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Intervention de Julien Dive

Réunion du mercredi 23 novembre 2022 à 15h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dive, rapporteur :

Je vous remercie, madame la présidente, de m'accueillir au sein de la commission des affaires sociales le temps de l'examen de cette proposition de loi. Je remercie également les services de l'Assemblée nationale, qui m'ont accompagné tout le temps de ces travaux et qui m'accompagneront jusqu'à l'examen en séance la semaine prochaine.

Madame la présidente, mes chers collègues, il existe un écart de pension de 580 euros brut constaté chaque mois entre un agriculteur retraité et un salarié à la retraite. Avec une pension moyenne de 800 euros par mois, les agriculteurs retraités touchent ainsi chaque année en moyenne près de 7 000 euros de moins que les retraités du régime général. C'est un terrible aveu d'échec de notre système d'assurance vieillesse, lequel ne parvient manifestement pas à garantir un niveau de vie digne à nos agriculteurs à la retraite. Ce constat est connu et ancien. Parmi les facteurs expliquant la faiblesse du niveau des pensions agricoles figure le fait que le calcul des droits à la retraite des agriculteurs se fonde encore aujourd'hui sur l'ensemble de leur carrière, ce qui constitue une différence majeure avec les anciens salariés et les indépendants, qui bénéficient de pensions de retraite dont le montant est calculé en fonction de leurs vingt-cinq meilleures années de revenus.

Malgré l'engagement réitéré de la profession, le sujet d'un alignement des règles de calcul des retraites agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années a été délaissé et sa mise en œuvre sans cesse repoussée au fil des réformes des retraites. Dix ans après le dernier rapport sur le sujet, la présente proposition de loi proposée par les députés Les Républicains dans le cadre de leur niche parlementaire entend remédier à une injustice qui n'a que trop duré.

Créé en 1952, le régime de retraite des non-salariés agricoles s'est historiquement construit en marge du régime général de la sécurité sociale, ce qui explique qu'il présente d'importantes différences avec les régimes alignés. D'une part, il est organisé sur la base d'une architecture originale, comportant deux niveaux à savoir une partie forfaitaire, l'assurance vieillesse individuelle (AVI), indépendante du revenu, et une partie proportionnelle, l'assurance vieillesse agricole (AVA), dont le montant dépend des cotisations versées par l'agriculteur tout au long de sa carrière. D'autre part, la retraite des agriculteurs n'est pas calculée par l'application d'un taux à un revenu annuel moyen, contrairement aux retraites des régimes alignés. L'assurance vieillesse agricole fonctionne en effet sur la base d'un régime à points, que les agriculteurs acquièrent en contrepartie des cotisations versées tout au long de leur carrière. Lors du départ à la retraite, le montant de la retraite proportionnelle d'un agriculteur est calculé en multipliant le nombre de points acquis par la valeur de service du point, qui évolue chaque année.

Malgré ces différences, le régime agricole comporte des paramètres directement ancrés sur ceux applicables aux régimes alignés, qu'il s'agisse des conditions d'âge légal de départ ou de durée d'assurance, en passant par l'indexation du montant des retraites sur l'inflation. Ces éléments traduisent la volonté de faire converger partiellement les règles en vigueur dans les régimes alignés avec celles applicables au régime des non-salariés agricoles. Pourtant, force est de constater que les gouvernements successifs n'ont eu de cesse de repousser la demande pourtant légitime des exploitants agricoles de voir le calcul de leurs retraites fondé sur les seules meilleures années de leur carrière.

Cette situation est regrettable, tant la réforme proposée est susceptible de remédier à certains des problèmes structurels du régime. Premièrement, le calcul sur les vingt-cinq meilleures années a pour objectif de limiter l'impact de la forte variabilité des revenus agricoles sur les droits à la retraite. En effet, les revenus agricoles varient fortement d'une année sur l'autre en raison de la fluctuation des prix, des aléas climatiques qui pèsent sur les récoltes et des aléas épizootiques qui pèsent sur les cheptels. À titre d'exemple, les revenus ont chuté de 6 % en 2020. Ils avaient déjà baissé de 2,3 % en 2019 après une forte hausse en 2017 et 2018. Cette volatilité est très marquée dans la culture des vignes et des céréales, deux secteurs touchés par des conditions climatiques particulièrement défavorables ces dernières années. En ne prenant en compte que les meilleures années d'activité, la réforme proposée permet ainsi de mettre un terme à ce qui constitue aujourd'hui une véritable double peine pour les agriculteurs à savoir une baisse des revenus à court terme se traduisant par une retraite plus faible à long terme.

Deuxièmement, le passage aux vingt-cinq meilleures années répond à un objectif d'équité entre assurés sociaux. Il est en effet injuste que l'application d'une règle qui bénéficie à la quasi-totalité des retraités de ce pays soit refusée aux agriculteurs qui cumulent déjà les difficultés tout au long de leur carrière. Ainsi, les agriculteurs sont les actifs qui travaillent le plus avec 54 heures par semaine contre 45 heures pour les commerçants et 37 heures en moyenne pour l'ensemble des actifs. Parmi les agriculteurs, les éleveurs portent une charge de travail particulièrement lourde puisqu'ils déclarent travailler 61 heures par semaine, sans parler du temps d'astreinte. En effet, avec 2 800 heures par an, le temps d'astreinte par exploitation d'élevage est presque deux fois supérieur à la durée légale du travail du fait de tâches qui ne peuvent être différées. De plus, neuf agriculteurs sur dix travaillent le week-end et les deux tiers d'entre eux ne partent pas plus de trois jours consécutifs par an en congé. À ces conditions de travail particulièrement contraignantes s'ajoute une situation financière souvent peu enviable par rapport aux autres non-salariés. Selon l'Insee, le revenu mensuel moyen des producteurs agricoles était de 1 640 euros par mois en 2020, contre 3 620 euros pour les autres non-salariés.

Troisièmement, et comme l'ont rappelé les différentes personnes que j'ai auditionnées, l'enjeu du passage au calcul des retraites agricoles sur les vingt-cinq meilleures années n'est pas sans lien avec celui du renforcement de l'attractivité du métier d'agriculteur. En effet, un agriculteur sur deux est censé partir en retraite d'ici 2030, ce qui pose une véritable problématique de renouvellement des générations et d'installation. Malgré toutes les contraintes inhérentes au métier agricole, de plus en plus d'actifs, qu'ils soient salariés ou autres, choisissent courageusement d'entamer une reconversion professionnelle pour devenir agriculteurs. Or à ce jour, ces personnes passent d'un régime d'assurance vieillesse qui leur garantit la seule prise en compte de leurs meilleures années à un régime dont le montant des pensions est calculé sur l'ensemble de la carrière. Dans cette perspective, le passage au calcul des retraites agricoles sur la base des vingt-cinq meilleures années constitue un levier permettant d'encourager les reconversions et de renforcer l'attractivité des professions agricoles.

Enfin, cette réforme s'insère dans une réflexion sur une contributivité accrue du régime permettant d'introduire une plus grande proportionnalité entre les droits à pension et les cotisations. Selon le régime actuel, le barème d'acquisition de points a pour conséquence qu'un agriculteur dont le revenu annuel s'élève à 15 600 euros valide 30 points, soit autant qu'un agriculteur dont le revenu est de 8 400 euros. En revanche, le premier verse 2 670 euros de cotisations tandis que le second ne contribue qu'à hauteur de 1 430 euros. L'existence de ce palier à 30 points atténue sensiblement la contributivité du régime. Les auditions que j'ai menées ont en effet permis de mettre en lumière le fait que de nombreux agriculteurs préféraient recourir à des pratiques de défiscalisation et d'optimisation plutôt que de cotiser à perte. La mise en œuvre d'une plus forte dégressivité dans le barème des points acquis permettrait donc d'accroître les incitations à cotiser, ce qui conduirait les agriculteurs dont le revenu est plus élevé à contribuer davantage à la solidarité du système.

Publié en mars 2012, le dernier rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le sujet mettait toutefois en garde contre les effets de bord non maîtrisés que pouvait induire la réforme du passage aux vingt-cinq meilleures années, en particulier pour les petites retraites agricoles. Ce sujet avait été abordé lors de la réforme des retraites de 2010 puis confirmé par les ministres de l'agriculture successifs jusqu'à M. Stéphane Le Foll en 2015. Force est de constater que plus de dix ans après, les conclusions de ce rapport méritent d'être entièrement réévaluées à l'aune des évolutions intervenues tant dans les régimes alignés que dans celui des non-salariés agricoles.

Le rapport que j'ai rédigé présente avec plus de détails les subtilités techniques qui justifient mes propos. Par conséquent, je me contenterai ici de rappeler quelques points essentiels. Premièrement, le rapport de l'Igas de 2012 se fondait sur des hypothèses qui excédaient largement le champ de la réforme du passage aux vingt-cinq meilleures années, en particulier concernant l'architecture du régime. Je souhaite donc affirmer clairement, pour éviter toute ambiguïté, que la présente proposition de loi n'entend pas remettre en question l'architecture duale du régime de retraite ni le principe du régime à points, qui présentent des avantages auxquels la profession est attachée. La prise en compte des vingt-cinq meilleures années devra intervenir dans des conditions qui garantissent un gain maximal pour les agriculteurs.

Deuxièmement, même en considérant que certaines hypothèses du rapport de l'Igas méritent d'être retenues, notamment en matière d'alignement des règles de validation de trimestres en vigueur dans le régime général, ses conclusions me semblent devoir être entièrement réévaluées à l'aune des changements récents de la législation, en particulier des avancées décisives votées dans le cadre des deux « lois Chassaigne », lesquelles ont considérablement renforcé le caractère protecteur des minimas de pensions agricoles.

Parce que les raisons qui justifient le bien-fondé de cette réforme sont nombreuses et que les obstacles à la mise en œuvre nous paraissent levés, nous vous proposons, à travers l'article 1er de cette proposition de loi, d'acter la mise en œuvre d'un passage aux vingt-cinq meilleures années pour le calcul de la retraite des non-salariés agricoles. Lors des auditions, les acteurs de la filière ont exprimé un large consensus sur la nécessité de mettre en œuvre cette mesure. Bien que paramétrique en apparence, elle requiert des évolutions juridiques et techniques redoutables, que la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole s'est dite prête à mener. Ne manque aujourd'hui que la volonté politique. C'est cette volonté que votre rapporteur et le groupe Les Républicains entendent affirmer à travers la présente proposition de loi. Nous la devons à nos agriculteurs, qui n'ont que trop attendu.

Pour toutes les raisons évoquées précédemment, il apparaît donc particulièrement nécessaire et impérieux de l'adopter pour pouvoir entamer sa mise en application aussi vote que possible.

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