Intervention de Jacques Percebois

Réunion du mercredi 9 novembre 2022 à 14h05
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Jacques Percebois :

Les subventions chinoises à l'industrie du photovoltaïque ou de l'éolien ont tué la technologie européenne. L'Union européenne croit à la vertu de la concurrence universelle, la Chine à la vertu de la concurrence chez les autres. Elle n'est d'ailleurs pas la seule : les États-Unis sont eux-mêmes très protectionnistes, y compris par le biais juridique, avec leurs systèmes de brevets et d'autorisations locales. À cela s'ajoute que les contraintes environnementales, en Chine, ne sont pas du tout prises en compte comme elles le sont dans l'Union européenne. En la matière, l'Europe a donc fait preuve d'une immense naïveté. Certains pays commencent à refuser les investissements chinois dans certains domaines.

À titre personnel, j'ai une préférence pour le système de l'acheteur unique, qui est certainement le moins mauvais. Certes, il faudrait des ajustements juridiques. L'acheteur unique était possible avec la première directive de 1996, peut-être encore compatible avec celle de 2003, mais il ne l'est plus avec celle de 2009 sur la séparation patrimoniale.

Le deuxième meilleur système, c'est ce que j'ai appelé le système grec. C'est un marché avec deux compartiments : des centrales qui ont surtout des coûts fixes et des centrales qui ont surtout des coûts variables. On peut faire coexister ces deux mécanismes et, petit à petit, le prix s'alignera sur le coût moyen. Au fil du temps, les premières vont l'emporter sur les deuxièmes. Le jour où il n'y aura plus que du nucléaire et des énergies renouvelables, une tarification sur le coût marginal ne sera plus possible, pour cette raison simple qu'il sera proche de zéro : le coût marginal est quasi nul pour les renouvelables – il n'y a pas de combustible – et représente 5 % du prix de revient pour le nucléaire. Dans ces conditions, la tarification doit forcément se faire sur le coût fixe. Autrement dit, il faudrait que le marché de capacité l'emporte sur ce qu'on appelait le marché « energy-only », ne rémunérant que l'énergie produite.

Le système grec est donc vertueux, parce qu'il règle le problème à court, mais aussi à moyen terme. Considérant que la solution de l'acheteur unique ne paraît guère envisageable à l'échelle européenne dans le contexte politique actuel, le système grec est assez séduisant.

J'en viens à l'Arenh. Vaste sujet. Il ne faut pas oublier qu'au moment de l'ouverture à la concurrence, le 1er janvier 2000, beaucoup d'industriels ont été très contents de quitter EDF parce que, le prix du pétrole étant très bas – 20 dollars le baril –, ceux du gaz et de l'électricité thermique l'étaient donc aussi, puisqu'ils sont calés dessus. Les concurrents d'EDF ont donc gagné des parts de marché. Les choses ont changé en 2004, quand le prix du pétrole s'est mis à monter, après l'invasion de l'Irak. Il a atteint 147 dollars en juillet 2008. À ce moment-là, ceux qui avaient quitté EDF ont voulu revenir au TRV, mais la loi l'interdisait, conformément aux directives.

Le Parlement avait voté le fameux tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, le TARTAM, qui a donné lieu à une action en justice de la Commission européenne contre la France pour non-transposition des directives et pour aide d'État, puisqu'EDF était une entreprise publique. C'est alors qu'on a créé la commission Champsaur, qui a proposé le système de l'Arenh.

Quel était le problème ? En France, 75 % de l'électricité était d'origine nucléaire. Les concurrents d'EDF ne pouvaient pas rivaliser avec l'opérateur historique, qui détenait le nucléaire. Il y avait deux solutions : soit on taxait l'opérateur historique pour que ses prix atteignent ceux de ses concurrents, soit on faisait baisser les prix des concurrents à son niveau. Les Belges, qui étaient confrontés au même problème, avec 53 % d'électricité d'origine nucléaire, ont choisi la première solution – ce n'était pas la bonne, à mon avis ; en tout cas elle a engendré de nombreux conflits. La France a choisi l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique. Au départ, on avait envisagé un accès régulé à l'énergie de base, qui devait intégrer aussi l'hydraulique, mais le gouvernement y a renoncé.

Quel était le principe de l'Arenh ? Les concurrents d'EDF n'avaient pas la possibilité de concurrencer EDF, puisqu'ils n'avaient pas accès au nucléaire historique, qui était largement amorti. On a donc demandé à EDF de leur vendre 100 térawattheures – ce qui représentait 25 % de la production d'électricité nucléaire – non pas au prix du marché, mais au prix coûtant, qui a été fixé à 40 euros le mégawattheure pour les six derniers mois de 2011 et à 42 euros au 1er janvier 2012.

Le problème, c'est que ce chiffre n'a pas bougé. Il était clair que ce prix devait évoluer pour tenir compte de l'inflation et des dépenses qu'EDF fait pour la sûreté et l'entretien du parc nucléaire – pas pour son renouvellement, car le système concernait uniquement le nucléaire historique. Mais le tarif de l'Arenh est resté à 42 euros, alors qu'il devrait être au minimum de 50 euros aujourd'hui, d'après la Cour de comptes et la CRE.

Ce système a eu des effets pervers. À l'époque, on estimait que, dans la mesure où tous les Français avaient contribué au financement du nucléaire historique, il était légitime qu'ils continuent d'en profiter, même s'ils n'étaient plus chez EDF. Les concurrents d'EDF peuvent donc faire profiter de l'Arenh leurs clients résidant en France.

En 2016, quand le prix du marché est passé en dessous de celui de l'Arenh, plus personne n'en a voulu : c'était l'occasion de supprimer l'Arenh. On ne l'a pas fait et c'est dommage. Maintenant, d'après la loi, l'Arenh doit se prolonger jusqu'à fin 2025. L'idée était de laisser le temps aux concurrents d'investir dans de la capacité. Or ils ne l'ont pas fait, à de rares exceptions près. Certains disent que c'est parce qu'il n'était pas nécessaire d'investir massivement, mais c'est surtout parce qu'il était plus confortable d'acheter pour revendre.

Il n'est pas question de supprimer l'Arenh dans le contexte actuel. En revanche, il me semblerait logique de ne pas le reconduire après 2025. Si certains veulent continuer de profiter du nucléaire historique, voire du prochain nucléaire, on pourrait imaginer qu'ils passent des contrats à long terme avec l'opérateur historique qui fournit ce nucléaire, mais en participant aux coûts ! L'Arenh, elle, est une option à coût zéro : quand le prix du marché est au-dessus, ils en profitent et quand le prix du marché est en dessous, ils n'en veulent pas – et EDF est obligée de vendre au prix du marché, c'est-à-dire en dessous de 42 euros. Cette asymétrie est discutable. Il peut être justifié d'aider les petits fournisseurs, mais certaines grosses compagnies profitent de l'Arenh alors qu'elles n'en ont pas besoin et profitent d'un effet d'aubaine. Bref, je suis plutôt favorable à la suppression de l'Arenh fin 2025.

La grande différence entre le pétrole et l'électricité, c'est que plus de 50 % de la production mondiale de pétrole est vendue sur le marché international, le taux étant de 25 % pour le gaz, et seulement 1,5 % de l'électricité. L'électricité est d'abord produite et consommée localement. Il y a certes des échanges aux frontières et la France a été, à une époque, le premier exportateur mondial d'électricité, ce qui n'est évidemment plus le cas puisque nous sommes désormais importateurs nets. Les échanges en Europe étaient relativement importants par rapport au reste du monde mais ils restaient assez limités, de l'ordre de 8 %. La France exportait 80 térawattheures sur une production de 530. Je pense que ces échanges sont justifiés : ils permettent le secours mutuel et une certaine harmonisation des prix. Chacun peut y trouver son compte.

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