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Intervention de Asma Mhalla

Réunion du mercredi 7 décembre 2022 à 9h05
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Asma Mhalla, spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques du numérique, enseignante à Sciences Po et à l'École polytechnique :

L'hystérisation de la guerre technologique entre les États-Unis et la Chine se cristallise autour de la question des semi-conducteurs. La stratégie américaine est se joue autour d'alliances informelles visant à arsenaliser les interdépendances. Les États-Unis cherchent ainsi à contrôler les points nodaux du système d'accès, et instrumentalisent et conflictualisent leur position dominante, notamment sur les semi-conducteurs. L'enjeu est d'isoler la Chine par la construction de ces coopérations très avancées qui sont encore en phase d'instauration, et de bloquer le développement de la Chine sur les puces de dernière génération. Cette logique interroge l'Union européenne et la France sur leur propre stratégie pour développer des technologies critiques et duales – civiles et militaires à la fois. Or, cette dualité de la technologie participe de la refondation de notre système national d'innovation, qui repose aussi sur une imbrication du public et du privé.

Il est vrai que nous souffrons d'un problème de capital humain. Je suis cependant moins pessimiste que M. Babinet, car nous possédons des laboratoires de recherche, même si leurs moyens restent insuffisants. Leur développement dépendra d'arbitrages budgétaires, mais également de notre manière de repenser le système d'innovation national. En effet, le système français est en déperdition, et la multiplication des guichets le rend difficilement lisible. La difficulté française en la matière, avant même d'être d'ordre budgétaire, est d'ordre culturel. Nous manquons d'agilité, alors même que la petite taille de la France devrait lui permettre de l'instaurer, dans l'ère des empires que nous traversons. Cet héritage mériterait d'être amendé au regard des nouveaux paradigmes d'innovation à l'œuvre dans le monde.

Nous avons évoqué la question de l'éducation aux médias, mais cette expression est finalement si vaste qu'elle en perd son sens. Ainsi, nous n'avons pas mentionné le problème de la fracture numérique, qui ne concerne pas seulement les réseaux, mais aussi l'analphabétisme et les usages. Je suis donc d'accord pour reconnaître que nous devrions favoriser la porosité entre l'école et la société civile. Cette question est d'ailleurs inscrite dans le DSA, puisque l'Arcom seule ne sera pas en mesure de mener tout le travail de modération qui sera nécessaire. La régulation tripartite participe de cette logique. La centralisation du pouvoir doit être corrigée, pour laisser place, dans un second temps, à une décentralisation et une construction en ilots. C'est la raison pour laquelle l'architecture du DSA est encore en train d'être étudiée.

Je retiens du rapport de Reporters sans frontières l'enjeu de mieux flécher et hiérarchiser l'information. Le journalism trust initiative propose ainsi de certifier la traçabilité des contenus. Le manque de cohésion générale que nous observons nous amène en effet à ne pas viser une vérité, comme concept philosophique, mais plutôt de nous intéresser à la fiabilité et à la vérification de l'information. Ce système pourrait remettre davantage d'ordre dans la masse des contenus diffusés. Par ailleurs, Reporters sans frontière mentionne largement la concentration et la gouvernance des médias ainsi que l'indépendance éditoriale des journalistes. Je vous renvoie, à ce titre, aux travaux de Julia Cagé.

La compréhension de nos filières stratégiques pour être en mesure de soutenir le rapport de force ne s'appuiera pas sur la création de géants ou par la duplication de modèles qui ne sont pas les nôtres. Il me semble au contraire que nous devrions privilégier des stratégies de niche.

La question des cyberattaques est liée à celle de l'information, puisqu'elle rappelle l'enjeu de la protection des données. Surtout, dans le cadre des guerres hybrides, la série de cyberattaques qui a ciblé les hôpitaux et services publics français a révélé la fragilité de nos infrastructures. Je crains que ces attaques ne soient un test de notre résilience. Or, si notre doctrine cyber est de bonne facture, la résilience des infrastructures, qui passe par la mise à jour permanente des systèmes d'information et des compétences humaines et techniques, reste un chantier sur lequel nous devrons continuer à avancer. En outre, si ces cyberattaques sont menées par des groupes criminels, elles révèlent des failles qui pourraient profiter à des intérêts nationaux, comme le montre la guerre en Ukraine. Enfin, la cyberdéfense est liée à la cybersouveraineté.

Aux États-Unis, au-delà de Twitter, TikTok fait l'objet d'appels à interdiction de la part de certains républicains. Trump avait en effet invité à considérer cette plateforme comme un outil d'ingérence chinoise et de captations des données. Une audition récente du FBI estimait que TikTok soulevait un potentiel enjeu de sûreté nationale, qui pourrait légitimer son interdiction. La Commission européenne va commencer à se pencher sur cette question, qui mérite d'être posée, de même que pour tous les outils numériques. Plus largement, nous devons nous demander quel est notre modèle politique, et quel nouveau contrat social nous souhaitons construire autour et avec ces technologies, plutôt que contre elles.

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