Le stock de trois mois nous paraît suffisant, car nous n'avons jamais eu besoin d'une telle quantité de pétrole. Les points d'entrée de logistique pétrolière du pays sont relativement fournis. Il est vrai que les mouvements sociaux peuvent perturber ce fonctionnement. En l'occurrence, la récente grève a duré huit jours. Elle relevait d'un droit constitutionnel auquel nous ne pouvons pas nous opposer. Ces situations restent exceptionnelles. L'approvisionnement des Français a été affecté, notamment parce que deux entreprises ont été touchées en même temps. En outre, cette grève est intervenue peu après le lancement de notre opération de rabais sur l'essence. Les stocks étaient donc très bas, car les Français se sont précipités dans nos stations — et en semblaient très satisfaits.
Il existe par ailleurs des outils en matière de souveraineté. Le débat sur l'opportunité de recourir à la réquisition a trouvé un certain écho lors de cette grève. Il ne relève cependant pas de la responsabilité de l'entreprise privée de l'utiliser. Notre rôle était de trouver une solution en interne, ce que nous avons fait. Les pouvoirs publics, quant à eux, peuvent user d'outils légaux pour débloquer les approvisionnements. Il me paraît toutefois que nous devrions être en mesure de piloter un certain nombre de moyens d'accès en automatisant des vannes essentielles du pays, afin d'améliorer notre propre logistique sans dépendre d'un nombre limité de personnes. Il me semble néanmoins que les moyens d'accès au pays sont largement couverts. La France a en effet la chance de posséder une vaste frontière maritime.
La situation dans le domaine gazier est plus compliquée.
Si la capacité de regazéification en Europe est insuffisante, c'est avant tout parce que nous vous écoutons. Quand l'Europe affiche un objectif de sortie du gaz et des énergies fossiles à court terme, les investissements des industriels dans des terminaux de regazéification — qui nécessitent environ vingt ans pour être amortis — se font plus rares. Les États doivent donc s'interroger sur les infrastructures essentielles à l'approvisionnement. L'Allemagne ne s'est pas suffisamment posé cette question en raison de ses approvisionnements en gaz russe. La décision de l'Allemagne de ne pas construire de terminaux, en outre, est intervenue avant Fukushima et l'annonce de la sortie du nucléaire. L'épisode de Fukushima a fortement affecté les programmes nucléaires de tous les pays, y compris en France. Les Allemands ont décidé de sortir du nucléaire sans en mesurer toutes les conséquences. Malgré les relations géopolitiques complexes que nous entretenions avec la Russie, il a été décidé de recourir au gaz russe. Il revient au Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN) et à l'État plus largement de s'assurer, au vu des décisions prises et des évènements, que le système d'approvisionnement est correctement dimensionné. Or, les événements récents ont montré que sans gaz russe, nous n'avions pas assez de terminaux de regazéification en Europe. Les capacités françaises sont d'ailleurs récentes. En 2011, nous avons participé à la construction du terminal de Dunkerque. Il n'y avait autrefois que celui de Montoir, pour le gaz algérien ; nous avons racheté Fos Cavaou puis avons décidé de construire Dunkerque, car nous voulions importer du GNL. Notre capacité est suffisante pour subvenir aux besoins des consommateurs français, mais le système européen pourrait imposer la mise à disposition de nos partenaires d'une partie de cette capacité. À l'échelle européenne, il existe, en outre, un déficit en matière de stockage. Ainsi, la France et l'Italie ont des obligations de stockage de gaz tandis que d'autres pays en sont dépourvus. L'ouverture du marché unique gazier, décidée au début des années 2000, ignorait la perspective de l'arrêt du nucléaire. Cependant, la perspective climatique annonçait d'emblée que ce marché serait déclinant. C'est la raison de ce sous-investissement.
Cette année, TotalEnergies a décidé de ramener des terminaux flottants de regazéification en France et en Allemagne. Il s'agit de terminaux flottants, car il nous semblait difficile d'investir dans des terminaux fixes pour vingt-cinq ans. Les terminaux flottants, une fois la crise achevée, pourront être utilisés ailleurs si les besoins français diminuent.
Le système est actuellement sous tension. Les stocks sont pleins et nous ne devrions pas connaître de difficultés d'approvisionnement en gaz durant l'hiver 2022. L'hiver 2023 sera plus difficile à passer. En effet, durant les six premiers mois de l'année 2022, nous avons rempli nos stocks en partie avec du gaz russe. En février 2023, pour reconstituer nos stocks, nous ne disposerons que de GNL et nous n'aurons pas bâti l'ensemble de nos capacités de regazéification à l'échelle européenne. Toutefois, deux phénomènes permettront d'équilibrer l'offre et la demande. D'une part, la température influence la demande ; d'autre part, les prix élevés poussent les consommateurs à faire des économies et font baisser la demande. Le système gazier devrait donc rester sous tension — en matière de volume — jusqu'à la fin de l'année 2024. À cette date, les terminaux flottants auront été installés et les terminaux à terre auront été construits, notamment en Allemagne.