La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui vise à porter le salaire minimum mensuel à au moins 2 050 euros brut, soit environ 1 600 euros net. Ce montant est notre mot d'ordre, mais il ne faut pas oublier que la rémunération des salariés est constituée du salaire direct et du salaire indirect. Nous prévoyons une entrée en vigueur du texte au 1er janvier 2023.
Cette proposition figurait dans le programme de notre candidat à l'élection présidentielle et dans celui de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES). Plusieurs millions de nos concitoyens se sont donc exprimés en sa faveur. Il est grand temps de la mettre en œuvre.
L'augmentation du Smic n'est pas une nouveauté dans notre histoire sociale. Elle a eu lieu à plusieurs reprises, non sans résultat, quoiqu'en disent ses nombreux détracteurs, dont les arguments n'ont pas toujours évolué en un demi-siècle.
La première définition du salaire minimum national légal applicable à toutes les branches d'activité procède de la loi du 11 février 1950. Le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) constituait un garde-fou contre la pauvreté et préservait les salariés de toute exploitation là où le tissu syndical était faible ou inexistant. Les arguments opposés alors au SMIG sont repris aujourd'hui : il allait tuer l'économie et l'emploi, les petites entreprises allaient couler. Rien de tout cela ne s'est produit.
Cette conquête sociale acquise, l'écart entre le salaire moyen et le SMIG s'est creusé, en raison de son indexation sur les seuls prix. En 1968, les mobilisations populaires ont changé la donne. Les célèbres accords de Grenelle ont entériné une conquête sociale significative : la hausse de 35 % du SMIG, quelques mois après le refus du patronat de l'augmenter de 3 %. La loi du 2 janvier 1970 transforme le SMIG en salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic), désormais revalorisé sur la base de l'évolution des prix mais aussi de la progression du salaire moyen des ouvriers.
En 1981, sous la présidence de François Mitterrand, le gouvernement Mauroy augmente le Smic de 10 %. Depuis lors, les « coups de pouce », comme il est d'usage de les appeler, n'ont plus été à l'ordre du jour, hormis une légère revalorisation de 2,2 % sous Lionel Jospin et une augmentation très minime, voire symbolique, lors du mandat de François Hollande.
Depuis plus de dix ans, le Smic stagne. Ne pas le revaloriser est une règle pour le Gouvernement comme pour ses prédécesseurs. Pourtant, la situation sociale du pays est assez alarmante : 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté et 8 millions font la file pour l'aide alimentaire. Il y a 400 000 pauvres supplémentaires depuis 2017. Tous les indicateurs sociaux sont inquiétants. Les salaires réels ont baissé de 2 % en un an, et l'inflation a atteint le niveau historique de 6 %.
Plus globalement, le partage de la valeur souffre d'un déséquilibre, au détriment des revenus du travail, dont la part dans la valeur ajoutée a reculé dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle est passée de 66 % en moyenne dans les années 1980, à 61 % en 2010 pour remonter à 64 % en 2019. Cette répartition défavorable au travail et favorable au capital est exacerbée dans les grandes entreprises, où la part du travail est inférieure de 11 points à la moyenne nationale.
Face à l'urgence, le Gouvernement s'est contenté d'appliquer des recettes vues et revues, d'inspiration libérale, dont je considère qu'elles sont insuffisantes. La loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat a été votée sans débat sur les salaires et les bas salaires. Sa grande mesure, annoncée en fanfare, est la prime de partage de la valeur, défiscalisée et laissée au bon vouloir des entreprises. Seuls 16 % des salariés en ont bénéficié, pour un montant moyen de 506 euros.
Lors de son examen, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a reconnu à demi-mot la nécessité d'aborder la question des salaires, en déclarant : « Toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les salaires ». Un mois plus tard, il déclarait à propos du Smic : « Donner un coup de pouce, c'est donner un coup de canif au redressement de l'emploi ».
Pourquoi tant de fins de non-recevoir pour ce qui n'est qu'un coup de canif ?
Partons d'un constat : les mécanismes d'indexation du Smic ont atteint leurs limites. Certes, le taux du salaire minimum a progressé au cours des derniers mois, essentiellement sous l'effet de l'inflation. Toutefois, cette progression n'a pas empêché le décrochage du salaire minimum dû au renchérissement de la vie et à l'explosion des inégalités. Or le Gouvernement n'a pas accordé le moindre coup de pouce significatif au Smic, ce à quoi l'autorise pourtant le code du travail, pour assurer une rémunération digne du travail.
Il a été conseillé, dans sa démarche, par le groupe d'experts chargé de se prononcer, chaque année, sur l'évolution du Smic. Depuis sa création, ce groupe, composé d'économistes libéraux, vise un objectif simple : désindexer le Smic. Son dernier rapport recommande clairement de supprimer tout ou partie des mécanismes de revalorisation automatique du Smic. Il s'oppose systématiquement à toute revalorisation supplémentaire de son taux. Je pose la question de la légitimité de ce groupe d'experts, dont le mode de désignation pourrait faire l'objet d'un échange entre nous.
Ma proposition de loi vise l'augmentation du Smic de 22 %, qui aura de nombreux effets positifs, non seulement pour les 2 millions de salariés qui vivent au Smic, mais aussi pour les 30 % de salariés du privé et 20 % d'agents publics dont le salaire net est inférieur à 1 600 euros.
De plus, cette mesure est résolument féministe, car l'augmentation du Smic bénéficiera en premier lieu aux femmes, qui sont les premières à subir le temps partiel et les contrats courts. Elles représentent 60 % des 2 millions de salariés au Smic, mais seulement 45 % de l'emploi dans le secteur privé.
Cette mesure bénéficiera aussi aux salariés des secteurs où les conditions de travail sont difficiles, ce qui permettra d'en attirer, donc de résoudre leurs difficultés de recrutement, notamment dans l'hôtellerie, la restauration et le secteur sanitaire et social. Elle bénéficiera également aux petites entreprises auxquelles les grosses sous-traitent les tâches les moins bien rémunérés.
Cette pratique des grandes entreprises, qui sous-traitent les tâches d'entretien et de maintenance pour ne pas avoir à faire progresser les salaires, nous a été décrite par tous les acteurs que nous avons auditionnés. Elle explique la concentration des salariés au Smic dans les PME. Il est donc normal que ces salariés bénéficient d'augmentations de salaire partiellement prises en charge par les entreprises donneuses d'ordre.
Le Smic ne pénalise pas l'emploi, au contraire. Plus les revenus disponibles sont élevés, plus les carnets de commandes se remplissent pour la consommation populaire. De 1997 à 2022, le Smic a augmenté de 14 % et près de 2 millions d'emplois ont été créés, contre 3 millions au cours des dix années précédentes.
Par ailleurs, la plupart des emplois au Smic sont dans des secteurs dits abrités, c'est-à-dire non délocalisables, tels que l'aide à domicile et l'hôtellerie. Nous considérons donc que l'argument de la compétitivité ne tient pas.
Je souhaite que nous ayons un débat exempt des épouvantails habituellement utilisés pour discréditer la proposition que je formule. La hausse que nous proposons n'a rien de spectaculaire, comme le prouve l'exemple de nos voisins européens. En Allemagne, le montant du Smic horaire brut a dépassé celui de la France cette année. Au Royaume-Uni, après cinq ans d'augmentation du Smic, le nombre de créations d'emplois a battu un record. En Espagne, le salaire minimum a augmenté de 36 % depuis 2018, ce qui n'a ni déséquilibré la compétitivité ni pénalisé l'emploi.
Rehausser le niveau du Smic, c'est aussi revoir l'intégralité de la grille des salaires. La négociation salariale est bloquée. Trop souvent, les chefs d'entreprise refusent d'augmenter les salaires. Il est temps de revoir la hiérarchie des salaires, en impulsant une hausse générale par le biais d'une hausse du Smic.
Par ailleurs, plusieurs études ont démontré que la préférence des employeurs pour les primes au détriment des hausses de salaire vise à limiter leur contribution au financement de notre modèle social. Notre mesure doit être conjuguée à d'autres, notamment la limitation des écarts de salaire de un à vingt dans l'entreprise et l'indexation des salaires sur l'inflation.
J'en viens au financement de la proposition de loi. Celle-ci prévoit, pour couper court aux arguments selon lesquels son coût est excessif, des modalités de financement reposant sur la solidarité entre les grands groupes et les petites entreprises, lesquelles pourront absorber la hausse du Smic en limitant celle de leurs coûts de production, donc de leurs prix, grâce à un mécanisme redistributif. Par ailleurs, le coût de la mesure sera partiellement et temporairement pris en charge par l'État, grâce aux exonérations existantes.
Certes, les sommes en jeu sont importantes. La hausse du Smic proposée augmenterait de 10 à 20 milliards d'euros les dépenses des entreprises. J'invite cependant chacun à mettre ces chiffres en perspective, en les comparant aux dépenses consenties en faveur des entreprises. Ainsi, les exonérations de cotisations sociales coûtent 60 milliards par an. La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, soutenue par certains de nos collègues, en coûtera dix. Sans parler de la baisse des impôts de production, depuis 2017, dont le Gouvernement se félicite.
Par ailleurs, des sources de revenus pour l'État ou pour une péréquation entre entreprises existent : les 46 milliards d'euros de dividendes et les 24 milliards de rachats d'actions du CAC40 en 2021, ou encore les profits records de 18,8 milliards pour Total et de 15 milliards pour la CMA CGM au premier semestre de cette année.
Faut-il rappeler que les dirigeants des quarante plus grandes entreprises françaises ont reçu en moyenne 6,5 millions d'euros en 2021, soit 465 fois le Smic ? Chaque année, 157 milliards d'euros d'aides publiques sont versés aux entreprises, sans la moindre contrepartie en matière de salaires ou d'impératifs sociaux et écologiques.
Tout cela soulève la question de la responsabilité des grands groupes dans la constitution de trappes à pauvreté au sein de secteurs entiers de sous-traitance et dans le maintien dans la pauvreté de millions de nos concitoyens. Le coût de cette responsabilité, qui est la leur, est pris en charge par l'État par le biais de mécanismes de solidarité, tels que la prime d'activité.
Celle-ci bénéficie certes à près de 5 millions de Français, qui en retirent en moyenne 180 euros par mois. Toutefois, je m'interroge sur le rôle de chacun : n'incombe-t-il pas aux entreprises de rémunérer convenablement leurs salariés ? Les mécanismes de solidarité nationale doivent-ils servir à compenser un déficit persistant du niveau des salaires, alors même que les entreprises qui en sont responsables contribuent de moins en moins à son financement ?
La prime d'activité offre la démonstration que ni les entreprises ni le salaire minimum n'assurent aux salariés une vie digne, ce qui rend l'aide publique indispensable. Les défenseurs de la prime d'activité sont-ils favorables à une économie administrée ? Voilà qui serait piquant ! Depuis 2017, on nous répète qu'il faut faire confiance au dialogue social. Le moins que l'on puisse dire, c'est que celui-ci ne produit rien de significatif.
Certains amendements vont dans le sens du texte, ce dont je me réjouis, mais excluent du bénéfice de l'augmentation du Smic les salariés des branches dont les métiers peuvent être pénibles et qui connaissent des difficultés de recrutement, telles que l'hôtellerie et la restauration. J'avoue ne pas comprendre. Si ces amendements, déposés par des membres du groupe Renaissance, étaient adoptés, environ 13 millions de salariés bénéficieraient d'une augmentation, mais 1,9 million en seraient exclus.
Le groupe Rassemblement National adopte la même méthode. Ses membres refusent de voter la hausse du Smic, comme l'été dernier, lui préférant une nouvelle exonération de cotisations sur les augmentations de salaires. Outre l'appauvrissement de la sécurité sociale qu'elle entraîne, cette méthode ne fonctionne pas plus que les primes pour revaloriser le pouvoir d'achat.
Le salaire est composé d'une part directe et d'une part indirecte. Dire que la réduction des cotisations sociales équivaut à une hausse de salaire, c'est dire aux salariés « Donne-moi ta montre, je te donnerai l'heure ». Cette méthode appauvrit de nombreux organismes sociaux, qui sont des conquêtes sociales des salariés. J'y suis radicalement opposé.
Nos débats permettront de préciser les démarches à accomplir pour adopter notre mesure. Je ne doute pas que nos échanges seront constructifs. Nous sommes attachés à la première étape de la réponse à la situation d'urgence sociale dans laquelle nous sommes : la revalorisation immédiate et uniforme du Smic dans les meilleurs délais.