Je suis têtu, mais pas obstiné. Après six ans à ce poste, consacrés à faire mon travail correctement et à instruire les dossiers aussi sérieusement que je pouvais le faire, j'ai constaté que l'information, fondamentalement, ne passait pas, que rien n'imprimait, et que le discours n'avait rien à voir avec l'action. Dans ces conditions, j'ai considéré que j'avais autre chose à faire.
J'ai refusé ce poste à deux reprises avant de l'accepter. La première fois, j'avais estimé que ce n'était pas le bon moment. La seconde fois, il m'a été proposé par le gouvernement Fillon dans les quinze derniers jours de son existence. S'agissant d'un poste de confiance pour l'exécutif, j'avais considéré qu'il ne pouvait pas le pourvoir juste avant de partir.
J'ai finalement accepté le poste au début du mandat de François Hollande. J'ai travaillé pendant deux mandats avec deux administrateurs généraux aux styles très différents, mais qui étaient l'un et l'autre, à mes yeux, de grands serviteurs de l'État. Je suis ainsi fait que je ne parviens à travailler correctement qu'avec des gens que j'estime. Tel était le cas et j'ai donc bien travaillé avec eux. J'ai ensuite constaté que les décisions sur le point d'être prises allaient à l'encontre de ce que je considérais comme bon pour le pays, et ne souhaitais pas en être complice.
Par ailleurs, la nomination d'un nouvel administrateur général du CEA nuisait à ma capacité de travailler en toute indépendance. Plutôt que faire semblant, n'ayant pas l'habitude de m'attarder sous les ors de la République, je me suis dit que j'avais encore un cerveau et des capacités, et je suis parti. J'ai refusé toutes les prébendes habituellement distribuées pour faire taire les grands serviteurs de l'État. Je ne voulais plus rien avoir à faire avec les décideurs.
J'ai rejoint l'industrie comme directeur scientifique de Saint-Gobain, car cela m'intéresse, et j'ai maintenu une activité de professeur d'université, car c'est ma passion et mon métier. Par la suite, j'ai accepté la proposition de Bernard Fontana de présider le conseil scientifique de Framatome, pour une raison très simple : je considérais qu'il était de mon devoir, compte tenu des compétences que j'avais acquises, d'aider cette industrie à se relever de ses ruines. Je ne le regrette pas et je l'assume.
Il était hors de question, en 2018, que je continue à travailler comme Haut-commissaire ; il est hors de question que je revienne vers ce genre de métier tant que je n'aurai pas la conviction qu'on instruit de façon scientifique les dossiers politiques. Il faut changer de fond en comble la manière de procéder.