Intervention de Hadrien Clouet

Réunion du lundi 11 juillet 2022 à 21h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHadrien Clouet :

Ce texte n'est pas un projet de loi comme un autre. Pour nous, c'est une facture géante que vous adressez à la population française pour lui faire les poches. Vous nous présentez là un document qui est une facture étalée dans le temps. Rien, dans ce texte, n'est du nouveau pouvoir d'achat ; cela se rapproche beaucoup plus d'un vulgaire crédit conso. Pas une seule fois, vous n'augmentez le dû des salariés, c'est-à-dire leur salaire ; vous versez uniquement de l'intéressement ou de la prime. C'est donc évidemment une arnaque d'ampleur puisque, sans cotisations sociales, rien de tout cela ne compte pour une pension de retraite et que cela met les comptes de la sécurité sociale dans le rouge. Une prime qui vous plonge dans la pauvreté et menace de ruiner les seniors, il fallait y penser, Mme Borne l'a fait !

Dans la foulée, vous avez inventé une nouvelle doctrine en matière de travail : la rémunération hypothétique. Les salariés ne verront pas leur salaire augmenter ; votre projet prévoit qu'ils devront supplier l'employeur ou, au minimum, compter sur lui pour qu'il veuille bien les intéresser aux résultats de l'entreprise afin de tenir jusqu'à la fin du mois. Or, la conséquence directe de l'intéressement dans la plupart des entreprises, c'est le gel des salaires, c'est travailler plus longtemps et plus durement pour espérer la prime, bref, c'est travailler plus pour gagner peut-être. Surtout, vous confiez aux employeurs les pleins pouvoirs pour élaborer les dispositifs d'intéressement sans aucune négociation avec le personnel. En somme, vous avez la même conception de l'entreprise que de l'Assemblée nationale : un lieu où une personne seule pourrait dicter sa loi sans jamais solliciter la confiance du plus grand nombre.

Alors que tout le pays est étranglé par l'inflation et que vous récoltez une cagnotte de 50 milliards d'euros, vous nous présentez un texte qui se résume également à un avoir, comme à la caisse du supermarché. En effet, toutes ces hausses de prestations et d'allocations sont anticipées : vous versez aujourd'hui ce que vous nous deviez demain. Vous ne tentez même pas de rattraper la hausse des prix : plus 17 % pour les pâtes, plus 14 % pour l'huile, plus 13 % pour le café, bref, l'indice des prix et l'ensemble des prix des produits de consommation courante augmentent deux fois plus vite que votre revalorisation. Pour 1 euro que vous versez en prestations et en allocations, la grande distribution et les grandes multinationales en perçoivent 2. Ainsi, entre nos comptes courants et les bénéfices des profiteurs de crise, il faut choisir : vous avez choisi les profiteurs. La vérité est que vous approuvez, dans le fond, cette inflation, car vous obtenez ainsi ce que vous tentez de faire depuis cinq ans : parvenir à une diminution des salaires réels de la population.

Par ailleurs, vous nous présentez ici la facture de vos propres erreurs. La loi El Khomri, par exemple, puis les ordonnances Pénicaud ont retiré aux branches le pouvoir de négocier dans toute une série de domaines : je pense notamment au temps de travail. Plutôt que de rétablir leurs prérogatives, vous les liquidez administrativement. Plutôt que de placer sous conditions les 66 milliards d'euros annuels d'exonérations de cotisations sociales, qui coûtent 1 000 euros à chaque habitant du pays, vous allumez un cierge, en espérant que le patronat négocie. On s'étonne, finalement, que vous n'ayez pas encore proposé de transformer l'ensemble des travailleuses et travailleurs du pays en chauffeurs Uber, ce qui est un bon signe, puisque cela indique qu'Emmanuel Macron se tient à distance du travail parlementaire.

Enfin, vous nous présentez, en prime, la facture de vos renoncements climatiques : les projets d'énergies renouvelables sont gelés dans le pays, vous êtes à 20 % en dessous de nos engagements dans le mix énergétique français et nous sommes le seul pays européen à ne pas tenir ses engagements en matière de renouvelables. Vous venez avec votre texte, comme si de rien n'était, nous expliquer qu'on rouvre les centrales à charbon et qu'on accroît les capacités d'importation de gaz naturel liquéfié. L'heure est pourtant à la bifurcation écologique et au développement des énergies renouvelables, à la sobriété et à de véritables plans de rénovation thermique du bâti.

Le recyclage, c'est effectivement écologique, sauf lorsqu'il s'agit de vos vieilles solutions. Il est donc absurde d'intituler ce projet « protection du pouvoir d'achat ». Les mots sont justes mais il faut les séparer : protection, bien sûr, mais de certains grands intérêts ; pouvoir, oui, celui de l'Élysée ; achat, également, mais uniquement de la paix sociale pendant quelques semaines. Il était pourtant envisageable de conférer à ce texte un intitulé qui soit honnête, clair et peut-être plus lisible, il aurait suffi de le baptiser « projet de diminution du pouvoir d'achat de l'ensemble de nos compatriotes ».

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