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Intervention de Sarah Legrain

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 9h40
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSarah Legrain :

Il y a urgence. Un homme, Bolloré, se livre à une guerre de conquête : sur le terrain audiovisuel, avec le rachat du groupe Canal+, iTélé devenue CNews et d'Europe 1 ; sur celui de la presse écrite, avec l'acquisition de Paris Match et du JDD, ainsi que du groupe Prisma Media et ses trente-six titres dont Capital, Femme actuelle et Gala ; sur celui de l'édition, avec le rachat, après la prise de contrôle d'Editis, de son principal concurrent, Hachette. L'empire s'étend également au monde du spectacle et du jeu vidéo. Bolloré assume de mener un « combat civilisationnel » – ce sont ses mots – à travers les médias qu'il possède, les films qu'il finance. Nous voilà donc prévenus : la constitution de cet empire ne saurait être vue ni comme un acte de philanthropie ni comme une simple course aux profits.

Émissions et documentaires supprimés, couvertures imposées, livres censurés, journalistes écartés, séries réécrites, pressions judiciaires et économiques sur les auteurs et les diffuseurs d'enquêtes sur les agissements de Bolloré, notamment en Afrique, pluralisme et indépendance – obligation inscrite dans la convention signée par la chaine l'autorisant à utiliser son canal TNT gratuit – allègrement bafoués, comme on a pu le voir sur C8 : la liste des méfaits de Bolloré est comme inépuisable.

Mais l'arbre Bolloré ne saurait cacher le bosquet des neuf industriels qui détiennent 90 % des médias : un paysage façonné par une loi du profit qui précarise les journalistes et affaiblit la valeur de l'information, un paysage fort peu diversifié et régulé, où règne le conflit d'intérêts. Comment ne pas voir le problème dans le fait que quelques industriels, en plus de leurs affaires de luxe, de transport, d'import-export, parfois d'armement, occupent aussi une position d'actionnaire de contrôle dans des médias destinés à informer le peuple, et dans lesquels le peuple a de moins en moins confiance ? Comment ne pas voir le danger dans leur pouvoir de pression lorsqu'à la concentration horizontale s'ajoute la concentration verticale – un homme possède une chaîne de télévision, mais aussi un fournisseur d'accès à internet et une agence de publicité ?

La loi Léotard de 1986, qui prolongeait l'esprit de l'ordonnance du 26 août 1944 sur l'organisation de la presse française et son indépendance, est aujourd'hui lacunaire, voire obsolète : elle échoue à garantir l'indépendance de l'information et du métier de journaliste.

Je vous invite à mesurer ce qu'un tel texte, s'il avait été adopté plus tôt, aurait permis d'éviter. Le 17 octobre 2016, après le rachat du groupe Canal+ par Vincent Bolloré, les salariés d'iTélé ont engagé un bras de fer inédit avec leur direction, demandant des garanties d'indépendance, un projet et des moyens pour la chaîne d'info ; après trente et un jours de grève, une durée record pour une chaîne privée, rien ne leur a été concédé ; un an plus tard, la quasi-totalité des journalistes avait quitté iTélé. Les journalistes d'Europe 1 se sont aussi mobilisés en vain contre le rachat de leur station. Le droit d'agrément confié au CSE aurait permis de négocier des garanties d'indépendance et d'empêcher des rachats contraires à l'exercice indépendant du métier de journaliste. Avec une loi comme celle qui nous est proposée, les journalistes du Parisien n'auraient pas eu à déplorer, dans le Huffington Post, l'autocensure qui les a poussés à ne pas évoquer Merci Patron !, qui a obtenu le César du meilleur documentaire, mais qui s'en prend à Bernard Arnault.

Nous ne prétendons pas que cette proposition de loi suffira à garantir l'indépendance de l'information et à l'emporter sur la concentration. Nous remercions les députés de la NUPES, qui ont joué le jeu et proposé des améliorations. Nous attendons avec impatience les propositions que le Gouvernement et la majorité ne manqueront pas de faire, après moult paroles sur le sujet et l'annonce de la tenue d'états généraux du droit à l'information – sur laquelle nous n'avons justement aucune information. À cet égard, je vois mal comment le groupe Renaissance entend mettre un coup d'arrêt à la concentration dans les médias lorsque son oratrice explique que l'interdiction de toute prise de contrôle de plus de 20 % du capital dans les médias les plus significatifs – une idée à laquelle, selon une étude d'Harris interactive, huit Français sur dix sont favorables – pose problème.

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