Ce site présente les travaux des députés de la précédente législature.
NosDéputés.fr reviendra d'ici quelques mois avec une nouvelle version pour les députés élus en 2024.

Intervention de Yves Bréchet

Réunion du mardi 29 novembre 2022 à 20h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Yves Bréchet, ancien Haut-commissaire à l'énergie atomique :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant votre commission d'enquête. Les questions relatives à la souveraineté énergétique, au rôle du nucléaire en particulier, sont complexes. Je vous demanderai donc patience et attention pour pouvoir aller au-delà de la recherche nécessaire des responsables et avancer dans la direction indispensable des solutions.

J'ai l'habitude d'être précis. Je lirai donc un texte que j'ai écrit pour vous. Il vous semblera peut-être rugueux ; dites-vous qu'il s'agit d'un témoignage sincère et véritable. Ce texte est documenté. Je vous laisserai avant de partir une clé USB contenant tous les documents auxquels je fais allusion dans ce texte, ainsi que des documents complémentaires, notamment les rapports et les notes que j'ai remis, et le texte lui-même.

Je commencerai par vous dire succinctement qui je suis, avant de décrire la fonction de Haut-commissaire et son fonctionnement au sein du CEA. J'essaierai ensuite de rappeler quelques faits sur le nucléaire, qu'il est absolument indispensable d'avoir à l'esprit.

Je poursuivrai par une étude de cas sur les réacteurs à neutrons rapides (RNR), sur lesquels porte l'une de vos questions, avant d'en venir à ce qui me semble être, au-delà du nucléaire, le cœur du problème : l'instruction scientifique des dossiers politiques. Il est indispensable, me semble-t-il, que votre commission d'enquête s'interroge sur les raisons pour lesquelles il est difficile de comprendre la logique des décisions qui ont été prises. Enfin, je reprendrai le questionnaire avant de répondre à vos questions.

Encore une fois, ces sujets sont complexes et ne peuvent être abordés uniquement par des effets de manche.

Qui suis-je ? Je suis un scientifique et un ingénieur. Je suis un spécialiste de sciences des matériaux en général et de métallurgie en particulier. J'ai fait l'essentiel de ma carrière dans le monde universitaire, formant des ingénieurs et des chercheurs. L'essentiel de mes travaux a porté sur les matériaux de « structure », plus particulièrement sur leur capacité à produire de l'énergie ou à l'utiliser. Je suis membre de l'Académie des sciences ainsi que de plusieurs académies étrangères, et professeur associé de deux universités, au Canada et en Australie.

J'ai occupé la fonction de Haut-commissaire à l'énergie atomique de 2012 à 2018, soit deux mandats de trois ans, à l'issue desquels j'ai souhaité ne pas être renouvelé. J'ai rejoint la compagnie Saint-Gobain en qualité de directeur scientifique en 2018. Depuis 2019, je préside le conseil scientifique de Framatome. J'ai conservé une activité de recherche et de collaboration avec des universités étrangères.

Je n'ai plus aucune relation professionnelle avec le CEA ni avec le Gouvernement depuis mon départ. Je m'exprimerai uniquement, dans cette audition, sur des faits antérieurs à 2019.

En quoi consiste la fonction de Haut-commissaire à l'énergie atomique ? Le titulaire de ce poste, défini par la loi, remplit une mission de conseil scientifique auprès du Gouvernement et de l'administrateur général du CEA sur les missions du CEA, notamment celles relatives au nucléaire civil et militaire, ainsi que sur les questions d'énergie en général. Il est positionné au sein du CEA mais hors de sa hiérarchie, ce qui lui assure une totale liberté de travail. Il est essentiel de comprendre cela. Plusieurs dispositions juridiques, dont les références figurent dans mon texte, définissent les fonctions du Haut-commissaire à l'énergie atomique.

Il est ainsi le conseiller de l'exécutif pour les questions scientifiques et techniques relatives à l'énergie nucléaire. Il peut saisir les ministres intéressés de propositions relatives à l'orientation générale scientifique et technique du CEA.

Il est membre du comité de l'énergie atomique, qui examine toutes les questions relatives au CEA, et dont la loi prévoit qu'il se réunit au moins une fois par an sous la présidence du Premier ministre, ainsi que sur saisine du Haut-commissaire à l'énergie atomique. Il siège au conseil d'administration du CEA, avec voix consultative, ce qui est logique compte tenu du fait qu'il n'y exerce aucune fonction décisionnelle.

Il est le conseiller scientifique et technique de l'administrateur général du CEA pour l'orientation générale de l'établissement, ce pour quoi il est assisté d'un conseil scientifique, qu'il préside. Il est essentiel de se souvenir que les rapports rendus en son nom sont construits par des groupes d'experts et non rédigés de sa seule blanche main, même s'il en assume l'entière responsabilité.

Il est responsable de la chaîne de sécurité de l'intégrité des moyens concourant à la dissuasion et ne relevant pas du ministère de la défense. Il est le garant de la gestion patrimoniale des matières nucléaires nécessaires à la défense. Il peut être chargé, par un ministre ou par l'administrateur général du CEA, de diverses missions de conseil et d'expertise dans les domaines intéressant le CEA, la défense nationale et l'enseignement. Il est essentiel de comprendre qu'il s'agit d'un poste de conseiller dépourvu de pouvoir décisionnel, lequel est exclusivement exercé par l'administrateur général du CEA.

Chaque titulaire de la fonction l'exerce avec son style propre. Pour ma part, j'ai adopté un positionnement exclusivement technique, et transmis mes rapports aux autorités concernées, à l'exclusion de toute diffusion publique. J'ai théorisé cette pratique de la façon suivante : ce devoir de réserve absolu, revendiqué dès ma nomination, va de pair, à mes yeux, avec un devoir de franchise totale. Je ne me suis jamais départi ni de l'une, ni de l'autre.

Les documents émanant du Haut-commissaire sont à diffusion restreinte. Tous ont systématiquement été transmis aux conseillers techniques des ministères concernés, principalement ceux chargés de l'environnement et de l'énergie, de l'industrie, de la recherche et de la défense, ainsi qu'aux cabinets du Premier ministre et du Président de la République.

Ils l'ont aussi été aux administrations directement concernées, généralement la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI), la direction générale des entreprises (DGE), ainsi qu'à l'état-major particulier du Président de la République. Certains d'entre eux ont été transmis au président et au premier vice-président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), car je suis par nature profondément respectueux de la démocratie parlementaire.

Bien entendu, l'administrateur général du CEA était destinataire de tous les rapports, qui n'ont jamais fait l'objet d'une couverture médiatique. Je ne parlais quasiment jamais à la presse, sinon pour dire que j'avais dans mon bureau une machine à café, négociée lors de ma nomination, ce qui n'a rien d'un secret d'État. Les rapports étaient systématiquement remis en mains propres aux conseillers techniques concernés, que je rencontrais une fois par trimestre en tête-à-tête pour leur en exprimer le contenu.

Je me considère comme pleinement engagé par leur contenu. Ce qui en a été fait, ou plutôt ce qui n'en a pas été fait, est de la responsabilité des décideurs qui en ont été destinataires.

Les rapports remis par le Haut-commissaire à l'énergie atomique prenaient plusieurs formes selon les sujets traités.

Certains sujets étaient traités selon une échéance allant de six mois à un an. Il s'agissait de rapports sur des sujets scientifiques et techniques demandés par le Gouvernement, la haute administration ou des acteurs du nucléaire. Issus de groupes de travail pilotés par le Haut-commissaire à l'énergie atomique, ils étaient structurés comme suit : conseil du Haut-commissaire, résumé exécutif du rapport et rapport détaillé. Certains rapports étaient longs et techniques. Je mettais un point d'honneur à faire en sorte qu'ils soient tous, au moins en partie, compréhensibles par toute personne ayant envie de comprendre.

La liste complète des rapports que j'ai remis figure dans les documents que je remettrai au secrétariat de la commission d'enquête à l'issue de la présente audition. Je n'en citerai que quelques-uns : Le stockage tout terrain des déchets bitumés, L'avenir de la métallurgie française, L'analyse des scénarios énergétiques : application aux scenarii de l'Ademe et de l'Ancre, Réflexion et avis sur le plan à moyen et long terme du CEA, Le black-out : une menace permanente pour le système électrique avec des conséquences sanitaires potentiellement graves – j'espère que je ne passerai par pour un Cassandre à ce sujet –, Prédiction du vieillissement de l'acier de cuve des réacteurs REP du parc électronucléaire français, Aspects socio-cognitifs des controverses sur les sciences et les techniques, La chaleur : quels enjeux de R&D pour le CEA. En six ans, j'ai dû rédiger ou piloter environ 4 000 pages de rapport.

Nous avons également rédigé des documents plus courts, pour les gens pressés, selon des échéances allant d'un à deux mois. Ces notes courtes du Haut-commissaire, n'excédant pas dix pages, portaient sur un point nécessitant une information directe et rapide. Par exemple : Sur la nécessité des RNR, Opportunité des petits réacteurs modulaires (SMR), Radiothérapie, Épidémiologie des cancers de la thyroïde, Les échelles de temps dans le nucléaire, Opportunité de développer la filière thorium, La participation française aux rapports du GIEC ou encore La chimie séparative au CEA et son application hors nucléaire.

À la demande des acteurs du nucléaire, j'ai animé des groupes de travail chargés de donner un avis aux décideurs. Les rapports qui en résultaient étaient remis aux demandeurs ainsi qu'aux conseillers techniques et aux cabinets des ministères concernés. J'ai ainsi rédigé des rapports détaillés sur les innovations du nouveau modèle d'EPR, les stratégies de fermeture du cycle et le programme Astrid – version longue de la note courte sur les RNR – et la priorisation des programmes de recherche de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) sur le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo).

Outre ces actions d'expertise, j'ai mené une évaluation scientifique approfondie du CEA, dont le contenu était décidé en accord avec l'administrateur général. J'ai remis tous les deux ans un rapport d'activité rassemblant les résumés exécutifs des rapports, les discours, les notes et les lettres officielles, ainsi qu'un bilan d'activité assorti de recommandations à la fin de chaque mandat. Je vous remettrai la liste des travaux effectués et les documents afférents.

Je vais à présent vous donner une vue d'ensemble du nucléaire en France. Mes propos seront assez rugueux. Vous n'en avez peut-être pas l'habitude, mais il me semble indispensable, surtout après avoir prêté serment devant vous, de les tenir, et d'une certaine manière.

En 2020, j'ai donné devant un groupe informel de jeunes hauts fonctionnaires intitulé La tortue, à sa demande, une conférence sur la politique électronucléaire en France. Cette mise en perspective historique, que j'ai exposée après avoir quitté mes fonctions, demeure pleinement d'actualité. Je vais donc vous en donner lecture.

Le programme électronucléaire français a été décidé politiquement et mis en œuvre industriellement par un État stratège, dans une situation de crise menaçant la souveraineté énergétique du pays. La clé de voûte de cette stratégie était identifiée dès les années 1970. Il s'agit de la filière à neutrons rapides, qui permet, le moment venu, de requalifier les déchets en ressources et d'assurer l'indépendance du pays vis-à-vis de la ressource en uranium. Ce nucléaire durable n'utilise aucune ressource naturelle, par définition épuisable, et résout le problème de la gestion des déchets. Ce système circulaire est pratiquement parfait. Ses émissions de gaz à effet de serre (GES) sont pratiquement nulles.

Dans la présente situation de crise, climatique celle-là, qui est au moins aussi aiguë que la précédente, l'État français, en dépit d'un discours apparemment volontariste pour la combattre, peine à assumer un atout assurant une électricité décarbonée à 90 %. Il vient de prendre – ce texte a été rédigé en 2020 – une décision lourde de conséquences : l'abandon de la filière à neutrons rapides au moment même où de grands États maîtrisant la technologie nucléaire, tels que la Russie et la Chine, et à présent les États-Unis, en accélèrent le développement.

Cette décision, prise après plusieurs renoncements s'agissant du parc électronucléaire, est emblématique, en matière énergétique, du remplacement d'un État stratège par un État bavard. Elle est aussi révélatrice d'une désinformation continue, acceptée par l'État quand elle n'est pas organisée par lui, sur cette filière.

Plusieurs points doivent être fermement réaffirmés au sujet de l'énergie nucléaire.

L'électricité produite par le nucléaire est essentiellement décarbonée. Dans une optique de lutte contre le réchauffement climatique, il est absurde de dépenser des milliards pour la décarboner. Le démantèlement des centrales est une technologie certes maîtrisée, mais qui créera moins d'emplois que leur fermeture n'en supprime.

Le fonctionnement des centrales est sûr. La létalité de l'énergie nucléaire est faible, par comparaison avec les autres sources d'électricité, notamment les sources fossiles. La gestion des déchets est garantie par les technologies de leur vitrification et de leur stockage géologique profond, dans lesquelles la France a une avance reconnue.

Le problème des ressources en uranium est résolu par la technologie des neutrons rapides et par la fermeture du cycle, qui permettent d'utiliser l'uranium appauvri et de maintenir le bilan en plutonium. La filière à neutrons rapides, dans laquelle la France était pionnière, a été abandonnée en 2018, par une décision à courte vue qui restera dans l'histoire comme un modèle de stupidité ou de cynisme.

Il importe de comprendre comment la cohérence d'une stratégie industrielle a cédé la place à l'opportunisme d'une stratégie de communication. L'historique de la filière et l'inventaire des difficultés industrielles rencontrées permettent de mieux comprendre la situation actuelle.

Le déploiement de la filière industrielle dans les années 1970, consécutif du premier choc pétrolier, reposait sur une décision politique – le plan Messmer –, un choix stratégique – la filière à eau pressurisée – et une stratégie industrielle – la structuration de la filière du combustible à l'aval du cycle. En vingt ans, cinquante-huit réacteurs ont été construits, ce qui a placé la France en tête des nations industrielles de l'énergie nucléaire, et lui a offert un retour d'expérience en matière d'efficacité industrielle et de sûreté inégalé dans le monde et reconnu comme tel.

Ne pas avoir construit de réacteurs pendant les vingt ans qui ont suivi a induit une perte de compétences industrielles, une dégradation de l'outil de production et un délitement du tissu de sous-traitants, dont nous payons aujourd'hui le prix. La doctrine de libéralisation des marchés appliquée à l'électricité, dont la nature non stockable demeure à ce jour incontournable, et la démission des États européens face au besoin pourtant croissant de fournir à tous les citoyens une énergie à bon marché, a amené à une déstructuration ayant pour conséquence une situation économiquement et politiquement intenable, caractérisée par des prix négatifs et une déstabilisation des réseaux.

La gestion de l'intermittence des énergies renouvelables (ENR) et leur déploiement massif, conjugué à la perte de capacités pilotables, signalée à plusieurs reprises par l'autorité de sûreté nucléaire (ASN), ont induit une grave dépendance au gaz à l'échelle européenne, présentant un risque géopolitique grave. Je pourrais ajouter aujourd'hui que l'histoire récente nous en donne la preuve.

Le prix à payer pour ces erreurs historiques sera lourd. La destruction, à l'heure même de l'urgence climatique, de ce qui a été un fleuron industriel du pays et qui constitue l'un de ses meilleurs atouts dans la lutte contre le dérèglement climatique, l'absence de stratégie claire de remplacement du parc dans le domaine électronucléaire, le sacrifice d'outils industriels amortis et au fonctionnement sûr, la confusion entretenue entre la lutte contre le réchauffement climatique, qui suppose une décarbonation de notre énergie, le manque de lucidité sur les liens organiques entre la dissuasion nucléaire et la propulsion, et les technologies industrielles civiles, tout cela relève au mieux de l'ignorance, au pire de l'idéologie.

J'ai écrit ce texte en 2020. Et je ne vois aucune raison majeure de changer d'avis.

J'en viens à l'étude de cas sur le renoncement à la filière à neutrons rapides. Sauf à supposer que personne, dans les ministères et les administrations, ne lit les rapports techniques, la décision d'arrêter le projet Astrid a été prise en connaissance de cause. J'ai rédigé quatre notes à ce sujet. Le CEA a remis, lors d'une réunion interministérielle, un dossier très complet, tant sur les aspects techniques du projet que sur ses implications industrielles et en termes de relations internationales, concernant notamment les collaborations initiées avec le Japon. J'ai de surcroît remis un rapport détaillé sur les options de fermeture du cycle et son état de maturité.

La note que je vais vous lire date d'août 2017, soit juste avant que la décision ne soit officiellement prise. Elle remet en perspective la décision à prendre, à l'aune de soixante-dix ans d'investissement du contribuable, et décrit, en des termes non techniques, les conséquences de la décision qui était sur le point d'être prise.

La question de la fermeture du cycle des matières nucléaires constitue une illustration de la nécessité d'une instruction technique approfondie des dossiers. La fermeture du cycle vise à éviter l'accumulation des déchets nucléaires, principalement constitués de plutonium, et à tirer le maximum d'énergie des matières premières issues du minerai d'uranium.

Il se trouve que les réacteurs à neutrons rapides (RNR) sont capables de brûler tous les isotopes du plutonium, donc de transformer ce déchet en ressource, et peuvent également brûler l'uranium naturel et l'uranium appauvri. Ils peuvent donc transformer les déchets en ressource et consommer toutes les matières fissiles issues de la mine.

Ce faisant, ils permettent une gestion rationnelle de la ressource, associée aux sites de stockage profond. J'ai d'ailleurs remis un rapport, à la demande conjointe du président-directeur général d'EDF et de l'administrateur général du CEA, démontrant que, parmi les options techniques envisageables pour réaliser la fermeture du cycle, le RNR à caloporteur sodium est la plus mature.

L'obsession, qui semble répandue au sein de certains services de l'administration centrale du pays, de « brûler le plutonium le plus vite possible » n'a aucun sens, sauf à se placer dans une logique de sortie du nucléaire, ce qui contredit la politique voulue par le Président de la République. N'en déplaise à certains, le rééquilibrage du mix énergétique ne prévoit, en effet, aucun engagement de sortie, à plus ou moins long terme, du nucléaire.

En tout état de cause, une telle option ne peut pas être décidée implicitement, par la force des choses et l'enchaînement des décisions. Ma compréhension de la volonté présidentielle est la suivante : le nucléaire est une composante majeure et durable du mix électrique français, le débat porte sur l'évolution de sa part, ainsi que sur le calendrier de cette évolution. La France restera encore longtemps un grand pays nucléaire, même si la part du nucléaire dans son mix énergétique tombe à 50 %.

À l'heure actuelle, personne n'est capable de dire quelle proportion d'énergie décarbonée non nucléaire est compatible avec nos sociétés industrielles. On ne sait pas quelles sont les capacités de stockage réalistes. On ne sait pas quelles modifications du réseau de distribution sont indispensables. On ne sait pas quelle part de production et de consommation localisées est compatible avec un mix énergétique donné. Quant à la production d'électricité décarbonée à partir d'énergies fossiles, rendue possible par un stockage de masse du CO2, elle est à ce jour un vœu pieux.

Quoi qu'il en soit, l'utilisation, même « modérée », du nucléaire impose de fermer le cycle, sous peine de laisser la filière nucléaire s'étouffer sous ses propres déchets. Ne pas fermer le site condamnerait à terme le nucléaire dans notre pays.

Renoncer à cette option sans le dire forcerait la décision politique de façon malhonnête, en donnant de facto au nucléaire un statut d'énergie de transition. La conserver préserve au contraire la possibilité de l'usage du nucléaire dans la proportion qui sera nécessaire, car, à tout moment, les flux de matière entrant et sortant seront équilibrés, sans accumulation s'agissant des déchets non ultimes. Ne pas fermer le cycle, c'est rendre le nucléaire non viable car non durable. C'est irresponsable et politiquement indéfendable, car cela prive le politique d'une marge de manœuvre et revient de facto à décider à sa place.

Finalement, que ce point de vue sur l'arrêt des études sur la fermeture du cycle relève d'un calcul comptable à court terme, d'une méconnaissance du problème énergétique dans son ensemble ou d'une mise en cause de la société industrielle m'est indifférent. Ce qui est bien plus grave dans cette fin programmée du nucléaire, c'est qu'elle procède d'une façon inadmissible, consistant à piéger le politique pour le forcer ensuite à prendre la seule décision encore possible. Au contraire, fermer le cycle, c'est laisser ouvert le champ des options de gestion des matières et des déchets ultimes, de façon à pouvoir prendre au fur et à mesure, rationnellement, les décisions politiques et techniques qui sont les meilleures pour le pays, sortie du nucléaire comprise.

Ces arguments expliquent pourquoi je considère que les RNR ne sont pas un projet du CEA, mais la clé de voûte, dans l'état actuel des choses, qui résulte de choix historiques en faveur d'une politique énergétique rationnelle et respectueuse de la capacité de décision politique du gouvernement du pays. La Russie, la Chine et l'Inde ne s'y sont pas trop trompés et avancent résolument sur la voie des RNR, dont ils ont bien perçu l'importance stratégique.

Les détails de la conception du projet Astrid, qui a tout son sens dans un contexte de collaboration internationale, demeurent ouverts. Il faut en mener l'analyse d'ici à 2019, sereinement, en percevant clairement et sans ambiguïté l'intérêt de mener à bien ce projet.

Last but not least, il ouvre la possibilité de développer une filière valorisant soixante-dix ans d'investissement du contribuable, dans laquelle la France a une avance avérée. Cet argument est d'autant plus recevable que le nucléaire a un avenir dans le monde –200 centrales sont en construction ou programmées, ce qui n'est pas tout à fait rien. Cela suppose que la filière nucléaire française soit remise au carré, et que ses dirigeants disposent d'une vraie stratégie, qui ne se borne pas à équilibrer les lignes ou à faire des annonces médiatiques.

Voilà les informations auxquelles les décideurs politiques avaient accès, quand bien même ils n'auraient pas lu ou fait lire les rapports détaillés précédemment transmis et que leurs conseillers techniques avaient eus en mains.

Il est très important de comprendre que la filière à neutrons rapides est la clé de la fermeture du cycle, laquelle est la clé d'un nucléaire durable et indépendant en matière de ressources, et qu'à ce titre, c'est un outil de souveraineté nationale, du point de vue énergétique et du point de vue industriel. La capacité industrielle à construire des réacteurs nucléaires dans la durée étant essentielle pour répondre aux besoins industriels de la propulsion nucléaire, donc à la crédibilité de la dissuasion, le nucléaire durable est aussi un outil essentiel de la souveraineté nationale au sens militaire.

S'agissant d'un outil de souveraineté, il est indispensable de réfléchir aux collaborations internationales éventuelles dont il peut faire l'objet et à leurs implications géopolitiques. Tel était précisément l'objet de la collaboration avec le Japon.

L'abandon de la filière avec l'arrêt d'Astrid est plus qu'une erreur : c'est une faute grave. Espérons que nous saurons la rattraper sans en commettre de plus graves encore en matière d'abandon de souveraineté ! Non sans oublier les mots cruels de Jonathan Swift : « Pourquoi espérer qu'ils écoutent des conseils quand ils ne sont pas même capables d'entendre des avertissements ? ».

Au cœur du problème se trouve la question de l'instruction scientifique des dossiers politiques. La faiblesse des analyses sur lesquelles se fondent les décisions de l'État interroge, du moins dans le domaine de l'énergie, que je connais.

La doxa prônant le passage de 75 % à 50 % de la capacité électronucléaire dans le mix énergétique, la confusion entre puissance installée et puissance délivrée, l'omission des coûts de réseaux et de stockage dans l'évaluation des aspects économiques des différentes sources d'électricité et le refus de procéder à une analyse de fond des expériences menées par nos voisins témoignent au mieux d'une naïveté confondante.

La propension à considérer que les technologies en développement, telles que l'hydrogène comme vecteur énergétique et les réseaux électriques intelligents, peuvent être massivement et immédiatement déployées en situation d'urgence climatique, témoigne d'une méconnaissance profonde de leurs délais de développement. Si l'on doit réagir à une urgence, on doit utiliser en priorité des technologies disponibles. Or l'urgence climatique est patente depuis au moins dix ans.

À l'inverse, la procrastination dans le domaine du nucléaire et la politique d'annonces, dans l'attente de décisions concrètes de mise en chantier, démontrent une ignorance stupéfiante de l'inertie intrinsèque des industries lourdes et de la nécessité d'une vision stable à long terme pour conserver au bon niveau l'outil industriel. L'incapacité à penser le système énergétique dans son ensemble fait des programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE) des « colliers de perles gadgets », alors même que nous avons besoin d'un câble robuste.

Ces constatations sont autant de signes que l'analyse scientifique et technique a déserté les rouages décisionnels de l'État sur ces sujets.

Votre commission d'enquête peut et doit rechercher les responsables du désastre. Mais la situation est trop grave pour se contenter d'un coup de com' consistant à faire venir telle ou telle « star ». Au-delà des anciens ministres que vous pouvez auditionner pour le fun en étant à peu près certain de n'avoir que des effets de manche, c'est dans la structure des cabinets et de la haute administration, qui sont censés analyser les dossiers pour instruire les décisions politiques, qu'il faut chercher les rouages de la machine infernale qui détruit mécaniquement notre souveraineté énergétique et industrielle.

Pourquoi, en six ans de mandat et malgré mes demandes réitérées, le comité à l'énergie atomique n'a-t-il été réuni que deux fois, dont une seule dans sa configuration légale, et non chaque année, comme il l'a été s'agissant du nucléaire militaire, soit dit en passant ? Pourquoi est-il rarissime de recevoir un retour sur un rapport technique ? Pourquoi tant de rapports, tels le rapport d'Escatha-Collet-Billon, disparaissent-ils sans laisser de traces ? Pourquoi les avis réitérés de l'Académie des sciences et de l'Académie des technologies sont-ils reçus dans un silence poli ?

Ces dysfonctionnements ont des causes profondes.

La première est malheureusement l'inculture scientifique et technique de notre classe politique. Au temps de la génération qui a reconstruit le pays, les élèves de l'ENA recevaient un cours de Louis Armand, arrière-grand-père de votre rapporteur, sur les sciences et les technologies de la France industrielle. Il faut avoir eu ce cours en mains pour comprendre ce que cela signifiait. Sans faire d'eux des ingénieurs, il leur donnait la mesure du problème. Cette connaissance les rendait bien plus efficaces que ne le sont des ingénieurs n'ayant d'ingénieur que le titre.

La seconde est le rôle des conseillers techniques dans les cabinets ministériels. Quel que soit le prestige de leur diplôme, ils sont censés conseiller, sur des sujets qu'ils ne maîtrisent généralement pas, un ministre qui ne se pose même pas la question. Trop souvent, leur préoccupation première est de ne dire à leur ministre que ce qu'il a envie d'entendre, pour ne pas nuire à leur carrière à venir. Il n'est guère surprenant que lesdits conseillers ne manifestent qu'un enthousiasme limité à l'idée de réunir un comité à l'énergie atomique qui aurait tôt fait de mettre à jour leurs lacunes.

Au fond, par-delà la question du nucléaire et de la souveraineté énergétique, c'est l'instruction scientifique et technique des dossiers politiques qui doit être repensée de fond en comble. Que les corps techniques de l'État forment correctement leurs jeunes au lieu de se contenter d'être les chiens de garde de chasses gardées ! Que les conseillers soient en état de conseiller, ce qui suppose qu'ils réapprennent à analyser le fond des dossiers et à l'éprouver auprès des experts qui leur font rapport, au lieu d'être nommés sur la foi d'un titre fraîchement acquis !

De telles instances existent ailleurs, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, et fonctionnent. J'ai eu à examiner les rapports Quadriennal Energy Review (QER) et Quadriennal Technology Review (QTR) sur la transition énergétique produits sous la présidence de Barack Obama, qui ont été transmis au ministère de l'environnement et au ministère de l'industrie français, ainsi qu'aux cabinets du Premier ministre et du Président de la République, avec le succès que vous imaginez. Ils figurent parmi les documents que je vous laisserai. Leur lecture est éclairante. La qualité du travail effectué reflète la rigueur de la procédure et l'intérêt, pour l'exécutif américain de l'époque, de disposer d'un avis. Il serait peut-être temps de s'y intéresser.

J'en viens aux questions que vous m'avez transmises avant la présente audition, en guise de synthèse de ce que je viens de vous asséner, certes en un peu plus de dix minutes, mais ces sujets ne peuvent pas être traités à la va-vite. Nous devons réfléchir sérieusement à ce qui s'est passé ainsi qu'aux moyens d'en sortir et d'éviter que cela ne se reproduise.

– Pouvez-vous présenter le périmètre de vos fonctions de Haut-commissaire ? Comment ses fonctions s'articulaient-elles avec celles de l'administrateur général du CEA ? J'ai déjà évoqué les missions de conseil de l'exécutif et de l'administrateur général du CEA.

– Lors de votre prise de fonction en 2012, quel jugement portez-vous sur les activités du CEA et leur adéquation avec les enjeux d'indépendance énergétique notamment ? Outre les considérations qui précèdent, je considère que le CEA remplissait convenablement ses missions s'agissant du nucléaire civil et militaire. S'agissant des énergies renouvelables (ENR), le CEA avait une stratégie opportuniste, découlant d'exigences gouvernementales essentiellement pilotées par des agendas politiques.

La mutation du CEA en Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEAEA) témoigne de cet opportunisme et de la volonté de l'établissement, grande maison aux volontés impérialistes nullement négligeables, de préempter ce sujet chéri dans les ministères. Au sein du CEA, les ENR constituaient un État dans l'État, dont le patron avait son rond de serviette au ministère. En revanche, la défense de son action dans le domaine du nucléaire civil, qui n'était pas bien en cour, a été une lutte de tous les instants, menée courageusement par les deux administrateurs généraux avec lesquels j'ai travaillé.

– Comment définissez-vous la souveraineté énergétique ? Ce concept était-il au cœur des préoccupations du CEA lorsque vous étiez Haut-commissaire ? Comment associez-vous ce concept à celui de l'indépendance énergétique ? Et à celui de la résilience ?

Répondre à ces questions n'est pas facile. La souveraineté énergétique, à mes yeux, se définit comme la capacité à fournir au pays, tant à ses citoyens qu'à ses industriels, les quantités et les puissances nécessaires, en maîtrisant les technologies permettant de le faire et en dépendant uniquement, s'agissant des ressources, de pays alliés et diversifiés.

La notion de souveraineté industrielle est – hélas ! – une découverte récente dans les instances gouvernementales. En six ans d'exercice de mes fonctions, je n'ai jamais entendu ce mot ailleurs que dans le secteur de la défense. Chaque fois que je l'ai prononcé, je me suis heurté à un mur d'indifférence. La souveraineté était au cœur des préoccupations de l'administrateur général Daniel Verwaerde, qui avait été – hasard ? – directeur des applications militaires du nucléaire avant de diriger le CEA.

– Quelle place avaient les concepts de souveraineté et d'indépendance énergétique dans la politique énergétique française pendant l'exercice de vos fonctions de Haut-commissaire ? Si elle faisait partie des priorités, de quelle façon cette thématique était-elle traitée ?

Les instances gouvernementales que j'ai servies n'avaient pas, en dépit d'avertissements répétés, la souveraineté et l'indépendance énergétiques dans leurs priorités. Le suivisme à l'égard de la politique énergétique de nos voisins allemands a été total. Le CEA a défendu des positions visant à assurer la viabilité du nucléaire, en maintenant les compétences dans la physique des réacteurs et la physico-chimie du combustible, ainsi que dans les technologies du démantèlement et de la gestion des déchets, et en poursuivant la politique de fermeture du cycle nucléaire qui faisait l'objet du projet Astrid.

– Quel était l'état du suivi de la sécurité d'approvisionnement du combustible nucléaire lors de votre mandat ? Était-ce une préoccupation ?

La politique de fermeture du cycle était la composante essentielle de cette réflexion. N'ayant pas été associé aux négociations internationales sur les ressources en uranium, je ne peux pas répondre à ces questions.

– Comment jugez-vous la chaîne de décision publique en matière de politique énergétique ? Les institutions et pratiques ont-elles permis que les scientifiques puissent exposer clairement les problématiques aux décideurs ?

Vous ne serez pas surpris de ma réponse : la politique énergétique du pays a été décidée par un canard sans tête. La chaîne de décision publique est désastreuse. En dépit de mes requêtes répétées, je n'ai jamais obtenu l'examen quantitatif de l'impact des décisions prises ni sur le bilan CO2 du pays, ni sur la souveraineté.

En matière de politique énergétique, j'ai vu l'exact opposé du travail effectué au même moment aux États-Unis, sous la présidence de Barack Obama, et au Royaume-Uni. L'analyse scientifique des dossiers était systématiquement ignorée, broyée par un effet de cour au service des gouvernants plus qu'à celui du pays.

– Quels grands projets nucléaires ont été menés pendant l'exercice de vos fonctions ? Pouvez-vous expliciter les raisons ayant motivé les choix de lancer ces projets ?

Faute de soutien gouvernemental, la plupart des grands projets sont restés au stade des études scientifiques, notamment sur la physique des cœurs et l'analyse d'accidents graves. De nombreux dispositifs ont été arrêtés, notamment des outils de recherche, faute de moyens pour les maintenir.

L'arrêt du réacteur Osiris est totalement injustifié. Il a d'ailleurs des conséquences graves sur la disponibilité des isotopes médicaux. Il devait être compensé par le démarrage du réacteur Jules Horowitz, qui a connu des difficultés de réalisation reflétant la dégradation des compétences industrielles en la matière et l'imprécision de la définition initiale dans le cahier des charges. Le projet Astrid combinait une dynamique scientifique, une collaboration internationale, la relance de la compétence industrielle et une garantie de la pérennité, si nécessaire, du nucléaire, grâce à la fermeture du cycle du combustible.

– À l'inverse, quels sont les projets auxquels il a été renoncé, et pour quelle raison ? Pouvez-vous, en particulier, évoquer le programme Astrid ?

Nous avons fermé des dispositifs de recherche pour des raisons budgétaires, ce qui nous a placés dans une situation de dépendance en matière de données de neutronique et d'accidents de criticité dans la fabrication du combustible. L'arrêt du programme Astrid a été pris au plus haut niveau de l'exécutif, par le Président de la République et le Premier ministre. Toutes les informations étaient disponibles et ont été sciemment ignorées.

Je ne sais pas si tel a été le cas pour des raisons budgétaires – investissement dont l'utilité se fera sentir d'ici à une ou deux décennies – ou idéologiques – pari de sortir du nucléaire rendant inutile le nucléaire durable. Dans le premier cas, il s'agit d'un raisonnement de chef comptable, qui n'est pas à la hauteur de responsables politiques censés avoir une vision à long terme. Dans le second cas, il s'agit d'inconscience, puisque cela revient à sauter d'un avion en pariant qu'on aura tricoté, en cours de chute, le parachute qui évitera de s'écraser au sol.

Quelle que soit la cause de cette décision, elle constitue pour moi une faute historique grave contre les intérêts de notre pays et une destruction de souveraineté énergétique patente, dès lors que les RNR nous auraient assurés, en brûlant nos 300 000 tonnes d'uranium enrichi, des siècles d'indépendance énergétique.

– Au vu de votre expertise, dans quel état jugez-vous la filière nucléaire française, y compris en comparaison internationale ?

La filière électronucléaire française demeure un atout du pays. En héritage de décennies d'investissement, les compétences scientifiques et techniques demeurent au sein du CEA, d'EDF, de Framatome et d'Orano. Lorsqu'elles sont mobilisées dans un contexte où l'outil industriel est fiable et la réglementation stable, par exemple en Chine et au Royaume-Uni, nous voyons que l'atout industriel existe encore et reste de bon niveau.

Toutefois, il faut bien admettre que les tergiversations multiples des gouvernements successifs dans la politique nucléaire ont grandement endommagé la réputation de la France comme partenaire fiable – mais pas son image de ressource de compétences « à pomper », ce qui n'est pas exactement la même chose qu'un partenariat. En ce qui concerne l'industrie nucléaire à l'export, les pays qui gagnent sur les marchés internationaux sont ceux dont la filière est fortement soutenue par leur État, comme le démontrent les exemples de la Corée du Sud, de la Russie, de la Chine et à présent des États-Unis.

Le drame de l'électronucléaire français, qui est techniquement solide s'il est associé à un tissu industriel mobilisé, a trois causes. Tout d'abord, la perte, depuis une trentaine d'années, du tissu industriel et des compétences en matière de gestion des très grands projets, dont nous n'avons pas fini de subir les conséquences dans de nombreux secteurs. Ensuite, l'absence de politique claire et la multiplication de discours non suivis d'actions concrètes depuis plusieurs années – le contraste avec le plan Messmer est cruel. Tant qu'il n'y aura pas de politique claire avec des engagements clairs et concrets dans la durée, le domaine du nucléaire restera en dessous de ce qu'il doit être. Enfin, la conjonction de flottements décisionnels, de politiques pusillanimes, de dirigeants d'entreprises ayant peur de leur ombre et de froisser le prince, et la démultiplication d'autorités de sûreté dont le travail de qualité est entravé par des communications intempestives. Tout cela rend très difficile la conduite d'une politique industrielle et énergétique rationnelle, et amène à mettre hors service, au pire moment, des outils industriels qui pourraient remplir leur fonction de façon tout à fait sûre.

Les atouts restants du nucléaire français peuvent et doivent contribuer à la souveraineté industrielle et énergétique du pays, ce qui suppose – j'espère que votre commission d'enquête fera passer ce message – de prendre enfin le taureau par les cornes. Il faut prendre conscience du caractère essentiel de l'énergie et de l'atout que nous avons en mains en cessant de le sacrifier à une soumission sans discernement à des intérêts qui ne sont pas les nôtres. Il faut comprendre enfin la temporalité des actions : on répond aux exigences du jour avec les technologies disponibles, on prépare l'avenir par la recherche, on réalise aujourd'hui par les investissements qui ont été décidés hier. Il faut instruire correctement les dossiers, indépendamment des effets de cour et des idéologies. Il faut nommer aux postes clés des personnes compétentes et courageuses ayant le sens du bien public.

Ce sont des Marcel Boiteux, des Michel Hugues, des Jean-Claude Leny, des André Giraud, des Robert Dautrey qu'il faut mettre aux manettes ! Je suis persuadé qu'ils existent encore, mais on ne les trouve pas courbés dans les couloirs des ministères ni pliés dans les valises des compagnons de route.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.