Intervention de Gilles Babinet

Réunion du mercredi 7 décembre 2022 à 9h05
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Gilles Babinet, co-président du Conseil national du numérique :

Le rapport de Reporters sans frontières est très équilibré, et le Conseil national du numérique a salué ce travail. Les pistes proposées vont en effet dans la bonne direction. L'Institut Montaigne a publié en 2020 un rapport intitulé Internet : le péril jeune  ?, qui évoque la relation aux médias et à la vérité. Nos recommandations s'inscrivent dans une dynamique similaire.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué les questions de participation. Le DSA comprend des dispositions à cet égard. En entrant dans un principe ex ante, nous devrons proposer une co-modération avec les utilisateurs des plateformes – ce qui existe déjà à très grande échelle, notamment dans le cas de Wikipédia. Vous m'avancerez peut-être qu'il ne s'agit pas d'une plateforme très fiable ; toutefois, des travaux de l'université d'Oxford ont attesté d'un plus faible nombre d'erreurs par page sur Wikipédia que sur l'Encyclopædia Britannica. Pour tenter de remédier aux nombreuses erreurs qui touchent, en réalité, pour une grande majorité d'entre elles, le personnel politique, Wikipédia a instauré des comités transpartisans de surmodération. Sur d'autres plateformes, comme GitHub, des arbitrages très puissants sont émis sur les millions de commentaires postés chaque jour sur des sujets potentiellement polémiques. Des universités américaines ont défendu l'initiative Gitlaw, qui consiste en un travail de collaboration pour tenter de produire des textes de loi à cet égard.

Je n'ai pas insisté sur le rôle de l'école, car depuis dix ans, j'ai constaté le défi quotidien que représentait le bon fonctionnement du système éducatif. Les personnels du Clemi, du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) ou de la direction générale de l'enseignement scolaire rappellent fréquemment que les enseignants français sont responsables de soixante missions, alors que la moyenne s'élève à dix-sept dans l'OCDE. Dans les pays scandinaves, si l'école fonctionne mieux, cela s'explique aussi par le contexte et le rôle joué par la société civile. Un professeur ne peut être performant dans soixante disciplines. Ainsi, la grande force du système danois est l'interpénétration entre la société civile et le système éducatif pour remplir ces missions. Dans le cadre de ma participation à l'initiative « 100 000 entrepreneurs », je prends régulièrement la parole en milieu scolaire. Je suis toujours très surpris de constater l'étanchéité de l'école vis-à-vis du reste de la société.

Plusieurs d'entre vous m'ont interpelé sur la notion de souveraineté. Il est intéressant de comparer les caractéristiques des systèmes d'innovation : la France possède vingt-quatre licornes ; Royaume-Uni en compte quarante-sept, ainsi que six décacornes, qui désignent les entreprises dont la valeur est supérieure à 10 milliards d'euros, alors que la France n'en a aucune. L'une des différences entre ces deux pays est l'incubation universitaire. La moitié des licornes et l'ensemble des décacornes britanniques sont issues du système universitaire, et notamment de Cambridge, qui a produit dix-sept licornes. Le système d'éducation français est déliquescent. La France consacre 2,2 points de PIB à la recherche. 60 % de ce financement est versé par l'Agence nationale de la recherche (ANR). 3,5 % de notre PIB est consacré au système de recherche et de l'enseignement supérieur, contre 4 % en moyenne dans l'OCDE, et jusqu'à 5 % aux États-Unis ou 7 % environ en Corée. Sans investissements majeurs dans le système universitaire et dans sa capacité d'excubation, nous ne saurons parvenir à une quelconque souveraineté.

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