En 1982, je suis entré chez TechnicAtome, où je suis resté huit ans. Je suis entré au CEA en 1990 pour créer la direction des technologies avancées, qui était en charge de toutes les activités technologiques non nucléaires du CEA – en particulier la microélectronique – auxquelles contribuait notamment le Laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (Leti), à Grenoble. J'ai été nommé administrateur général adjoint en 1992 et administrateur général en 1995. À cette époque, EDF était en train de terminer la construction des quatre réacteurs de type N4. La production électronucléaire était très importante, on était même dans une situation de surproduction et on exportait beaucoup.
C'était une situation confortable et le CEA était tourné vers l'avenir. Tous les pays maîtrisant l'énergie nucléaire étaient équipés de réacteurs à eau, bouillante ou pressurisée, dits de deuxième génération. Nous nous sommes demandé s'il était possible d'aller encore plus loin en matière de sûreté et de passer à une troisième génération de réacteurs. La question qui nous animait était la suivante : en cas d'accident ultime, c'est-à-dire de fusion du cœur nucléaire, pouvait-on garantir de façon certaine, déterministe, que l'on serait capable de contenir le cœur fondu à l'intérieur de l'enceinte de confinement, de façon à ne pas avoir à évacuer les populations environnantes ?
Un énorme travail a été fait en ce sens, dans un cadre franco-allemand. Framatome et le département nucléaire de Siemens, Kraftwerk Union (KWU), ont alors fusionné. Ce travail a associé le CEA, Framatome, EDF et les deux autorités de sûreté, française et allemande.
Ces recherches avaient trois volets. Premièrement, il s'agissait de réduire la probabilité de fusion du cœur ; on visait une réduction d'un facteur 10. Deuxièmement, on envisageait le cas où, malgré toutes nos précautions, l'accident se produisait. Si le cœur avait fondu, comment maintenir la radioactivité à l'intérieur de l'enceinte de confinement, pour que rien ne sorte ? Il fallait inventer des dispositifs spécifiques. Troisièmement, il fallait faire toutes ces démonstrations de manière déterministe : cela signifie qu'on n'était pas dans le registre des probabilités. Beaucoup d'autorités de sûreté s'appuient sur des évaluations probabilistes de sûreté. Nous, nous voulions nous assurer que, si le cœur venait à fondre, rien ne sortirait.
Ces travaux ont pris des années et ont conduit à des innovations déterminantes. Je pense à toutes celles qui ont effectivement permis de réduire la probabilité d'un accident : l'instrumentation, le contrôle commande, la multiplication des circuits de sécurité. Mais je songe surtout au récupérateur de corium, ou core catcher, que peu de pays ont réussi à mettre au point. C'est un dispositif qui doit permettre de récupérer le cœur fondu s'il passe à travers la cuve et de l'étaler pour le refroidir, sur des couches de béton sacrificielles. Tout cela a été mis au point dans les installations du CEA à Cadarache. Le refroidissement se fait de manière passive et ne nécessite pas de sources d'énergie : c'est la gravité qui agit.
Les technologies conçues pour ce système ont atteint la totalité des objectifs. Les performances et les caractéristiques de ce réacteur ont été homologuées par les autorités de sûreté non seulement en France mais également au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Finlande et en Chine.