Il faut distinguer les notions de dépendance et de vulnérabilité. On peut être dépendant sans être vulnérable, et indépendant tout en l'étant. Dans le domaine des énergies fossiles, nous n'avons pas le choix : la France ne produit ni pétrole, ni gaz, ni charbon et importe donc la totalité de sa consommation. Toutefois, nous avons diversifié nos approvisionnements. Ainsi, s'agissant du gaz, nous sommes moins vulnérables que l'Allemagne, grâce à nos importations en provenance de Norvège. Le rôle de l'État est de tenir compte des risques de vulnérabilité. Tel sera le cas demain s'agissant des métaux et des minerais.
Dans le domaine de l'électricité, il n'est pas concevable de s'en remettre à l'étranger – sauf peut-être pour une petite principauté. Le pays d'Europe le plus dépendant en la matière, l'Italie, importe 15 % de sa consommation, ce qui est énorme. C'est un produit tellement stratégique – il suffit de songer aux conséquences d'une coupure de courant – que sa production doit être largement nationale, ce qui n'exclut pas les échanges transfrontaliers. Le secours mutuel existe depuis toujours. En 2006, le réseau allemand n'a pas anticipé une surcharge en raison d'un problème technique et c'est la France qui a sauvé l'Europe du black-out, grâce notamment au barrage de Grand'Maison. Rien n'interdit donc la solidarité, mais, s'agissant d'un produit stratégique et impossible à stocker, l'État ne peut s'en remettre à l'étranger.
Même dans le domaine du pétrole, l'État a été prudent. Les lois douanière et pétrolière de 1928 étaient basées sur l'idée que l'État accordait des concessions aux compagnies étrangères, mais sous certaines conditions, notamment la participation de sociétés françaises au raffinage et au transport du pétrole. Il n'était pas question de s'en remettre totalement au marché.
Les interconnexions entre pays européens démontrent que l'Europe de l'électricité et l'Europe du gaz existent. La solidarité joue, en dépit de choix nationaux assez différents. Dans certaines circonstances, les divergences sont fortes : le débat sur l'introduction du nucléaire dans la taxonomie européenne en est un révélateur – dire que les Allemands ne nous ont pas aidés est une litote.
Les choix ne relèvent pas du nationalisme, mais sont bel et bien nationaux. La Pologne envisage de se doter d'électricité nucléaire, et n'a pas choisi pour ce faire l'entreprise européenne qui construit des centrales nucléaires, mais Westinghouse. Chacun est libre de ses choix. En dépit de l'Europe et des annonces, les politiques de l'énergie demeurent fondamentalement nationales.
Sur les énergies renouvelables, il y a eu un consensus. Les aides qui leur sont accordées sont une exception au principe de la concurrence : il s'agissait de les développer sans attendre qu'elles soient compétitives. Au demeurant, toutes les sources d'énergie ont été aidées dans leur histoire, du charbon à l'électricité en passant par le pétrole. Les États ont donc investi dans le développement des énergies renouvelables, notamment l'Allemagne, qui a opté pour des prix garantis très élevés pour aller très vite, et la France dans une moindre mesure. Cette exception au marché est justifiée par la volonté de décarboner le mix énergétique.
Quant à la place des énergies renouvelables et du nucléaire, c'est un choix politique. En France, le consensus très fort en faveur du nucléaire s'était un peu atténué, avant de se renforcer sous l'effet de la crise actuelle. L'électricité ne doit pas seulement être décarbonée, elle doit aussi être pilotable. Les énergies renouvelables ne le sont pas, faute de pouvoir les stocker à grande échelle. Des projets de stockage par hydrogène existent, mais pour l'instant les rendements sont insuffisants – d'autant plus avec les prix actuels de l'électricité puisqu'il faut une électrolyse de l'eau.