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Intervention de Clémentine Autain

Réunion du mercredi 16 novembre 2022 à 9h40
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain, rapporteure :

C'est dans un contexte particulier, celui du choc provoqué par les propos de Cyril Hanouna, que nous étudions cette proposition de loi, visant à mettre fin à la concentration dans les médias et l'industrie culturelle.

Insulter notre collègue Louis Boyard, insulter un député donc, sur un plateau de télévision, le traiter d'« abruti » et de « merde » alors qu'il mettait en cause les activités en Afrique de Vincent Bolloré, principal actionnaire de la chaîne, est une première. Une république ne peut – ne doit – jamais accepter cela. Après d'autres, cet événement doit nous alerter sur les conséquences de la concentration des médias sur le débat public.

Notre proposition de loi vise à s'attaquer à un dysfonctionnement majeur de notre démocratie : la mainmise d'une poignée de milliardaires sur les médias nuit gravement à la liberté d'expression et de communication, à la production de l'information, au pluralisme des points de vue.

Mais ce n'est absolument pas une fatalité. C'est le fruit de choix politiques et c'est pourquoi nous sommes convaincus qu'il faut revoir la réglementation des médias du sol au plafond. Tous les acteurs du secteur s'accordent à dire que la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dite loi Léotard, qui encadre le paysage audiovisuel français, est totalement obsolète. Trente-six ans plus tard, on se rend compte qu'elle n'est adaptée ni à l'audiovisuel public, ni à l'ensemble des médias et de l'édition.

Quelques chiffres pour commencer : huit milliardaires et deux millionnaires se partagent 80 % de la diffusion des quotidiens nationaux et 95 % de celle des hebdomadaires nationaux généralistes. Bernard Arnault et le groupe LVMH détiennent, entre autres, Le Parisien, Les Échos et La Croix. Martin Bouygues détient neuf chaînes du groupe TF1. Ces dernières années, Vincent Bolloré a pris le contrôle de CNews et du groupe Canal+, de Capital, de Géo, de Gala, etc. Lagardère possède Europe 1, Paris Match et Le Journal du dimanche. La soixantaine de quotidiens régionaux appartient à six principaux groupes et les dix-neuf chaînes privées de la télévision numérique terrestre (TNT) sont la propriété de six acteurs.

Le phénomène d'hyperconcentration atteint donc des sommets et se propage vers d'autres secteurs, notamment l'édition – dans le périmètre de la présente proposition de loi. Ainsi, Vincent Bolloré souhaite rapprocher Editis du groupe Hachette, propriété de Lagardère. Il pourrait bientôt posséder plus de 70 % des livres scolaires, la moitié des livres de poche, une centaine de maisons d'édition, et disposer d'un quasi-monopole sur la distribution des livres.

Tout cela a des conséquences concrètes sur le pluralisme, sur la qualité de l'information et, au final, sur la démocratie. À chaque rachat, à chaque concentration, le scénario est le même : démantèlement des rédactions, précarisation des conditions de travail, réduction sèche des personnels, sous-traitance à des agences de contenus, recours de plus en plus massif à une forme sacrifiant la formation à l'étalage d'opinions, ingérence dans les contenus éditoriaux, climat de terreur dans les rédactions.

Les journalistes disparaissent peu à peu, au profit d'éditorialistes – on le voit sur les plateaux de télévision. En outre, la production de contenus est déléguée à des agences, signant la fin des contenus de qualité. À Prisma Média, par exemple, 50 % des journalistes sont partis après le rachat par Bolloré.

On aboutit à ce que Julia Cagé, que nous avons auditionnée, appelle une information low cost, les nouveaux patrons se comportant en cost killers. Guillaume Meurice nous a ainsi rappelé les interventions parfois très directes des actionnaires dans les activités des entreprises contrôlées. C'est ainsi qu'il a appris, deux jours avant la présentation à la presse, que le dictionnaire d'une des collections des éditions Le Robert auquel il avait participé avait vu sa publication (et même son impression !) arrêtée. Selon lui, certains de ses commentaires humoristiques auraient déplu à Vincent Bolloré et conduit à l'annulation brutale de la sortie du livre. Bolloré a également censuré un documentaire consacré à la fraude fiscale et au Crédit Mutuel.

D'autres phénomènes sont beaucoup plus courants : la peur étant intériorisée, les rédactions font face à des excès de zèle, avec tout ce que cela peut induire en termes de production de l'information ou de place de la publicité. Cette reprise en main idéologique est le fait d'un tout petit noyau de personnes, des hyper-riches. Quel est l'intérêt de ces milliardaires ? Ils peuvent soit vouloir s'acheter de l'influence – c'est le cas de Vincent Bolloré –, soit rechercher de nouvelles sources de profit et, pour y arriver, maltraiter la production de l'information.

Or les médias ne sont pas des entreprises comme les autres – j'espère que nous nous entendrons au moins sur ce point – car l'information est un bien public fondamental et elle n'est libre que « quand elle ne dépend ni de la puissance gouvernementale, ni des puissances de l'argent, mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs » – ce sont les termes de la déclaration des droits et des devoirs de la presse libre de 1945.

Les journalistes sont les premiers à pâtir de la situation. Selon le baromètre 2022 des médias, seules 44 % des personnes interrogées estiment que les médias fournissent des informations fiables et vérifiées, et 62 % pensent que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir politique, ni des intérêts économiques. C'est dramatique d'un point de vue démocratique. Edwy Plenel, que nous avons auditionné, nous a expliqué comment ces phénomènes économiques consacrent le règne des opinions et étouffent les informations d'utilité publique. Il estime que la démocratie, c'est la construction d'un public, pas d'une audience.

Dans un secteur déjà très difficile d'accès, ces monopoles, empires médiatiques, engrangent l'essentiel des aides publiques, accaparent la majorité des canaux de diffusion et se partagent les plus grandes parts d'audience.

Notre proposition de loi est modeste : elle vise à limiter l'accès d'un actionnaire de contrôle au capital d'un média en octroyant un droit d'agrément au comité social et économique (CSE) – instance de représentation du personnel. Afin de lutter contre la concentration verticale et horizontale, sont visées les entreprises de presse, les entreprises éditrices d'un service de communication audiovisuelle – les chaînes de télévision et de radio –, les maisons d'édition et les entreprises de distribution et d'importation de livres.

L'article 4 de la proposition de loi interdit à toute personne possédant plusieurs entreprises exerçant une activité d'édition de presse, de service de radio, de télévision ou de médias à la demande, d'édition, de distribution, d'importation de livres ou relevant du secteur de la publicité de détenir une part supérieure à 20 % du capital de chacune d'entre elles.

La proposition de loi, qui n'est pas rétroactive, ne vise que les entreprises de plus de onze salariés et les médias les plus significatifs – un seuil d'audience sera déterminé par décret.

Il s'agit d'indiquer un sens, de commencer à légiférer et à encadrer la possession de médias afin de lutter contre la concentration. Je tiens à rappeler qu'entre 1944 et 1986, la loi était bien plus stricte puisqu'elle interdisait notamment à une personne d'être propriétaire de plus d'un journal quotidien dont le tirage était supérieur à 10 000 exemplaires ou de plus d'un périodique dont le tirage était supérieur à 50 000 exemplaires.

Nous recherchons un consensus, pour enclencher une prise de conscience sur un problème démocratique majeur, mais d'autres pans de la législation méritent d'être révisés : critères d'attribution des aides publiques, cahiers des charges, renforcement de l'audiovisuel public pour qu'il devienne populaire et de très haut niveau, encadrement de la publicité, nouveaux droits pour les journalistes, etc. Nous plaidons donc en faveur d'une très grande loi-cadre pour les médias.

En privé, Vincent Bolloré a confié se servir de ses médias pour mener un combat civilisationnel. Avec mes collègues insoumis, et plus largement tous nos collègues de la NUPES, nous avons aussi à cœur de mener un combat civilisationnel, d'un autre ordre : celui qui réaffirme que la richesse de la culture et de la démocratie doit toujours l'emporter sur celle des puissances financières. Notre proposition de loi vise à enclencher ce mouvement de civilisation en faveur des biens communs, afin qu'ils prennent le dessus sur les intérêts d'un tout petit nombre.

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