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Intervention de Gilles Babinet

Réunion du mercredi 7 décembre 2022 à 9h05
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Gilles Babinet, co-président du Conseil national du numérique :

Le Conseil national du numérique et moi-même nous sommes toujours montrés réservés sur la loi « Avia ». Nous pensons que les enjeux de constitutionnalité à maintes reprises dénoncés à son égard sont problématiques. Je suis heureux de voir que le DSA a permis de remettre de l'ordre dans le débat en la matière.

La plus importante limite du DSA est la réduction du montant des amendes de 10 % à 6 %, décidée dans la dernière ligne droite de la présidence française. Lorsque des amendes sont prononcées contre les Gafam, aux États-Unis ou en Europe, leur cours en bourse remonte en réalité dans la journée même. Ces entreprises ne prendront en compte les contraintes de la régulation que si les amendes deviennent significatives, et représentent plusieurs mois de chiffre d'affaires, et non quelques jours – voire, quelques heures, dans certains cas. Il est essentiel que nous durcissions cette contrainte.

En s'assurant que les médias ne sont pas des vecteurs de désinformation, le DSA et le DMA œuvrent pour le financement des médias. L'application de ces textes nous permettra probablement d'assister à une volonté des plateformes de s'appuyer davantage sur les médias officiels.

L'ouverture des données publiques est un sujet fondamental. Il me semble que cette question soulève, plus encore, celle du nouveau modèle productif à venir, aboutissant au passage d'une organisation en silo à un fonctionnement transversal. La circulation de la donnée devient alors fondamentale. L'État français tente de débloquer les données depuis plus d'une dizaine d'années. Les résultats restent selon nous insuffisants, en raison, notamment, de la qualité des compétences disponibles.

Vous m'avez interrogé sur la place de l'intelligence artificielle dans les systèmes administratifs. L'intelligence artificielle est un facteur massif de productivité. Avant de se préoccuper des risques, il faut prendre la mesure des opportunités induites. Je ne nie pas l'existence de risques, mais je m'inquiète de la surestimation de ces derniers, qui est une tendance prépondérante en France. Les États-Unis et la Chine ont pris conscience du potentiel de domination économique et de souveraineté dans l'espace cyber et militaire que représente l'intelligence artificielle. Or, le plan intelligence artificielle adopté par la France est insuffisant, tant dans son application que dans son dimensionnement.

Il est notable que l'Ukraine soit l'un des pays les plus résistants aux cyberattaques. Le pays est resté connecté à internet – bien que sur les lignes de front, cette connexion ait été assurée grâce aux stations Starlink. 10 % des 66 millions de codeurs de la plateforme GitHub sont ukrainiens. La situation de nos services publics en ce domaine, au contraire, est particulièrement alarmante, et représente un risque important pour notre souveraineté. La France souffre d'un manque de compétences. Nous devons former davantage d'ingénieurs et de techniciens spécialisés dans le numérique, mais également actualiser la formation des ingénieurs actuels.

Vous m'avez interrogé sur l'Europe du futur. Nous devons d'abord retrouver de l'autonomie dans la gravure des semi-conducteurs d'une taille inférieure à 12 nanomètres. Les États-Unis ont investi 52 milliards dans ce domaine, contre 40 à 48 milliards de la part de l'Union européenne. Par ailleurs, il est impératif d'agir rapidement sur ce plan. Intel ou Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) doivent installer des fonderies en Europe. L'une d'entre elles sera implantée en Allemagne. Sept ou huit seraient nécessaires dans l'Union. En France, aucune fonderie n'est capable de graver les semi-conducteurs d'une taille inférieure à 25 nanomètres. Or, les systèmes d'armes, et notamment les missiles, ont besoin de ces équipements pour fonctionner correctement.

Par ailleurs, nous devons être en mesure de traiter des données de haute volée. Les plateformes font partie du monde de demain et ne seront pas démantelées, car elles sont à l'origine de la création d'écosystèmes numériques et elles permettent de centraliser des données dans les pays où elles sont implantées. Nous devons faire apparaître ces plateformes en Europe. Je vous invite à consulter les travaux que j'ai publiés à l'institut Montaigne sur le retard accumulé par l'Europe en matière de capital-risque, dont le montant est repassé sous les 100 milliards d'euros d'investissements. Les États-Unis investissent pour leur part 480 milliards de dollars – un montant qui s'élèverait à 160 milliards de dollars pour la Chine et à 120 milliards de dollars pour l'Inde.

S'agissant de la souveraineté économique, je salue le soutien de la France à une taxe à 15 % sur les profits des entreprises. Il est primordial d'appliquer cette disposition, dont plusieurs pays européens retardent l'entrée en vigueur.

Les acquisitions de start-up sont bienvenues. En effet, lorsque des fondateurs d'entreprises s'enrichissent, ils réinvestissent leurs fonds dans l'économie locale et favorisent l'émergence d'un écosystème numérique. L'isolation vis-à-vis des États-Unis, qu'ont cherché à établir de précédents ministres de l'Économie, met notre écosystème en danger.

Enfin, l'Europe reste l'espace qui produit le plus de prix Nobel, de médailles Fields, de diplômés en licence, en master et en doctorat. Le capital humain existe ; seulement, il n'est pas suffisamment synchronisé, contrairement aux États-Unis, qui s'appuient pour cela sur des investissements fédéraux. 3,5 % de PIB y est investi dans la R&D, et 1 % de grants fédéraux sont synchronisés à l'échelle des universités fédérales, principalement à destination des technologies de l'information. Je suis convaincu que le retard européen est largement dû au fait que nos initiatives sont isolées les unes des autres.

En outre, le numérique reste la principale force à l'œuvre pour décarboner les systèmes de production industrielle, les supply chains, les manières d'habiter les bâtiments et les systèmes de transport. L'Europe pourrait réussir à devenir souveraine sur l'enjeu environnemental, en s'appuyant notamment sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et l'ensemble des régulations à cet égard. Le lien entre environnement et numérique doit être accentué, en formant de nouvelles compétences à la croisée de ces deux domaines.

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