Je remercie la rapporteure, et Sarah Legrain, pour la qualité de leur travail et des auditions. Les événements de la semaine dernière – un présentateur à l'ego démesuré qui se permet, à un moment de grande écoute, d'insulter un élu de la République et d'assumer « ne pas mordre la main qui le nourrit » en refusant d'aborder les troubles judiciaires de l'actionnaire de contrôle de la chaîne qui l'emploie – illustrent les dérives de la vie médiatique, fragilisée par les appétits des milliardaires de ce pays.
Ne soyons pas naïfs, la stratégie d'acquisition des médias par les industriels n'a rien de philanthropique, elle n'existe qu'à des fins d'influence politique, économique et est le fait d'individus richissimes, persuadés que tout peut s'acheter, jusqu'à la liberté de la presse.
Comme le montre le cas de Vincent Bolloré, les effets sont délétères sur la qualité du débat démocratique. Sa stratégie volontaire d'appauvrissement du travail journalistique dans les médias audiovisuels, où il a mis et pris la main, répète le même schéma : la pratique du management par la terreur ; des coupes massives dans les effectifs consacrés au travail d'enquête et au terrain ; remplacement des programmes d'information par des talk-shows, moins coûteux, où interviennent des éditorialistes proches de ses idées et dont les interventions ne sont pas comptabilisées dans les temps de parole, bien qu'étant très marquées politiquement – le plus extrémiste d'entre eux a été jusqu'à se présenter à la présidentielle.
L'information disparaît peu à peu. D'après une étude de François Jost, l'information stricto sensu, comme énonciation de faits, n'aura occupé que 13 % du temps d'antenne de CNews en janvier et en février 2022. Les journalistes qui s'y opposent sont invités à prendre la porte ; ceux qui tiennent à leur emploi sont contraints à l'autocensure.
La censure peut même être directe : un documentaire de Canal+ qui s'attaquait aux partenaires financiers du groupe Bolloré a été déprogrammé, des unes ont été imposées à la rédaction de Paris Match, le livre de Guillaume Meurice n'a jamais été imprimé.
Ce n'est pas parce qu'un média est privé que celui qui tient les cordons de la bourse peut décider du contenu éditorial. Oui, les journalistes peuvent, ils doivent, mordre la main qui les nourrit : il y va de leur liberté et de celle de la presse – une valeur constitutionnelle.
Le besoin de régulation est criant. Abaisser le seuil anticoncentration de la loi de 1986 est une bonne chose, mais le meilleur moyen de garantir la liberté et le pluralisme reste encore de protéger les journalistes et de leur accorder des droits, comme le fait la proposition de loi en accordant un droit d'agrément aux CSE. Mais il faudra aller plus loin, la rapporteure en est bien consciente, en incitant à la mise en place d'une gouvernance démocratique dans les entreprises de presse. Il faudrait conditionner les aides à la presse ou l'attribution d'un canal de télévision hertzien à la représentation, à hauteur de 50 %, des salariés dans les conseils d'administration. Le rôle de l'Arcom doit être repensé et sa palette de sanctions élargie pour rendre la dissuasion efficace.
Le groupe Écologiste-NUPES votera pour ce texte. La majorité présidentielle est attendue au tournant, elle qui s'était engagée à agir, par la voix de Roselyne Bachelot, alors ministre de la Culture. Nous ne pouvons plus renoncer à ces libertés, sous peine de voir de telles dérives mettre la démocratie en péril.