Les dernières grandes mobilisations des gouvernements en relation avec les défis géopolitiques de l'énergie étaient liées aux problématiques d'approvisionnement en gaz russe, au moment des crises gazières de janvier 2006 puis janvier 2009 et des crises en rapport avec le Nord Stream 2. A l'époque, considérant que le gaz russe était indispensable, la réponse apportée a consisté à faire en sorte de laisser le Nord Steam 2 se construire, en faisant fi de l'avis des pays d'Europe centrale, mais tout en progressant sur le chemin de la transition énergétique. Nous nous rendons compte aujourd'hui que cette réponse était insuffisante.
Nous avons vu émerger un autre enjeu, celui de la dépendance croissante à la Chine pour la fourniture d'équipements et de services liés à la transition énergétique (photovoltaïque, éolien). Nous avons alors découvert les défis liés aux approvisionnements en minerais et métaux critiques, mais, entre 2010 et 2020, rien n'a été fait. La France s'est mise en alerte grâce au rapport Varin et à la mise en place prochaine de l'observatoire des métaux critiques, mais ce n'est que récemment que l'Union européenne a reconnu la Chine comme un rival systémique et que nous avons compris que nous étions en période de guerre industrielle. Celle-ci porte non seulement sur la microélectronique, les technologies spatiales, le nucléaire civil, mais aussi sur les technologies bas carbone (éolien, batteries, minerais et métaux). Comme en témoigne la loi sur la réduction de l'inflation, l' Inflation Reduction Act, votée début août au Congrès américain, les grandes puissances se mobilisent en faveur du découplage avec la Chine, pour ne plus dépendre de matériaux et d'équipements chinois pour leur système énergétique, pour renforcer et relocaliser les chaînes de valeur sur leur territoire et pour préserver, voire développer, l'emploi sur leur sol.
Nous avons essayé, ces dernières années, de faire changer la Chine. Nous avons voulu faire en sorte qu'elle réduise ses subventions, qu'elle respecte davantage nos règles et qu'une certaine réciprocité soit instaurée, mais force est de constater que nous n'y sommes pas parvenus. Les États-Unis ont donc décidé d'agir comme la Chine et de réduire leur dépendance. Ainsi, le jour où la Chine s'en prendra à Taïwan, les États-Unis seront en mesure de mettre en œuvre des mesures de représailles, sans se trouver trop en difficulté.
En Europe, la situation est plus compliquée. Les 27 pays membres ont des capacités, des intérêts et des dépendances différents. En outre, il est difficile d'avoir une stratégie aussi cohérente et aussi forte en période de récession. Ces dernières années, la Commission européenne présidée par Ursula Von der Leyen, dont Thierry Breton est membre, a posé les jalons d'une vraie politique industrielle, mais le reste du monde progresse beaucoup plus vite que nous et est capable de mobiliser des moyens plus importants. Cela dit, des progrès sans précédent ont été accomplis. Ainsi, la stratégie du Green Deal a été présentée voilà trois ans. Certes, des éléments méritent d'être clairement renforcés, mais la question est avant tout celle de la posture. Aux États-Unis, l'idée que cette guerre économique doit être menée, par tous les moyens, fait consensus au sein de la classe politique. Le vote de l' Inflation Reduction Act par le Congrès en est la preuve. Le même élan manque en France et en Europe. Par conséquent, les défis s'accumulent et il devient difficile de rattraper notre retard.