Intervention de François Toujas

Réunion du mardi 22 novembre 2022 à 18h00
Commission des affaires sociales

François Toujas, président de l'Établissement français du sang :

Madame la présidente, mesdames et messieurs, je vous remercie pour cette invitation.

Ma dernière audition par la commission date du 29 septembre 2020 et était intervenue dans le cadre de mon renouvellement à la fonction de président du conseil d'administration de l'Établissement français du sang (EFS). Depuis cette audition, la situation de l'EFS s'est dégradée en raison des difficultés posées par la crise épidémique. Je pense donc que nous nous trouvons aujourd'hui à un tournant important de l'histoire de l'établissement, y compris pour son modèle économique.

Je souhaite néanmoins rappeler que depuis sa création en 2000, l'EFS a engagé de nombreuses réformes structurelles pour se transformer et se moderniser. La poursuite de ces réformes est essentielle pour renforcer et pour pérenniser son modèle éthique mais ne sera possible qu'avec la mobilisation d'investissements humains et financiers. Enfin, pendant la crise épidémique, alors que le pays a souffert de nombreux manques, pas une poche de sang n'a manqué pour les malades. Il est important de le souligner alors que l'établissement connaît aujourd'hui des difficultés importantes.

L'EFS est confronté à sept enjeux principaux.

Le premier consiste à essayer de retrouver des capacités opérationnelles satisfaisantes, adaptées au nouveau contexte, qui permettent de déployer une offre de collecte agile afin de garantir la continuité du service public de la délivrance et de la collecte. Il est nécessaire, de ce point de vue, de continuer à améliorer l'attractivité des emplois offerts par l'EFS. Des travaux sont en cours sur les salaires, sur les parcours professionnels et sur la qualité de vie au travail.

Le deuxième enjeu réside dans le renforcement extrêmement important de la filière française du fractionnement par une augmentation sensible des volumes de plasmas collectés en vue d'être fractionnés. Pour y parvenir, il est absolument nécessaire de s'accorder avec le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) pour pouvoir augmenter sensiblement les prix auxquels l'EFS lui cède ses volumes de plasmas. Sans cette condition, les efforts importants déployés par les pouvoirs publics sur la filière plasmatique seront vains.

Le troisième enjeu consiste à répondre toujours mieux aux besoins des patients. L'EFS est chargé d'une mission très importante à savoir l'autosuffisance quantitative, qui consiste à garantir que l'ensemble des produits sanguins consommés dans le pays y sont produits. L'autosuffisance qualitative est également importante, ce qui implique que la réponse aux besoins des patients en matière de phénotypes d'intérêt et de sangs rares constitue un élément essentiel de notre stratégie.

Le quatrième enjeu porte sur notre participation au développement de la médecine de demain et des thérapies innovantes, notamment par la mise au point de biothérapies et par la mise en place d'une offre de bioproduction qui contribue à renforcer la souveraineté sanitaire de notre pays, notamment en immunologie et en médecine régénératrice.

Cinquièmement, nous devons poursuivre la transformation de l'EFS, notamment sa transformation numérique afin de pouvoir nous adapter le mieux possible aux nouveaux enjeux de la société numérique.

Enfin, nous devons continuer à renforcer la démocratie sanitaire, en étant notamment à l'écoute des associations de donneurs et de patients. Nous devons également encourager l'engagement citoyen que constitue le don du sang.

Je tiendrai devant vous un langage de vérité comme je l'ai fait devant le conseil d'administration de l'EFS en octobre. L'établissement connaît des difficultés persistantes et d'un niveau tel que le budget 2023 se présente mal. Dès lors, plusieurs questions se posent, notamment autour de la filière des plasmas pour fractionnement et des activités de bioproduction, qui pourraient pâtir de ces difficultés budgétaires.

Je souhaite profiter de cette audition pour remercier, devant la représentation nationale, l'ensemble des collaborateurs et collaboratrices de l'EFS, qui, dans un contexte social et économique difficile et après deux années de pandémie, témoignent au quotidien d'un engagement sans faille et portent haut les valeurs du service public et de notre mission. Je souhaite également saluer le rôle extrêmement important de la Fédération française pour le don du sang bénévole, les associations et les bénévoles qui, quotidiennement, sur le terrain, nous soutiennent et organisent avec nous les collectes. Sans eux, rien ne serait possible.

La situation difficile que traverse l'établissement ne constitue pas une exception dans le monde de la santé aujourd'hui. Nous savons tous combien ce secteur, et notamment l'hôpital, traverse des moments difficiles. Je le redis néanmoins avec force : l'EFS constitue un élément indispensable, vital pour le système de santé. Il est donc important que vous soyez informés de sa situation actuelle.

Le modèle économique de l'EFS est à ce jour confronté à une multitude de facteurs défavorables, qui mettent en péril son équilibre économique et possiblement la continuité de son activité.

Premièrement, l'absence de revalorisation tarifaire entre 2015 et 2021 sur les produits sanguins labiles a eu pour effet un sous-investissement dans des secteurs importants tels que l'informatique ou le patrimoine immobilier. Par ailleurs, les augmentations que nous avons obtenues ces dernières années ont été très inférieures à l'augmentation annuelle moyenne de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Ce point mérite d'être souligné.

Deuxièmement, nous constatons depuis quelques mois, probablement en raison des difficultés de l'hôpital, une baisse des cessions de produits sanguins aux établissements de santé, qui impacte négativement le chiffre d'affaires de l'EFS alors que les produits sanguins labiles supportaient jusqu'à présent la totalité du financement de ses autres activités déficitaires. Dès lors, la souveraineté sanitaire française en matière de plasma et de bioproduction, au développement desquels ils contribuaient, pourrait être menacée.

L'activité de cession de plasma est en souffrance puisqu'alors que nous avions l'objectif de livrer au LFB 900 000 litres de plasma, nous n'en livrerons en 2022 que 800 000 à 810 000, ce qui signifie que nous manquons de personnel pour les collecter. Nous rencontrons plus largement des difficultés de recrutement et d'attractivité, dues notamment à une transposition partielle des mesures du Ségur, et la révision des classifications ne fait que démarrer.

Nous déplorons par ailleurs une baisse de la productivité de l'établissement puisqu'avec l'augmentation importante du taux d'absentéisme pour maladie, passé de 6 à 10 voire 11 %, nous avons du mal à mobiliser la totalité des personnes nécessaires à la collecte. Enfin, alors que nous sortons à peine du choc épidémique, le choc inflationniste marquera très fortement l'établissement.

Dès lors, le budget de 2023 en cours de construction sera soumis à de très fortes contraintes avec un choc inflationniste évalué à 30 millions d'euros, un choc de baisse d'activité de 30 millions d'euros également et une demande salariale liée aux qualifications s'approchant de 30 millions d'euros elle aussi, alors que l'EFS connaissait jusqu'à présent une situation équilibrée. Par ailleurs, de nombreux fournisseurs nous ont fait part de leur volonté d'appliquer des indemnités d'imprévisibilité et des avenants tarifaires, ce qui aura des conséquences importantes sur l'exercice 2023.

Dans ce contexte, afin de continuer d'assurer sa mission de service public, l'EFS doit trouver les voies pour rééquilibrer son modèle économique et pour conforter un système éthique qui a montré son efficacité, améliorer son attractivité au travers des chantiers ouverts avec les partenaires sociaux, notamment sur la classification, et continuer à se moderniser notamment en investissant dans ses systèmes informatiques.

En tant que service public inscrit dans les territoires, l'EFS doit continuer à y affirmer sa présence aux côtés des associations pour être plus près des donneurs. Enfin, il doit participer à la médecine de demain en relevant ses défis budgétaires.

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