« Vivre avec 500 euros par mois, ce n'est pas une vie : c'est de la survie. On est obligé de faire attention à tout ce qu'on fait, tout ce qu'on achète ; on se restreint encore et encore ; ça ronge littéralement le quotidien ; on fait des crises d'angoisse parce qu'on a peur de ne pas réussir ou de ne pas bien gérer, avec le peu que nous avons. » Voilà le témoignage d'Eliot, étudiant en sociologie à l'université de Toulouse. « Passer ses partiels le ventre à moitié vide alors qu'on a travaillé en parallèle de ses études toute l'année, c'est rageant », confie Inès, étudiante en droit à l'université de Nanterre. Des appels de secours de ce genre, j'en reçois des dizaines tous les jours.
Lors des auditions que j'ai menées, j'ai voulu entendre les témoignages d'étudiants, d'associations de solidarité, de syndicats, mais aussi de vice-présidents de centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), de chercheurs, ainsi que de la présidente de l'université de Rennes. Tous constatent la situation alarmante dans laquelle se trouvent les étudiants, encore aggravée par la crise du covid-19. Les dispositifs de soutien pendant la crise ont produit, dans l'ensemble, des résultats décevants et ne sont pas à la mesure des enjeux. « La crise invite pour l'avenir à mieux cerner et quantifier les besoins de la vie étudiante » : ce n'est pas moi qui le dis, mais la Cour des comptes.
L'État n'est pas à la hauteur de la détresse des jeunes. Au-delà de l'insuffisance des aides d'urgence, c'est tout le système d'accompagnement qui est structurellement défaillant. Seuls 38 % des étudiants bénéficient de bourses sur critères sociaux. La Suède accorde des bourses à 88 % des étudiants, et le Danemark à 92 % d'entre eux. Ces bourses ne sont pas corrélées aux revenus des parents, contrairement au système français.
Dans notre pays, trois quarts des étudiants qui ont recours à la distribution alimentaire ne sont pas boursiers. Comment en sommes-nous arrivés à tolérer des étudiants obligés de recourir à l'aide alimentaire ? Comment est-il possible qu'ils ne soient pas jugés suffisamment pauvres pour percevoir une bourse ? Seulement 2 % d'étudiants bénéficient d'une bourse à l'échelon maximal : ils perçoivent 596 euros par mois, deux fois moins que le seuil de pauvreté. Notre système de bourses ne permet pas aux jeunes en formation de vivre dignement et de s'émanciper. Les travaux de Philippe Cordazzo permettent d'en mesurer les conséquences : de nombreux étudiants se réorientent vers des filières professionnalisantes courtes ; ils cherchent à percevoir un salaire au plus vite au détriment de la poursuite d'études censées garantir des contrats moins précaires. Voilà une belle photographie de la prétendue égalité des chances à la française !
Face à cela, nous proposons de redéfinir totalement notre vision de la jeunesse. Il est urgent de reconnaître la jeunesse comme un âge de la vie particulièrement vulnérable. Personne n'envisagerait plus de confier la prise en charge du grand âge et de la perte d'autonomie aux seules familles : la société a pris conscience, en la matière, du rôle fondamental de l'État. Pourquoi ne pas porter le même regard sur la jeunesse ? Elle doit être un temps d'expérimentation de la vie et non de la pauvreté.
Notre proposition de loi repose sur le principe de l'autonomie. Elle comporte deux dispositions. La première introduit un nouvel article dans le code de l'éducation, qui ouvre le droit à une garantie d'autonomie jeunes, autrement dit à une allocation pour les jeunes gens âgés de 18 à 25 ans détachés du foyer fiscal de leurs parents et inscrits dans une formation, dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté. Grâce à cette mesure, plus aucun étudiant ne vivra avec moins de 1 102 euros par mois. Dans le cas où il percevrait des revenus propres, par exemple dans le cadre d'une formation en alternance, la garantie d'autonomie serait réduite d'autant.
En rupture avec la logique actuelle, ce ne sont plus les ressources des parents qui détermineront l'attribution des aides sociales mais les ressources propres du jeune adulte. Et, oui, cette aide sera également versée aux jeunes issus de familles aisées, parce que chacun doit pouvoir s'émanciper de sa famille. Des jeunes appartenant à des familles aisées peuvent être des étudiants pauvres, du fait de pressions ou d'une exclusion liées à l'orientation sexuelle ou au choix de formation.
La garantie d'autonomie jeunes sera également ouverte aux lycéens professionnels dès 16 ans. Le Gouvernement, à travers la réforme à venir des lycées professionnels, ne veut plus des lycéens, mais des travailleurs avant l'heure. Nous voulons, à l'inverse, qu'ils puissent rester en formation aussi longtemps que nécessaire. Trois quarts des lycéens de la voie professionnelle sont issus de milieux modestes. Trop souvent, ils choisissent l'apprentissage plutôt que la voie professionnelle pour gagner au plus vite un peu d'argent. Étendre le bénéfice de cette allocation aux lycéens des filières professionnelles, c'est favoriser l'enseignement professionnel, faire le choix d'une filière qui facilite l'insertion professionnelle et la poursuite d'études.
L'article 2 prévoit de financer ce dispositif par la création d'une contribution exceptionnelle sur les superprofits. Pour nous, ce débat sur leur taxation n'est pas clos. Il faudra aussi imaginer une contribution financière pour les entreprises qui s'installent en France pour engager des jeunes très qualifiés, grâce à la formation dispensée par l'université publique. La discussion à ce sujet doit être ouverte.
Cette proposition recueille le soutien de 76 % des Français. Le système des bourses est à bout de souffle. Vous avez le pouvoir de changer les choses. Faites le choix de l'émancipation des jeunes !