Le potentiel de biogaz de la France est important. Il est le deuxième au niveau européen. D'après les rapports, il s'établirait à 130 térawatts-heures. C'est une énergie totalement locale, dont la production coûte cher, mais qui peut également apporter une partie de la réponse aux problèmes des agriculteurs. Nous sommes prêts à investir. Nous avons pour objectif de multiplier par dix notre capacité de production en France dans les dix années à venir pour atteindre 5 térawatts-heures. Je ne peux que vous encourager à développer les moyens de favoriser le développement du biogaz et du biométhane sur notre territoire. La seule limite qui se pose en France au développement du biogaz est la taille des exploitations, ainsi que la question de l'agrégation et des réglementations. Nous considérons qu'il existe une demande réelle de gaz décarboné de la part de clients qui utilisent du gaz et qui cherchent à améliorer leur mix. La France importait environ 70 térawatts-heures de gaz russe, ce qui représentait 17 % de la consommation française de gaz. Nous pourrions par exemple remplacer cette part par du biogaz.
Il est vrai que parler d'hydrogène n'a de sens que si l'on envisage des surplus d'électricité. Nous aurions besoin de quinze ou vingt réacteurs supplémentaires. Notre parc doit être renouvelé pour assurer la disponibilité de l'électricité aux Français, car nos centrales sont anciennes. Si la France ambitionne de devenir exportatrice d'hydrogène, il sera nécessaire de construire beaucoup plus d'électricité que ce que proposent les trajectoires actuelles. C'est la limite de l'hydrogène vert. La part de l'électricité dans le mix énergétique devrait passer de 20 % à 40 % pour assurer sa décarbonation. Pour faire de l'hydrogène vert, nous devrions apporter 50 % de capacités supplémentaires d'après nos calculs à horizon 2050.
Il est difficile de comparer les trajectoires énergétiques de la France et des États-Unis, qui ont d'immenses réserves de charbon, de gaz, de pétrole, dont notre continent est dépourvu. À ce titre, si vous n'avez jamais entendu TotalEnergies s'élever contre les lois qui interdisent les recherches d'hydrocarbures, ce n'est pas tant par refus d'interférer dans le débat politique national que parce que nous pensons que le potentiel résiduel est très faible. À l'échelle européenne, le Danemark a pris une trajectoire intéressante. Puisqu'il ne sera plus possible de produire d'hydrocarbures en 2050, le Danemark produit autant que possible en attendant cette date. TotalEnergies est le principal producteur de gaz au Danemark. Nous nous organisons pour que la trajectoire s'achève en 2050. Les réserves danoises de gaz seront de toute façon quasiment épuisées en 2050. Le seul pays qui dispose de réserves longues sur le continent européen est la Norvège — qui ne fait pas partie de l'Union européenne.
S'agissant des biocarburants de deuxième génération, nous devons essayer d'identifier, à travers les gisements de déchets municipaux, les lipides et les graisses. Il pourrait s'agir d'une source pour fabriquer des carburants aériens durables. Nous signons des accords avec Veolia et Paprec pour avoir accès à ces gisements. La recherche et le développement sont cependant moins avancés sur la deuxième génération de déchets ligneux, tels que le bois ou la paille. Nous n'arrivons pas à trouver d'effets d'échelle importants. Le rendement est extrêmement faible et il faut manipuler d'immenses quantités de déchets ligneux pour fabriquer des biocarburants. L'exploitation maximale de l'économie circulaire des déchets municipaux pour extraire les graisses et alimenter les bioraffineries me paraît donc une piste plus intéressante à explorer.
Pour atteindre l'objectif de zéro émission nette, étant donné que nous produirons encore des hydrocarbures en 2050, il est nécessaire de développer des puits de carbone, c'est-à-dire des forêts ou des stockages industriels de CO2. Ces derniers font partie de la panoplie de solutions dont nous disposons. Il est compliqué de faire accepter l'idée d'un stockage souterrain de CO2 aux citoyens. Le grenier à CO2 devrait être la mer du Nord. Une partie des plateformes offshores pourrait être réemployée à ce titre. Nous réfléchissons à des projets de ce type aux Pays-Bas et au Danemark. Un premier stockage a été construit en Norvège. Le stockage de CO2 sera donc nécessaire, mais il ne fournira pas l'intégralité de la solution au problème climatique. Par ailleurs, il me paraît plus facile de développer cette solution en mer que sur terre.
L'hydrogène se transporte très mal. L'importation ou l'exportation d'hydrogène se ferait plutôt sous forme d'ammoniac ou d'un mélange d'ammoniac et de méthanol, qui se transporte beaucoup plus facilement. Je ne suis pas convaincu par les projets de développement de méthaniers à hydrogène. L'hydrogène est transporté à une température de - 270 degrés — contre - 140 degrés pour le GNL — et des investissements très importants seraient donc nécessaires. L'économie de l'hydrogène en est encore à ses débuts, et il me paraît essentiel que nous commencions par identifier clairement les types de demandes. Le premier est local : nous avons annoncé hier avec Air Liquide d'importants investissements pour décarboner la production de la bioraffinerie de Grandpuits. Nous utilisons des graisses animales pour fabriquer des biocarburants et nous produisons dans la raffinerie un biogaz qui alimentera une machine à hydrogène, réinjecté pour faire d'autres carburants durables. Nous pourrons ainsi augmenter nos volumes de production grâce à une chaîne circulaire. C'est une innovation technologique que nous sommes fiers d'installer. Ce type de solution n'induit pas de transport d'hydrogène. Par ailleurs, l'hydrogène pourrait être utilisé comme carburant pour les poids lourds. Il n'est pas certain que cette solution soit réellement déployée.
M. Jancovici a raison de dire que les ressources dépendent totalement du signal prix. Il existe beaucoup de réserves de lithium, mais tant que le prix du lithium reste faible, sa production n'est pas développée. Les ressources naturelles pétrolières existent en très grande quantité sur la planète, mais nous ne les exploitons pas toutes. Cependant, l'histoire nous rappelle que nous devons rester prudents. Nous avons cherché à développer des hydrocarbures coûteux au Canada à base de sables bitumineux. Or, quand les cycles du pétrole sont peu élevés, nous perdons beaucoup d'argent. Nous n'investissons donc que dans des hydrocarbures que nous pouvons produire à moins de 20 dollars le baril. Ma règle, qui est cohérente avec la politique climatique de mon entreprise, est de ne pas développer de nouveaux gisements si les carburants sont chers. Nous éliminons donc une partie de nos réserves de notre potentiel de développement et de croissance.
La sobriété est la meilleure réponse à la problématique générale. Elle est le facteur commun de toutes les politiques, non seulement en raison du prix élevé de l'énergie, mais également pour réduire nos émissions. La sobriété a été le premier réflexe lors du premier choc pétrolier dans les années 1970. Je ne suis pas convaincu par le taux de 3 % d'efficacité énergétique par point de PIB nécessaires pour nous aligner sur la trajectoire zéro émission nette avancé par l'AIE. Un taux de 1 % à 2 % me paraît plus envisageable. Des efforts exceptionnels pourraient être menés sur quelques années, comme le fait l'État français, mais l'essentiel est de rester sur notre trajectoire. Il existe des technologies qui permettent de réaliser des économies. Elles ont un coût. J'ai récemment décidé d'allouer 1 milliard d'investissements supplémentaires pour les deux prochaines années avec comme critère 100 dollars la tonne de carbone. Nous investissons dans des projets qui nous permettront d'économiser davantage d'énergie à l'avenir.
Vous avez évoqué une nationalisation. L'entreprise vaut 150 milliards. Une telle décision revient à l'État français, et non à TotalEnergies. Par ailleurs, de nombreux acteurs, y compris européens, pensent que l'État français a toujours des participations chez TotalEnergies et nous perçoivent comme une entreprise partiellement publique.
Les capacités de regazéification du système énergétique européen ne seront stabilisées qu'à la fin de l'année 2024. Cinq à six années sont nécessaires pour construire une usine de GNL. La capacité mondiale est de 400 millions de tonnes. En 2026-2027, des usines dont la construction a été lancée aux États-Unis et au Qatar seront opérationnelles. Avant cette date, les capacités augmenteront très peu. L'Europe a représenté un véritable choc sur le marché du GNL, ce qui a expliqué l'envolée des prix. Nous avons dû ramener 40 millions de tonnes de GNL en Europe, soit 10 % du marché mondial supplémentaire. L'Europe en consommait déjà environ 20 %. Si nous devions remplacer tout le gaz russe, nous devrions importer 100 millions de tonnes. Les prix resteront donc probablement élevés dans les années à venir.
Le prix du gaz du marché européen a fortement augmenté pour deux raisons. Il a dépassé le cours mondial du GNL, car à la fin du mois d'août, une peur de manquer de gaz a animé le marché. En a résulté une forme de surenchère des cours du gaz, qui ont dépassé l'espace contrôlé. En outre, le marché manquait de liquidités. L'Europe cherche à définir un plafond, mais ce seuil ne pourrait être inférieur au prix du GNL mondial. Nous devrions fixer un niveau qui permettrait d'éviter les effets d'hystérésis qui aboutissent au rationnement des clients.
Il existe environ 1500 pétroliers au niveau mondial. En France, nous avons une obligation de pavillons marginale. Aux États-Unis, l'obligation de pavillons pour le raffinage a conduit la France à exporter de l'essence vers ce pays, car il est moins coûteux d'exporter du Havre à New York que d'utiliser les pavillons américains pour aller de la Gulf Coast à New York. Cette politique risque de renchérir le coût de l'ensemble des produits pour les consommateurs. La flotte mondiale est très importante, et nous avons une flotte permanente de dizaines de pétroliers sous contrats moyen et long terme pour assurer nos activités de négoce à l'échelle internationale.