Ce nouveau rapport spécial, qui vise à évaluer les moyens alloués à la lutte contre l'évasion fiscale, permettra, je l'espère, de les faire évoluer, mais aussi de débattre et de légiférer sur ce fléau qui grève de façon colossale les recettes de l'État.
Par évasion fiscale, on entend tout comportement d'un individu ou d'une personne morale dont l'objectif est d'échapper à l'impôt. Cette notion concerne la fraude délibérée et illégale, mais aussi toutes les tentatives d'optimisation fiscale agressive, présentées comme légales.
Selon notre droit, pourtant, toute action dont l'objectif unique est l'évitement de l'impôt est illégale. C'est la clause de substance économique. Nous invitons l'Assemblée nationale à la rappeler avec force et à l'étendre pour que toute action dont l'un des objectifs principaux est d'échapper à l'impôt soit déclarée illégale.
La fraude fiscale représenterait entre 80 et 120 milliards d'après le syndicat Solidaires Finances publiques. Le Sénat évoque une perte de revenus pour l'État de l'ordre de 30 à 50 milliards chaque année. L'Insee et la Cour des comptes ont chiffré la fraude à la TVA à 25 milliards par an.
L'absence d'un chiffrage annuel clair est un premier problème. La France est l'un des rares pays de l'OCDE à ne pas publier régulièrement une estimation globale et impôt par impôt du montant de la fraude fiscale. C'est pourquoi nous proposons la généralisation du programme de contrôle fiscal randomisé par la DGFIP. À partir de ces données, le Conseil des prélèvements obligatoires pourrait proposer tous les ans une évaluation de la fraude et de l'écart fiscal, impôt par impôt.
La lutte contre l'évasion fiscale est au point mort, faute de volonté politique de traiter sérieusement le sujet. Le PLF pour 2023 fait état d'une augmentation de 6,22 % des autorisations d'engagement destinées à la lutte contre la fraude fiscale, ce qui est dérisoire si l'on tient compte d'une inflation de 5,8 % sur l'année et d'une hausse tendancielle des dépenses publiques de 1,35 % par an. D'ailleurs, l'augmentation de crédits bénéficie quasi exclusivement au développement de nouveaux outils comme l'intelligence artificielle, alors que les moyens humains sont en forte baisse. Pourtant, si l'innovation peut être vertueuse, elle ne remplacera jamais le travail d'un enquêteur.
Tous les services d'enquêtes et de contrôle que nous avons auditionnés nous ont fait part d'un manque de moyens matériels et humains : le SEJF (service d'enquêtes judiciaires des finances), la BNRDF (Brigade nationale de la répression de la délinquance fiscale), le service de renseignements Tracfin, les syndicats représentatifs de la DGFIP. Le Parquet national financier lui-même manque de magistrats et d'assistants spécialisés pour mener à bien ses instructions.
Cette situation n'a rien d'étonnant. Le contrôle fiscal a perdu 1 600 agents depuis 2017. Le budget qui nous est proposé prévoit encore des baisses d'effectifs à la DGFIP. C'est pourquoi nous proposons un moratoire sur les suppressions de postes dans le contrôle fiscal et la planification de l'embauche d'agents. Par son travail, chaque agent du contrôle fiscal et des services d'enquêtes rapporte annuellement à l'État des centaines de milliers d'euros, voire des millions. Il est donc absurde de supprimer des postes par souci d'économie et urgent d'embaucher massivement pour lutter contre les fraudeurs.
Concernant les nouveaux outils de ciblage des contrôles et le data mining, qui permettraient de se passer de contrôle humain, les acteurs que nous avons rencontrés sont unanimes : l'outil doit aider la main, non la remplacer. D'ailleurs, la part des affaires à faible rendement a augmenté entre 2016 et 2018, passant de 25,4 % à 26,8 %, preuve que les nouvelles méthodes de ciblage ne peuvent être la solution.
Il faut aussi donner des moyens matériels, intellectuels et techniques aux différents acteurs de la lutte contre l'évasion fiscale. C'est pourquoi nous proposons la création d'une part d'une mission budgétaire dédiée qui rassemblerait Tracfin, les services de contrôle fiscal de la DGFIP, le SEJF, la BNRDF et la DGDDI (direction générale des douanes et droits indirects), d'autre part d'une direction interministérielle stratégique associant les ministères des finances, de l'intérieur et de la justice.
Au-delà du cadre du PLF pour 2023, il nous faut affirmer la nécessité de faire de la lutte contre l'évasion fiscale une véritable priorité politique et de modifier le droit en conséquence. Cela se fera en instaurant des critères pertinents de définition des paradis fiscaux ; en agissant résolument pour un impôt minimum européen ; en créant un statut de lanceur d'alerte qui garantisse que les intéressés soient accompagnés ; en durcissant les règles applicables aux intermédiaires comme les cabinets de conseil et les avocats fiscalistes qui créent les montages utilisés par les fraudeurs ; en en finissant avec le recours à une justice négociée pour les multinationales par le biais des conventions judiciaires d'intérêt public.
La lutte contre l'évasion fiscale est un enjeu fondamental pour augmenter les recettes de l'État et préserver le consentement à l'impôt, indispensable à la cohésion sociale. Il faut donner aux services concernés les moyens humains, matériels, technologiques et législatifs pour que cette injustice prenne fin. Parce que le compte n'y est pas, je donne un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 156.