Levons tout d'abord un malentendu : contrairement à ce qui a été dit par notre collègue du Rassemblement national en commission, la convention de Macolin n'a pas pour objet l'attribution, par les instances sportives, des compétitions internationales à tel ou tel pays. Si l'on ne se contente pas de lire en diagonale sa quatrième de couverture, elle est très claire : elle contient un ensemble de mesures visant essentiellement à lutter contre les fraudes liées aux paris sportifs.
En ce sens, le présent texte est de ceux sur lesquels tout le monde est à peu près d'accord et qui justifient généralement une adoption en procédure d'examen simplifiée. Si le groupe LFI – NUPES a demandé que ce ne soit pas le cas, c'est parce qu'il estime que le problème sous-jacent, celui du marché des paris sportifs eux-mêmes, mérite d'être exposé publiquement dans l'hémicycle.
Mesurons d'abord l'ampleur du marché. Une note publiée en 2020 par la Ligue de football professionnel (LFP) estimait que le volume mondial des mises était compris entre 500 et 1 000 milliards d'euros, soit deux à trois fois le budget de notre pays ; elle ajoutait que 80 % des mises étaient réalisées illégalement. Encore ne s'agit-il là que du football ; il faut compter autant de milliards pour le reste du marché.
Le 9 mai dernier, un article d'Alternatives économiques précisait ce qu'il en est pour la France, qui est désormais la quatrième place mondiale sur ce marché, en prenant appui sur le dernier rapport de l'Autorité nationale des jeux. En un an, les mises en ligne ont bondi de 47,4 %, pour un montant de 7,84 milliards d'euros et un produit brut des jeux s'élevant à 1,35 milliard. Une quinzaine d'opérateurs, presque tous installés dans ce petit paradis fiscal qu'est Malte, se partagent ce magot. Mais à quel prix ? Selon l'Observatoire des jeux, le profil type du parieur est un homme – à 85 % –, jeune – deux tiers ont moins de 34 ans –, appartenant à un milieu modeste, doté de revenus plus faibles que la moyenne et le plus souvent au chômage. Les risques de surendettement et de dépendance au jeu sont largement documentés par l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives, qui estime à 40 % la proportion de jeunes de 17 ans ayant parié au moins une fois en 2019.
L'illusion d'avoir prise sur le hasard par une connaissance du sport concerné – illusion d'autant plus forte que ce marché mondial fait précisément l'objet de tricheries, par lesquelles la glorieuse incertitude du sport se noie dans les eaux glacées du calcul égoïste –, le marketing ciblé des opérateurs, l'accessibilité immédiate par l'intermédiaire d'un simple smartphone, tout cela permet à ce nouvel opium du peuple de prospérer sur le dos des classes populaires, dans un océan d'hypocrisie dont nous devons tous avoir conscience : hypocrisie des opérateurs, qui promettent de grosses cotes et des gains importants à ceux qu'ils plument sans vergogne tout en disant les respecter ; hypocrisie de l'État, qui empoche au passage 7,5 % des mises en se contentant d'imposer aux publicitaires de mentionner rapidement les risques, sans interdire ces publicités elles-mêmes ; hypocrisie des législateurs qui, le 12 mai 2010, ont permis, au motif de réguler le secteur, l'ouverture à la concurrence, c'est-à-dire la dérégulation la plus totale.
Il est temps de prendre la mesure du problème. Outre le phénomène d'addiction – qui entraîne des surendettements – et les atteintes à la probité sportive, que j'ai déjà mentionnés, nous pourrions discuter du blanchiment d'argent issu de petits ou de gros trafics. L'Espagne et l'Italie ont interdit le sponsoring maillot des opérateurs de paris sportifs ; le Royaume-Uni y réfléchit et restreint leur espace publicitaire. En France, on observe quelques réactions : celle de Kylian Mbappé a eu un peu d'écho et le 14 novembre dernier, le département de Seine-Saint-Denis a lancé une campagne de prévention, mais c'est sur le plan du droit que nous devons agir.
Il est de notre responsabilité de parlementaires de tout faire pour limiter au maximum, et par la loi, non seulement la fraude sur les paris sportifs, mais aussi le marché des paris sportifs eux-mêmes. Nous avons affaire à de véritables sociétés mafieuses que nous ne pourrons pas combattre si nous continuons de transiger avec elles, par faiblesse ou par intérêt. Il ne s'agit pas de réguler ou de rendre éthiques les dégâts sociaux et moraux que ces organismes de paris en ligne provoquent, mais bien de les réglementer durement pour les combattre.
Alors évidemment, nous voterons le texte proposé, et cette position devrait être largement partagée dans l'hémicycle. Mais nous devons garder la réalité de la situation à l'esprit, car elle nécessite d'agir rapidement.