Intervention de François Toujas

Réunion du mardi 22 novembre 2022 à 18h00
Commission des affaires sociales

François Toujas, président de l'Établissement français du sang :

Je remercie la représentation nationale pour son soutien. L'EFS constitue effectivement le bien de la République et nos collègues étrangers nous l'envient. Ils remarquent que nous avons tiré pleinement les conséquences de l'affaire du sang contaminé, comme nous l'avons fait au travers des deux grandes lois de 1993 et 1998. Le système mis en place en France dans ce cadre est efficace. Nous devons le défendre et le promouvoir, puisque l'organisation au niveau national d'une réponse collective à la demande de produits sanguins s'avère essentielle pour l'amélioration de la santé des populations. De nombreux pays s'inspirent du système français.

Nous partageons les enjeux relatifs à l'éthique du don, dont il est extrêmement important de rappeler le caractère essentiel. L'EFS se trouve dans une situation de monopole, qui me paraît tout à fait adaptée. Par conséquent, il ne commercialise ni ne vend un produit mais le collecte, le qualifie et le met à disposition des établissements de santé à un prix de cession qui ne constitue pas un prix de marché mais un prix administratif. L'organisation autour des produits sanguins labiles ne repose donc pas sur un marché, ce qui constitue une bonne chose pour garantir le respect du don et du donneur. Une confusion conduit parfois à qualifier les donneurs de « donateurs ». Les donateurs donnent de l'argent, tandis qu'un donneur donne une partie de soi. L'absence de marché résulte donc du refus de marchandiser le corps humain et de la volonté de maintenir le don du sang comme un geste altruiste et de solidarité. Il s'agit également d'un geste efficace puisque nous n'avons jamais manqué de produits sanguins en France même si nous avons parfois rencontré des difficultés.

Outre le plasma que nous lui cédons, le LFB devra en acheter à l'étranger. Les questions sur ce sujet s'adressent donc à lui. Pour notre part, nous faisons confiance à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Le plasma utilisé pour la fabrication des produits de fractionnement et notamment des immunoglobulines est soumis aux mêmes contrôles quelle que soit sa provenance. La question de l'éthique de la collecte du plasma acheté à l'étranger ne relève pas de mon champ de compétence. Je sais qu'en France la collecte est éthique et je m'en félicite.

L'EFS est effectivement confronté à une crise sociale et économique, liée en grande partie aux conséquences de la crise épidémique. Dans la mesure où il s'inscrit au sein du système de santé, il a été profondément déstabilisé par les mesures prises en 2020 et 2021. La fermeture des universités et des écoles et le recours au télétravail ont parfois entraîné l'annulation de 30 % des collectes. La fermeture des universités reposait sur des considérations légitimes mais a entravé fortement le recrutement et la fidélisation de nouveaux donneurs.

Néanmoins, le don du sang n'est pas démodé puisque 30 % des donneurs sont âgés de moins de 30 ans. Les jeunes se retrouvent donc dans ce geste et il est important de les attirer pour enrichir notre base de donneurs. En effet, 150 000 des 1 500 000 donneurs qui donnent leur sang au moins une fois par an sortent de cette population chaque année pour des raisons d'âge, médicales ou autres. Nous devons donc assurer un renouvellement permanent. Nous sommes actuellement sur le point de rattraper l'ensemble des retards de collecte entraînés par la fermeture des universités pendant la crise épidémique et le taux élevé de jeunes parmi les donneurs permet d'être optimiste. Leur participation montre qu'ils se retrouvent dans cet acte, même si, comme je le dis à mes équipes, la façon dont nous les accueillons mériterait parfois d'être améliorée.

Nous nous tenons à votre entière disposition en cas de mission « flash » sur les enjeux de revalorisation tarifaire et de refonte du modèle économique de l'EFS. L'établissement français du sang n'apparaît quasiment jamais dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale parce qu'il tire quasiment 80 % de ses ressources du paiement des produits sanguins labiles par les hôpitaux, à un prix dont la revalorisation dépend des arbitrages des pouvoirs publics. À ce jour, la baisse des volumes de produits sanguins labiles cédés et les retards de revalorisation génèrent un déficit de 30 millions d'euros pour l'établissement. Il est donc impératif de revoir son modèle économique, d'autant plus que c'est en recourant au déficit que l'établissement a répondu aux enjeux de recherche publique sur les médicaments de thérapie innovante et sur les sciences sociales du don. Jusqu'à présent, le modèle économique de l'EFS permettait de financer ces activités annexes à son cœur de métier. Il sera difficile de maintenir leur financement avec le système actuel.

La collecte de sang a été lancée par la population elle-même, au travers d'associations qui se sont mobilisées pour permettre le don de sang. Elle s'est donc construite par le bas, jusqu'à ce que les pouvoirs publics créent, dans le cadre des lois de 1993 et de 1998, un établissement qui présente la caractéristique d'être un établissement public administratif possédant une activité industrielle et commerciale et dont le personnel relève du droit privé. Un enjeu essentiel de l'EFS portait sur l'harmonisation des pratiques et sur la reprise ou non des produits sanguins labiles qui étaient donnés aux établissements de santé au travers de dépôts d'urgence.

Suite à la loi « NOTRe », nous avons créé des établissements dont le périmètre devait correspondre parfaitement à la circonscription d'une ou deux agences régionales de santé parce que ce sont elles qui assurent l'hémovigilance. Or lors de la fusion des établissements de Normandie et du Nord, qui n'appliquaient pas la même politique de reprise des produits sanguins labiles, nous avons décidé d'appliquer la politique de destruction du Nord, sans reprise. Nous considérons les produits sanguins comme des produits précieux. Par conséquent, nous incitons les professionnels de santé à ne pas en commander plus que nécessaire. Par ailleurs, les procédures mises en place suite à la loi « NOTRe » n'ont pas entraîné de croissance des volumes détruits, qui se limitent à 0,79 % pour la région Hauts-de-France-Normandie sur un total de 350 000 produits sanguins collectés et distribués.

La situation des stocks n'est pas difficile à ce jour puisqu'ils s'élèvent aux alentours de 85 000 produits sanguins, soit un niveau moyen et non catastrophique. L'analyse ne doit pas se limiter aux stocks. La chaîne transfusionnelle est en effet capable d'adapter la collecte en fonction des besoins et les difficultés hospitalières actuelles entraînent une légère baisse de la consommation de produits sanguins. La capacité de collecte est à ce jour comprise entre 43 000 et 44 000 produits sanguins par semaine alors qu'avant la crise épidémique, l'hôpital en consommait 46 000 à 48 000. Le niveau des stocks varie donc en fonction de la capacité d'utilisation des cliniciens. Leur situation actuelle peut être jugée satisfaisante par rapport aux besoins de l'activité hospitalière, sachant néanmoins que celle-ci est réduite.

Nous avons émis deux appels d'urgence vitale parce que les stocks étaient descendus à moins de 75 000 produits et que nous nous trouvions face à un risque de pénurie qui aurait menacé la prise en charge des malades, ce à quoi nous nous refusons.

Les outre-mer sont exposés à des situations difficiles particulières liées notamment à des maladies virales transmises par les moustiques, les arboviroses, à leur exposition à des risques naturels importants et à leur éloignement, qui représentent un enjeu pour la mise à disposition des produits sanguins. Par conséquent, notre stratégie consiste à y constituer des surstocks, ce qui s'est avéré pertinent notamment lors de la dernière crise climatique des Antilles. Nous veillons par ailleurs à alimenter les outre-mer en produits issus de l'Hexagone en application du principe de solidarité nationale. Nous devons néanmoins poursuivre nos efforts pour que les Antilles et La Réunion atteignent l'autosuffisance. Nous collectons dans tous les départements de France sauf deux, à savoir Mayotte et la Guyane, parce que les conditions biologiques n'y sont pas réunies.

Par ailleurs, les outre-mer jouent un rôle important dans la réponse aux besoins en sang rare des communautés d'ultramarins vivant en métropole. La solidarité intervient alors dans les deux sens pour la prise en charge de la drépanocytose ou de la thalassémie. Nous avons notamment trouvé un donneur en Martinique pour sauver une petite fille de Grenoble qui possède un sang très rare et était très malade.

Nous devons en permanence rechercher de nouvelles ressources pour renouveler la population des donneurs. Nous avons notamment mis en place le programme Innovadon, qui organise le don du sang autour des donneurs pour le leur faire vivre comme une expérience agréable et leur donner envie de la réitérer.

Tout en étant loyal vis-à-vis de mes autorités de tutelle, j'estime que l'EFS n'a pas besoin aujourd'hui de réaliser davantage d'économies mais manque de ressources. L'enjeu actuel de l'établissement réside bien dans le manque de ressources, comme je l'ai signalé par écrit aux autorités.

La réflexion sur l'évolution du modèle économique de l'EFS doit veiller à ne pas créer d'opposition entre les différents acteurs. Nous relevons notamment les efforts extrêmement importants consentis par les pouvoirs publics en faveur de l'hôpital, puisque l'Ondam hospitalier a dépassé 100 milliards d'euros en 2022. Néanmoins, dès lors que l'EFS apparaît comme un centre de coût pour les hôpitaux et qu'il est nécessaire d'augmenter régulièrement le prix des produits sanguins labiles, une solution serait de financer une partie des activités de l'établissement par des subventions, notamment la recherche sur les thérapies innovantes et la bioproduction, qui généreront un coût de 20 millions d'euros en 2022 pour le développement de médicaments qui ne peuvent encore être industrialisés.

Je crains fortement les effets de l'inflation, qui provoque un choc de très grande ampleur et face auquel nous disposons de peu de moyens d'action. Ce choc touche à la fois directement l'EFS, ses clients et ses partenaires, dont certains nous soumettent des demandes importantes.

Nos projections à cinq ans sont relativement claires. Nous devons réussir à réorganiser et à moderniser la collecte de sang, pour laquelle nous avons engagé des réformes fondamentales en permettant notamment la réalisation des entretiens pré-don par les infirmiers et infirmières. Nous généralisons actuellement la téléassistance médicale en collecte, qui permet d'éviter la présence physique de médecins. De même, nous devons continuer d'améliorer nos capacités dans le numérique.

La filière du plasma représente un enjeu essentiel pour l'EFS. Nous entretenons des relations très convenables avec les dirigeants du LFB. L'État français investit massivement – ce qui me paraît très pertinent – dans la construction d'une nouvelle usine de fractionnement à Arras pour multiplier par trois les capacités de fractionnement de ce site en le portant à 3 millions de litres. Cette nouvelle usine, dont l'ouverture est attendue pour 2026 ou 2027, répondra à un manque d'immunoglobuline, dont le besoin croît de 6 à 7 % par an. Au niveau mondial, 80 % des immunoglobulines sont produites à partir de plasmas collectés aux États-Unis, ce qui représente un risque. Par conséquent, sans pour autant viser l'autosuffisance, nous devons réduire notre dépendance vis-à-vis des États-Unis.

L'EFS est prêt à s'engager avec le LFB pour accroître les capacités françaises en matière d'immunoglobulines. Nous sommes néanmoins confrontés aux conséquences du manque d'attractivité et de personnel, qui a provoqué une baisse des volumes de plasma donnés par l'EFS au LFB de 900 000 à à peine 800 000 litres entre 2019 et 2022, alors que LFB prévoit d'en utiliser 1 400 000 en 2027. La réponse à cette demande nécessite un investissement d'environ 25 millions d'euros et de réaliser les recrutements nécessaires. Il est en effet essentiel de raisonner en termes de filière, en accompagnant la création de la nouvelle usine d'un soutien à l'appareil de collecte. Sans ce soutien, l'EFS ne sera pas en mesure de répondre aux besoins du LFB. L'ensemble de nos compétiteurs internationaux l'ont bien compris.

Les sangs rares constituent un enjeu essentiel notamment parce que la drépanocytose, qui constitue la maladie génétique la plus répandue en France, se soigne quasi-exclusivement avec des produits sanguins. La réponse à ce besoin représente donc l'enjeu de l'autosuffisance qualitative. Il est donc nécessaire d'améliorer la diversité de la collecte en recrutant des donneurs qui présentent le même profil que les patients sachant que cette problématique touche notamment les Français d'ancestralité africaine très lointaine. Un enjeu essentiel consiste donc à retrouver la diversité française au niveau de la collecte de sang. C'est la raison pour laquelle nous menons depuis deux ans une semaine de sensibilisation aux sangs rares. La dernière, qui s'est terminée avant-hier, a été marquée par des enjeux importants.

La collecte sur rendez-vous constitue le principal sujet de l'organisation des collectes. Lors du confinement s'est posée la question de savoir si une collecte constitue un rassemblement. Le cas échéant, les collectes auraient été interdites. Nous avons donc trouvé une solution avec le directeur général de la santé, consistant à généraliser le rendez-vous en collecte pour mieux gérer la file d'attente des donneurs. Cette mesure a par ailleurs eu pour conséquence importante d'améliorer la qualité de vie au travail des équipes de collecte.

À ce jour, nous connaissons une véritable révolution organisationnelle puisque nous réalisons 800 000 rendez-vous de collecte par an. La collecte sur rendez-vous est ainsi devenue le modèle essentiel. Dans certaines régions néanmoins, les donneurs aiment bien venir quand ils le souhaitent. Il convient donc de trouver une solution pour maintenir l'accueil des personnes qui n'auraient pas pris rendez-vous. Cet affinage de l'organisation ne me semble pas difficile à réaliser. Par ailleurs, nous menons une réflexion avec la Fédération française pour le don du sang bénévole pour permettre aux associations et aux bénévoles de continuer à jouer un rôle important dans l'accueil des donneurs dans le cadre de la généralisation des rendez-vous.

De même, dans la mesure où le don du sang constitue par nature une activité territoriale, la relation avec les élus est déterminante pour la vie associative et pour la mise à disposition de bâtiments. Je vous remercie à ce sujet.

La collecte de plasma pour fractionnement constitue un enjeu essentiel de souveraineté sanitaire. Nous élaborons actuellement une campagne ciblée sur ce thème. L'EFS souffre lui aussi des conséquences du réchauffement climatique puisque l'ensemble des moustiques porteurs d'arboviroses vivant dans les zones tropicales et chaudes se déplacent actuellement vers le nord. Nous rencontrons notamment des cas autochtones de West-Nile dans le Sud-ouest et de dengue dans le Sud de la France. Cette évolution remet en cause de façon importante nos capacités de détection et de gestion des populations concernées.

Nous intervenons parfois dans les écoles pour faire connaître le don du sang. Par ailleurs, dans la mesure où le don du sang constitue un geste solidaire par lequel le donneur crée un lien invisible avec un receveur qu'il ne connaîtra jamais, cette démarche doit conduire à s'interroger sur les actes commis au cours des derniers jours ou des derniers mois susceptibles d'interroger la capacité à donner. Elle entraîne donc une mise en responsabilité qui s'apparente à une action de santé publique.

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