L'Insee, navire amiral de la statistique publique en France, est assorti de seize services statistiques ministériels, dont deux intéressent particulièrement votre commission. Le Sdes (service des données et études statistiques), service statistique des ministères de la transition écologique et de la transition énergétique, sis au Commissariat général au développement durable (CGDD), a la main sur toutes les statistiques relatives à l'énergie, notamment exprimée en termes physiques – tonnes d'équivalent pétrole, térawattheures. Quant au département des statistiques et des études du commerce extérieur (DSECE), rattaché à la direction des douanes, il gère toutes les données du commerce extérieur.
Les deux tiers de notre travail statistique sont régis par des règlements européens ; dans certains pays, c'est la totalité.
Nous vous avons fait parvenir un document comprenant de nombreux graphiques, statistiques et informations, auquel je vous renvoie.
Je commencerai par la facture énergétique, en milliards d'euros, et son rôle dans l'évolution et la dégradation récente de la balance commerciale. Le solde commercial est resté relativement stable, plutôt en baisse, au long de la dernière décennie, de 2012 à l'avant-covid : un léger excédent en matière de biens hors énergie en moyenne, des services à l'équilibre et un excédent en matière de tourisme – ce que l'on appelle la correction territoriale désigne les dépenses des étrangers en France moins les dépenses des Français à l'étranger ; et, en négatif, la balance commerciale en matière de biens énergétiques. Dans les derniers trimestres, la dégradation de la branche énergie épouse celle de l'ensemble du solde commercial. Un déficit de biens hors énergie est par ailleurs apparu, à peu près compensé par l'excédent du tourisme, revenu après l'interruption due au covid. L'excédent de services s'explique en partie par le fait que nous avons un grand opérateur de fret maritime qui a profité de la situation récente.
Notre présentation du solde des échanges énergétiques en points de PIB repose sur des données annuelles qui s'arrêtent en 2021. Sur le long terme, le déficit est d'environ deux points de PIB, atteignant un niveau plus élevé dans la période qui a suivi le premier puis le second choc pétrolier, puis revenant à ce niveau, voire un peu moins, après le contre-choc pétrolier de 1986.
Si l'on se concentre sur les évolutions récentes, à partir cette fois de données trimestrielles, on voit que la facture énergétique s'est dégradée au début de la dernière décennie, vers 2010, avant de se réduire à la fin, puis de connaître une brutale aggravation depuis un peu plus d'un an. Il est notable que l'excédent dans les échanges d'électricité, certes faible par rapport aux importations de produits pétroliers, mais très constant, ait cédé la place ces derniers trimestres à un déficit prononcé, qui contribue à l'aggravation. En points de PIB, au dernier trimestre, la facture énergétique n'est pas très éloignée de celle du début des années 1980, lorsqu'elle était à son acmé après le deuxième choc pétrolier.
La facture énergétique est le produit de trois termes. D'abord, deux termes en volume : premièrement, la part des importations dans l'énergie primaire consommée ; deuxièmement, l'intensité énergétique de la croissance, ou la quantité d'énergie consommée rapportée au PIB. Le troisième terme est le prix relatif des importations d'énergie par rapport au prix du PIB.
Les données relatives à la part de l'énergie importée sur l'énergie primaire consommée, en volume, sont issues du cahier Chiffres clés de l'énergie publié par le Sdes pour 2021. On voit qu'après avoir baissé avec le développement de la production d'électricité nucléaire dans les années 1970 et 1980, la part de l'énergie importée est restée stable par rapport à celle consommée, à environ 60 %, depuis l'arrivée à maturité du parc nucléaire, et a même un peu diminué en 2021, dernière année considérée. Cet élément n'entraîne donc pas une évolution particulière de la facture énergétique.
Même s'il y a eu une baisse, c'était à partir d'un niveau élevé : en réalité, la perte d'indépendance à laquelle s'intéresse votre commission est ancestrale, datant de plusieurs décennies, voire de plusieurs siècles.
Le deuxième terme, l'intensité énergétique du PIB – ce qu'il faut consommer d'énergie pour fabriquer une unité de PIB –, ici présentée en indice base 100, baisse régulièrement et graduellement, que l'on considère l'énergie primaire ou l'énergie finale, de sorte que nous sommes de 30 % plus économes que nous ne l'étions dans les années 1990. Cela résulte de l'amélioration des technologies et peut-être de la réduction du poids de l'industrie dans l'ensemble de l'économie.
J'en viens au troisième terme de l'équation, celui qui est responsable de la variation récente : le prix des importations d'énergie rapporté au prix du PIB. L'évolution est chahutée, sans tendance établie. Le prix était élevé entre les chocs pétroliers et le contre-choc de 1986, puis a baissé, avant de remonter dans le courant des années 2000. Je reviendrai sur son évolution lors de la crise financière de la fin des années 2000 et du rebond du début des années 2010. En tout cas, avant la crise récente, il était assez commensurable, voire inférieur, aux moyennes historiques. Évidemment, il a terriblement augmenté au cours des derniers trimestres, atteignant des niveaux inédits.
Nous présentons également les bilans annuels du Sdes distinguant les différentes sources d'énergie, exprimées physiquement, en térawattheures, et en valeur, en euros. Vous pourrez interroger sur ces points la cheffe de service, Béatrice Sédillot, lorsque vous l'auditionnerez.
Le prix des hydrocarbures joue bien sûr un rôle éminent dans l'évolution des prix relatifs. Au milieu des années 2010, le développement massif de la production de pétrole et de gaz non conventionnels, comme le gaz de schiste, aux États-Unis et au Canada, rentable à 40 ou 50 dollars le baril, a fixé le prix à ce niveau pour plusieurs années, malgré les décisions de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). On avait l'impression que la capacité de substituer cette production au pétrole et au gaz conventionnels empêchait le prix de connaître une tendance durable à la hausse. Ce phénomène a pris fin tout récemment.
La part des importations dans la dépense intérieure en énergie est assez stable en volume, mais, exprimée en prix courants, elle reflète toute la volatilité des évolutions de prix relatifs.
On constate à partir de la fin des années 1970 la prééminence du nucléaire dans l'énergie primaire produite, ainsi que la fin du charbon et l'arrivée, progressive et encore faible, des énergies renouvelables. La part nucléaire de la production nette d'électricité, en térawattheures, jusqu'en 2020 permet de contextualiser l'estimation de production nucléaire d'EDF pour 2022 : elle est de 275 à 285 térawattheures, quand le niveau maximum avait pu dépasser 400 térawattheures, et était encore bien au-delà de 300 en 2019, avant la crise du covid. La baisse est donc très notable ; elle se prolongera très probablement en moyenne annuelle l'an prochain.
L'évolution de la dépendance énergétique – le rapport entre les importations nettes des exportations et l'énergie brute disponible – dans l'Union européenne, calculée à partir de données Eurostat, montre une tendance globale à la hausse, mais pour apprécier correctement cette aggravation, il faudrait prendre en compte l'effet de l'élargissement. En 2020, pour l'Union européenne dans son ensemble, le ratio est d'environ 60 % ; la France fait un peu mieux. Les pays les plus dépendants sont les îles de Malte et de Chypre, dont la situation est un peu à part. On observe un bel écart entre l'Allemagne et la France. À l'époque, notre production nucléaire n'était pas encore affectée par les récentes baisses d'activité.
Nos modélisations macroéconomiques selon le modèle Mésange (modèle économique de simulation et d'analyse générale de l'économie) sont intéressantes, mais ont des limites. Traditionnellement, nous modélisions l'effet d'une hausse du prix du pétrole, car c'était une variable pertinente ; toutefois, une hausse du prix du gaz d'un montant équivalent en milliards d'euros – si l'on ne tient pas compte de ses conséquences sur le prix de l'électricité – revient à peu près au même. Cet effet est important, mais reste assez limité : une hausse de 10 dollars du prix du baril du pétrole entraîne la deuxième année une perte d'activité d'un quart de point de PIB.
Néanmoins, deux facteurs aggravants peuvent conduire notre modèle à minorer la portée de la hausse par rapport à la situation réelle. Premièrement, le prix du gaz influe, du fait du marché européen, sur le prix de l'électricité ; la centrale marginale appelée, la centrale à gaz, fait monter le prix de l'électricité sur le marché. Ensuite, il existe des non-linéarités. Ainsi, lorsque le prix de l'énergie est à un niveau élevé, certaines entreprises – la presse s'en fait beaucoup l'écho –, ne pouvant répercuter le prix des intrants et des consommations intermédiaires d'énergie sur leurs prix de vente, doivent vendre à perte et préfèrent cesser leur activité. Ces éléments, qui n'étaient guère présents au moment où les modèles ont été testés, ne sont pas forcément pris en compte. Dès lors, si l'augmentation dépasse 10 dollars le baril – et la hausse de la facture énergétique est bien supérieure –, il faudra plus qu'une extrapolation linéaire des chiffres ici présentés pour en mesurer l'effet.
Je termine par les effets de l'augmentation des prix de l'énergie sur, d'une part, les ménages, d'autre part, les entreprises.
La contribution de l'énergie au glissement annuel des prix à la consommation a été négative pendant la période de confinement, ce qui a entraîné une inflation quasi nulle en 2020. La situation s'est retournée du fait de la reprise, avant même la guerre en Ukraine, puisque l'énergie est devenue le principal contributeur au relèvement très rapide de l'inflation, en particulier au début de l'année 2022.
En octobre 2022, le glissement annuel des prix à la consommation est estimé à 6,2 %. La principale contribution à l'inflation est apportée non plus par l'énergie, mais par l'alimentation. En effet, la hausse des prix des matières premières – et, dans une moindre mesure, celle de l'énergie – subie en amont par les agriculteurs et l'industrie agroalimentaire est progressivement répercutée sur les prix de détail des produits alimentaires. La limitation de la hausse des prix de l'énergie s'explique aussi par la mise en œuvre du bouclier tarifaire et par la remise appliquée aux prix des carburants à la pompe. Ce phénomène a été documenté : on considère ainsi qu'au deuxième trimestre 2022, l'augmentation des prix de l'énergie a contribué à trois points d'inflation – deux points d'effet direct et un point d'effet indirect –, mais que sans le bouclier tarifaire, l'inflation aurait encore été de trois points plus élevée. Autrement dit, ce mécanisme a permis de réduire de moitié la contribution de l'énergie à l'inflation.
L'impact de la hausse des prix de l'énergie et des produits alimentaires est assez différent selon les ménages : il dépend de leurs revenus mais également d'autres facteurs comme leur lieu de vie. C'est quelque chose que nous essayons, là encore, de bien documenter.
La crise nous ayant permis de développer de nouveaux partenariats, nous avons désormais la possibilité de suivre l'évolution des transactions réalisées par carte bancaire. On note ainsi que depuis quelques semaines, les dépenses journalières de carburant sont inférieures à celles constatées à la même période en 2019. L'évolution des conditions tarifaires a un impact important sur la consommation : ainsi, les ménages ont limité leurs achats de carburant avant le 1er septembre mais les ont accrus à partir de cette date, au moment où la remise de 30 centimes par litre a commencé à s'appliquer.
S'agissant maintenant des entreprises, l'indice des prix de production de l'industrie pour le marché intérieur est peut-être moins connu, mais il n'en est pas moins intéressant. Nous pouvons analyser l'évolution de cet indice pour la production et la distribution d'électricité, de gaz, de vapeur et d'air conditionné, ou encore plus finement pour la production, le transport et la distribution d'électricité, tant au niveau français qu'à l'échelle de l'Union européenne. Après avoir connu une certaine stabilité depuis 2015, les prix ont commencé à décoller avant la guerre en Ukraine, dans le courant de l'année 2021. La hausse est très significative : avec une base 100 en 2015, l'indice des prix en septembre 2022 est proche de 200 pour la France et de 300 pour l'Union européenne. Tout cela est lié au dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh).
Nos enquêtes de conjoncture montrent une augmentation massive et inédite des soldes d'opinion concernant l'évolution probable des prix de vente. C'est vrai dans tous les secteurs, mais dans une moindre mesure pour les services.
On observe également des difficultés d'approvisionnement importantes et, là encore, tout à fait inédites, en particulier dans l'industrie manufacturière et l'industrie du bâtiment. Ce phénomène est beaucoup plus difficile à modéliser, notamment parce qu'il n'a encore jamais été rencontré. Vous ne trouverez nulle part, dans les précédentes enquêtes de conjoncture, une telle proportion d'entreprises qui se déclarent confrontées à de telles difficultés.
Enfin, dans une note de conjoncture récente, nous avons analysé la part des consommations intermédiaires en énergie, sous ses formes multiples, dans la production des différentes branches industrielles. Sans surprise, nous avons constaté que la chimie, la métallurgie ainsi que l'industrie du papier et du carton étaient très énergivores – la première consomme beaucoup de pétrole tandis que les autres ont de gros besoins en électricité. Il en est évidemment de même pour le secteur des services de transport. Si l'on compare les chiffres de la production industrielle au troisième trimestre 2022 avec ceux du troisième trimestre 2021, on s'aperçoit que les secteurs subissant d'ores et déjà une baisse de leur production sont justement les plus énergivores – la sidérurgie, la métallurgie, la fabrication de pâte à papier, de papier et de carton, la chimie, la fabrication de ciment… Nous ne constatons pas encore de baisse des volumes produits dans le secteur de la fabrication de verre et d'articles en verre, ce qui est assez inattendu, mais il est probable que la conjoncture se retournera prochainement.