Rassemblement national : il faut concentrer tous nos efforts sur la relance du nucléaire, pour prendre de l'avance, et non se disperser dans des dizaines de filières énergétiques, que nous ne maîtrisons pas.