La grande idée qui a présidé à l'introduction du marché unique de l'électricité en Europe était qu'il fallait développer les interconnexions afin de faire converger les prix de gros. C'était cela l'objectif, puisque les deux autres composantes du prix de détail, le coût des réseaux et les taxes, dépendent des États et échappent au marché. Cette convergence devait envoyer un signal prix aux investisseurs les incitant à investir tous dans la même direction.
Les interconnexions ont donc été fortement développées. Certains îlots demeurent moins pourvus, notamment la péninsule ibérique, l'Angleterre et un peu l'Italie, mais la France, l'Allemagne et le Benelux sont bien interconnectés et veulent encore aller plus loin. Les interconnexions existaient avant l'Europe de l'énergie, et même avant le traité de Rome, les électriciens pratiquant depuis longtemps le secours mutuel. Elles ont dorénavant vocation à favoriser l'ensemble des échanges économiques.
Le problème est que chaque pays est resté maître chez lui. La politique énergétique étant, d'après les traités européens, une compétence nationale, le signal prix envoyé n'a pas eu les effets escomptés sur l'investissement. Certains États ont refusé le nucléaire, fût-il bon marché : ils ont mené une politique énergétique allant à l'encontre des résultats du marché.
Ces échanges économiques nous permettent de disposer d'importations. La France exportait auparavant un peu plus de 80 TWh d'électricité par an et en importait environ 44, soit un solde positif d'une quarantaine de térawattheures. Cette année, la France sera importatrice nette car sa production nucléaire n'est pas au rendez-vous. De surcroît, nous exportons plutôt en base, à des prix peu élevés, et importons en pointe, à des prix élevés.
Sans ces interconnexions, nous aurions dû accepter des black-out ou alors conserver des centrales thermiques, notamment à gaz. La puissance installée doit être au minimum égale à la puissance maximale demandée, sans quoi on ne peut pas passer la pointe de la demande. La fermeture d'équipements a été motivée par les économies attendues d'un optimum collectif obtenu grâce aux interconnexions, sans tenir compte des interférences des politiques nationales.
Quoi qu'il en soit, la Commission européenne et les États sont d'accord sur la nécessité de développer les interconnexions. Même si la tendance à la décarbonation du mix énergétique est partagée en Europe, les rythmes et les choix politiques varient d'un pays à l'autre, ce qui maintient des divergences de prix. Ainsi, le prix de gros, en France, est parfois très supérieur au prix de gros allemand, car la part des énergies renouvelables, en Allemagne, est plus élevée à certaines heures, et la France manque de capacité à d'autres heures.