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Intervention de Yves Bréchet

Réunion du mardi 29 novembre 2022 à 20h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Yves Bréchet, ancien Haut-commissaire à l'énergie atomique :

La technique actuelle utilise le MOX (mélange d'oxydes). En repassant dans le réacteur, le plutonium subit une évolution de son vecteur isotopique. Le caractère plus ou moins fissile d'un atome dépend de son vecteur isotopique. Quand on fait repasser plusieurs fois le combustible dans un réacteur à neutrons lents, on « gagne » une fois, en consommant un peu plus que le combustible naturel, et ensuite, on se retrouve avec du plutonium « pourri ». Il n'est donc pas facile de faire plus d'un tour.

Ce problème n'est pas résolu par le multirecyclage en réacteur à eau pressurisée (REP). Les gens d'EDF disent le contraire parce qu'ils n'ont pas envie de payer pour les réacteurs à neutrons rapides, mais quand vous parlez à un neutronicien, vous comprenez que c'est faux. Mais je ne vais pas vous faire un cours de physique nucléaire.

On peut considérer que le plus simple est d'utiliser les réacteurs à neutrons rapides – il y en a de diverses sortes. Il y a une autre possibilité : l'emploi du thorium, qui est le nucléaire des antinucléaires – on pense que c'est une solution géniale parce qu'on en trouve partout, mais il suppose un cycle de combustible complètement différent, donc de reconstruire une industrie du combustible. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas l'étudier, mais ma logique, pour résoudre un problème urgent, est d'utiliser des technologies disponibles plutôt que des technologies futuristes.

En ce qui concerne les réacteurs à neutrons rapides, on a commis une erreur. Cela vient d'une tare assez profonde du secteur nucléaire, tenant à son caractère schizophrène : les uns s'occupent du réacteur, les autres du combustible, et ils se parlent peu. Beaucoup de travaux ont été consacrés à ces réacteurs – le livre de Georges Vendryes sur Superphénix est fascinant. Ils sont centrés sur le réacteur, sa fabrication, la gestion du sodium, qui a l'avantage de ne pas corroder les matériaux, au contraire de l'eau. Dans ce domaine, on était parvenu à un stade de maturité qui permettait de construire un prototype. Mais comment passer à l'échelle ? Un réacteur à neutrons rapides coûte plus cher qu'un réacteur à eau pressurisée pour fabriquer de l'électricité. On ferait donc de l'électricité à la mesure de la nécessité de réaliser des économies de combustible. Voilà pourquoi la première chose que l'on attend d'un réacteur à neutrons rapides, c'est la fermeture du cycle – la garantie que l'on n'accumule pas du plutonium et qu'on en stabilise la production.

Pour l'ensemble du parc électronucléaire français, cela suppose environ cinq à six réacteurs à neutrons rapides. Or on ne développe pas une filière pour cinq à six réacteurs. La démarche n'a donc de sens que dans la perspective d'un développement massif du nucléaire sur la planète – d'où le risque de carence en uranium dont nous parlions précédemment. Dans cette optique, il n'est pas idiot de coordonner le processus à l'échelle internationale, mais avec des partenaires qui ne peuvent pas vous imposer leurs fourches caudines.

Voilà pour le réacteur. Un point encore faible et qui nécessitait des études, y compris de prototype, concernait les usines de fabrication du combustible. Le combustible de Superphénix ou de Phénix était fabriqué dans des boîtes à gants chez Melox, à Marcoule : c'était un peu artisanal. Pour un réacteur, ou même pour cinq, cela peut encore aller ; pour une flotte de réacteurs, il faut industrialiser la fabrication. Dans ce domaine, le travail n'avait pas été poussé assez loin. J'aurais voulu lancer des études approfondies sur ce point : la fabrication industrielle du combustible pour les RNR en vue du multirecyclage.

En somme, une partie était quasiment livrable clé en main, tandis qu'une autre appelait une recherche, mais pour résoudre des difficultés technologiques, sans verrous scientifiques à lever.

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