Ce dernier constat ne concerne pas l'Union européenne, mais le reste du monde. En Europe, nous assistons à un découplage entre croissance économique et baisse des émissions de gaz à effet de serre, grâce aux efforts produits en termes d'efficacité énergétique et à la désindustrialisation. La délocalisation des industries énergo-intensives a contribué à diminuer les émissions de CO2, tandis que le PIB continue à augmenter, grâce aux services et à d'autres secteurs, tels que l'agriculture, qui créent davantage de valeur.
Je pense que le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables va dans le bon sens, mais qu'il n'est pas suffisant. Le rythme annuel de déploiement des énergies renouvelables en Europe doit être multiplié par quatre, pour réduire notre dépendance au gaz russe dans le secteur de l'électricité, permettre l'accélération de l'électrification des usages, accompagner la croissance des nouveaux besoins et sortir du charbon.
En ce qui concerne le charbon, il ne faut pas avoir d'approche idéologique. Garder une centrale à charbon opérationnelle en réserve, pour assurer la sécurité des approvisionnements et la stabilité du système électrique en cas de crise, est absolument nécessaire. Il faut se montrer pragmatique. En revanche, il faut cesser d'utiliser le charbon quotidiennement pour produire de l'électricité.
Pour multiplier par quatre le rythme de déploiement des énergies renouvelables, il nous faut diviser par deux, voire par trois, le temps d'instruction des dossiers et de mise en chantier des projets d'énergies renouvelables. Un délai de six ou sept ans pour développer de grands parcs éoliens représente des coûts très élevés pour le développeur, ce qui conduit les grands groupes (Totalénergies, Engie, EDF, etc.), dont les objectifs sont globaux, à investir ailleurs, notamment aux États-Unis. De plus, une immobilisation de plusieurs années sur un projet empêche le développement d'autres projets, car les équipes sont mobilisées sur le premier d'entre eux.
L'accélération des procédures est une bonne chose, mais les moyens humains doivent être mis en adéquation. Ainsi, les ressources humaines des ministères, des préfectures et des tribunaux doivent être renforcées. Or, pour l'instant, il ne me semble pas que nous ayons pris la pleine mesure de ce défi.
De nombreux dispositifs sont mis en œuvre en Europe en faveur des énergies bas carbone, mais les États doivent accompagner et amplifier ce mouvement. Par exemple, les Projets Importants d'Intérêt Européen Commun (IPCEI) sont une dérogation aux aides d'État, mais force est de constater que les aides d'État sont extrêmement importantes en Allemagne et que tous les pays ne peuvent pas faire la même chose. Naturellement, les industriels allemands en tirent avantage. Le risque d'un tel système est de voir l'Europe se fragmenter.
Pour se prémunir de ce risque, il convient de se doter de leviers européens, de façon à permettre à des pays moins dotés (dont la France) d'accompagner ce mouvement. C'est la raison pour laquelle l'IFRI appelle de ses vœux un plan Schuman, pour sauver et développer nos industries. L'objectif d'un tel plan est non seulement de préserver nos industries et d'éviter une fragmentation européenne résultant d'une forme de « guerre » de subventions, mais aussi d'investir dans les sujets d'avenir. A ce propos, l'Union européenne s'est positionnée avec succès sur le segment des cellules de batteries. Des gigafactories seront développées et financées partout en Europe, y compris en France. Nous serons ainsi autonomes concernant les cellules de batteries ; nous ne dépendrons plus de la Chine sur ce point.
En revanche, nous continuerons à dépendre de la Chine pour ce qui est des métaux et des minerais, et de leur raffinage. C'est la raison pour laquelle une Alliance des matériaux critiques est en passe de se mettre en place à Bruxelles. Elle vise à mener des initiatives dans le secteur minier, en Europe et ailleurs. Cependant, cette ambition devra être accompagnée par des financements et des initiatives diplomatiques. Or nos relations avec l'Allemagne sont au plus bas actuellement. La France et l'Allemagne ont pourtant des intérêts communs à défendre. En effet, nous sommes tout autant vulnérables en ce qui concerne les enjeux liés à ces métaux. Il serait constructif de travailler avec les Allemands sur ce sujet, pour mobiliser des fonds, utiliser notre poids économique et diplomatique et obtenir des concessions minières dans des pays avec lesquels nous n'avons pas forcément l'habitude de travailler.
Les États-Unis mobilisent beaucoup plus d'argent que l'Europe et ont une véritable culture minière. Les activités minières y sont donc plus développées qu'en Europe. Néanmoins, l'exemple d'Imerys est tout à fait fabuleux. Il faut s'assurer de son succès, en l'accompagnant. Nous pourrions nous inspirer de ce qui se produit en Finlande depuis des années. La Finlande, chantre de l'environnement, souhaite atteindre la neutralité carbone bien avant la France, tout en étant un grand pays industriel. Il se trouve que l'activité minière y est très développée, même s'il est vrai que la Finlande est un pays beaucoup moins peuplé que la France. Nous avons tout intérêt à chercher à comprendre comment la Finlande a pu développer une activité minière acceptée par sa population, bien intégrée à l'environnement, et en impliquant tout l'écosystème local.
Par ailleurs, l'Europe se mobilise en faveur des gigafactories de production de cellules photovoltaïques (l'objectif est de fabriquer 30 gigawatts de capacités de production en Europe), mais aussi en faveur de l'hydrogène. Pour que ces initiatives portent leurs fruits, nous avons besoin d'une électricité décarbonée, dont les prix ne sont pas au niveau actuel, ainsi que d'un approvisionnement stable.
D'un point de vue historique, le reste du monde – celui-là même qui additionne des capacités de production d'énergie – a peu contribué au changement climatique et à la croissance des émissions de CO2. Le changement climatique est le fait des Européens, des Américains, de la Russie et, depuis 20 ans, de la Chine.
L'Inde et les pays d'Afrique sont encore dotés d'immenses capacités de centrales à charbon. Le premier enjeu est d'éviter d'en construire de nouvelles et il se trouve que nous nous approchons de cet objectif. Jamais aussi peu de nouvelles capacités « charbon » n'ont été construites dans le monde que cette année. Les pays qui en construisent encore, notamment la Chine, ont tendance à fermer de vieilles centrales pour les remplacer par des centrales beaucoup plus modernes et efficaces, donc moins polluantes. Aussi, le bilan climatique se révèle plutôt favorable.
Parallèlement, nous constatons des investissements massifs en faveur des énergies renouvelables. Cependant, la remontée des taux d'intérêt risque de priver un certain nombre de pays émergents d'accès aux capitaux.
Le deuxième enjeu est d'éviter que les nouvelles infrastructures industrielles qui seront construites dans ces pays pour accompagner l'urbanisation (cimenteries, aciéries, etc.) fonctionnent au charbon, car cela reviendrait à verrouiller des émissions de gaz à effet de serre dans la durée.
Le dernier enjeu consiste à investir pour fermer les centrales à charbon en activité, bien avant la fin de leur durée de vie technique, et développer les systèmes alternatifs. Nos entreprises pourront participer à cet effort d'investissement. Les émissions sont globales. Bien sûr, nous devons faire autant d'efforts que possible chez nous pour les réduire, mais les opportunités peu coûteuses pour diminuer les émissions sont ailleurs, c'est-à-dire dans les pays émergents. Ce mouvement peut bénéficier à nos industriels et à nos acteurs énergétiques. Cette piste mérite d'être envisagée de façon plus approfondie.