La situation de notre système de santé et de secours est très préoccupante. Nos personnels sont, plus que jamais, au bord de la rupture et tous nos concitoyens pâtissent d'une situation catastrophique. Je tiens du reste à préciser que la proposition de loi qui vous est soumise concerne tous les personnels, des établissements de santé et de secours, et non pas seulement les soignants – bien malin qui parviendrait à faire fonctionner un établissement de santé sans personnel administratif ou technique, ou sans cuisiniers, par exemple !
Excessivement sollicités et trop peu nombreux, malgré le dévouement et le grand professionnalisme que nous leur connaissons, ils sont de plus en plus démunis et éprouvés après deux ans de crise sanitaire. Plus personne n'oserait nier aujourd'hui la pénurie de personnels dans les établissements de santé, à l'heure où des services entiers doivent fermer. En septembre dernier, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris faisait état de 18 % de lits fermés et d'un manque de 1 000 infirmières. Dans le même établissement, les taux de fermeture des blocs opératoires peuvent atteindre 40 % à 50 % sur certains sites.
Les personnels de ces établissements, dont l'engagement et les efforts sont si peu reconnus, portent à bout de bras notre système de santé. Les cas de troubles physiques et psychiques et d'épuisement professionnel se multiplient, et les nombreux départs aggravent progressivement la pénurie. Combien de temps tiendront-ils encore ?
Les services de secours, notamment les pompiers, rencontrent les mêmes difficultés. Mobilisés sans relâche face aux « mégafeux » qui ont touché la France, ils ont connu un été épuisant. Dans un contexte de dérèglement climatique, ils sont amenés à être toujours plus mobilisés. Plus de 66 000 hectares sont partis en fumée cette année à travers la France, touchant souvent le Sud-Ouest, mais désormais aussi la Bretagne ou les Vosges.
La situation est particulièrement dramatique outre-mer, où les appels à la réserve sanitaire se multiplient en même temps que les tensions sociales.
Les situations d'urgence sont de plus en plus nombreuses. À l'hôpital public, déjà en manque de ressources, vient s'ajouter l'actuelle épidémie de bronchiolite, qui sature les services d'urgences pédiatriques. Face à cette situation, le Gouvernement a, une fois encore, mis en place un plan d'urgence, le plan Orsan. L'été dernier, le Gouvernement recourait au mécanisme européen de protection civile pour faire appel au renfort de pompiers de quatre pays européens.
Nous le voyons : les pénuries de personnels entraînent mécaniquement une dégradation du service public, notre bien si précieux. Cette dégradation se traduit tôt ou tard par des drames auxquels nul ne saurait se résoudre. Dans la période actuelle, la moindre personne manquante peut désorganiser une équipe, entraîner une fermeture de lits supplémentaire et augmenter encore la charge de travail des personnels en place.
Dans ce contexte, les milliers de suspensions qui résultent de l'obligation vaccinale prévue par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire se montrent très pénalisantes.
Le nombre de suspendus est difficile à estimer. Ils seraient, selon les derniers chiffres publics, plus de 12 000. En tant que rapporteure, j'ai, bien sûr, fait des recherches. Mais même les cabinets ministériels ont peiné à me répondre précisément. En réalité, il ne s'agit pas que de chiffres, car un seul lit fermé, un seul personnel en moins peuvent avoir des conséquences dramatiques. Je peux en témoigner en tant qu'aide-soignante : lors d'une garde de nuit une ou un collègue supplémentaire peut tout changer pour la prise en charge d'un résident en Ehpad. Ainsi, qu'ils soient un ou plusieurs milliers, ces professionnels manquent cruellement à notre système de santé et de secours. Il serait irresponsable de renoncer à la moindre personne pouvant contribuer au fonctionnement du service public, dès lors qu'elle peut être réintégrée sans risque. Nous avons besoin de chaque paire de bras.
Malheureusement, la crise de confiance est profonde et l'incompréhension règne de part et d'autre, après plus d'un an de mise au ban de ces personnels, malgré leur souhait de prendre soin, qui est leur vocation. Les personnels suspendus peinent à comprendre le rejet persistant dont ils font l'objet, alors même que la plus grande partie des personnels vaccinés, dont je fais partie, n'est plus à jour sur le plan vaccinal et que l'on fait appel à des renforts étrangers qui échappent à toute obligation vaccinale.
Ma proposition de loi vise à sortir de cette situation par le haut, sans aucun dogmatisme. Elle prévoit de réintégrer ces personnels dans le cadre d'un protocole sanitaire strict. Elle se fonde sur une approche scientifique et s'inscrit dans une démarche de responsabilité. Ce faisant, elle entend soulager les services publics en limitant les pénuries, sachant que seul un effort budgétaire massif permettra de garantir durablement le bon fonctionnement de ces services. En ce sens, je sais bien que ma proposition de loi n'est pas une solution miracle, mais elle tente de trouver une transition acceptable.
Elle ne remet pas en cause l'obligation vaccinale, en un temps où l'épidémie persiste, mais elle prend acte du fait que la question de la réintégration des personnels suspendus se posera inévitablement. Elle vise ainsi à réconcilier et met en lumière la possibilité de retour de ces personnels sans risque épidémique, au moyen d'un protocole approuvé par les autorités sanitaires.
Le protocole que je propose, prévu à l'article 1er de ma proposition de loi, combine la présentation de tests négatifs et le port d'équipements de protection individuelle. En résumé, des tests virologiques seront effectués à chaque prise de poste pour garantir que le professionnel n'est pas porteur du virus, et le port d'un masque FFP2 sera systématique pour protéger le professionnel en cas de contact avec un malade.
Lors de son audition, la HAS a reconnu, devant plusieurs témoins, que ces mesures étaient de nature à protéger du risque épidémique. Il est fort dommage que l'explication de cette audition ait donné lieu à une polémique qui n'a pas lieu d'être. Chacune des personnes présentes a entendu la même chose que moi. Vous me connaissez assez pour savoir que je n'aurais jamais pu prendre à la légère un sujet qui me tient autant à cœur ni l'utiliser pour faire de la politique politicienne. En revanche, je ne comprends pas pourquoi la HAS, dans sa communication, a choisi d'occulter une partie des réponses qu'elle a faites lors de notre audition.
Je souligne également que ce protocole est tout à fait réaliste et ne rencontrera pas de difficultés particulières de mise en œuvre. C'est ce que nous a dit la Fédération hospitalière de France (FHF) elle-même, durant son audition, soulignant que tout était faisable et que les services avaient bien su s'adapter pendant toute la crise sanitaire. Qui plus est, la solution est évidemment temporaire.
Ma proposition ne vise donc pas, je le répète, à lever l'obligation vaccinale. Même si nous entrevoyons cette possibilité dans le futur, les autorités sanitaires nous indiquent que l'épidémie n'est pas stabilisée et qu'il est encore trop tôt pour cela.
Le protocole que je propose offre une porte de sortie aux personnels suspendus. Il leur permettra de rompre avec l'isolement auquel ils peuvent être sujets et de retourner faire le métier qu'ils aiment et pour lequel ils sont qualifiés. Il ne s'agit toutefois pas de faire comme si de rien n'était, puisque ce protocole est contraignant et implique un retour au travail sous conditions.
Pour que cette réintégration soit effective, l'article 2 de ma proposition de loi prévoit la gratuité des tests effectués et la disponibilité d'équipements de protection. La charge budgétaire qui en résulte sera cependant minime, étant donné le nombre de personnes visées.
Cette proposition de loi vise donc à sortir de cette crise et d'une situation d'hypocrisie dans laquelle la mise à l'écart des personnels non vaccinés n'est plus fondée, puisque nous savons désormais qu'ils peuvent être réintégrés sans risques. Finalement, la réintégration des personnels suspendus permettra de renouer avec la stratégie du « convaincre plutôt que contraindre », préconisée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Je ne suis d'ailleurs pas la seule aujourd'hui à préconiser la réintégration, à en croire les nombreuses propositions déposées en ce sens à l'Assemblée nationale et au Sénat. Le Président de la République a lui-même annoncé la réintégration à venir.
Mes chers collègues, je vous appelle à soutenir cette sortie par le haut de la crise actuelle. Dans l'attente d'un soutien d'ampleur à nos services publics, nous avons besoin de ces personnels. Chacun d'entre eux compte.