Il vous serait difficile de trouver un papier ou un documentaire qui ne soit pas à charge en ce moment. Je n'en vois pas beaucoup. Il y en a tout de même quelques-uns de temps à autre, qui font bizarrement plaisir alors que l'on ne s'y attend pas. C'est regrettable, c'est très frustrant. Le plus frustrant dans la position que j'occupe est que cela se passe dans notre pays, le pays dont nous sommes le plus proche et le plus fier.
Nous ne sommes pas attaqués dans les 129 autres pays où nous sommes implantés. Pas du tout, nous sommes même considérées dans nombre d'entre eux comme l'entreprise pétrolière la plus avant-gardiste dans son changement de modèle de développement. C'est le pays où nous avons notre siège et nos employés qui nous attaque le plus. C'est quelque peu frustrant mais mes collègues britanniques et américains connaissent la même situation. Nul n'est prophète en son pays !
Pour revenir sur le devoir de vigilance, nous comprenons ce texte comme la volonté du Parlement d'éviter des situations comme le drame qui s'était déroulé avec des sous-traitants en Inde. L'obligation que fixe le Parlement par la loi est d'avoir un plan, une sorte d'assurance qualité, des processus et des garanties pour nous assurer que nous mettons bien en œuvre un certain nombre de valeurs fondamentales, de rendre un rapport annuel et de vérifier que ces valeurs sont bien respectées dans nos projets.
Nous verrons ce que les tribunaux comprennent puisque nous n'avons pas décrit chacun des projets dans notre rapport. Si je dois décrire chacun des projets dans le rapport, ce dernier qui est déjà épais va beaucoup grossir. Donc, nous avons instauré une méthode pour respecter le devoir de vigilance : nous avons élaboré un plan, qui est très conforme. Nous l'avons comparé aux autres grandes sociétés françaises qui ont émis des plans et n'avons pas considéré que le nôtre était de moins bonne qualité.
La difficulté à laquelle nous sommes confrontés sur le plan judiciaire est une interprétation de ce texte qui ne s'attache pas à la lettre de la loi, mais selon laquelle nous devrions être vigilants tout le temps, ce qui va au-delà de l'obligation légale. Nous verrons comment les tribunaux vont juger. Il y avait une demande de médiation possible avec les ONG. Nous étions prêts à le faire. Les ONG ne l'ont pas souhaité. Nous verrons donc ce que le tribunal de première instance statuera. À mon avis, nous sommes partis pour une insécurité juridique assez majeure sur ces dispositions. Le niveau européen reprend le concept. Nous verrons comment tout cela sera rendu compatible.
Ce qui m'ennuie, pour la compétition internationale, c'est que ce genre de texte n'a aucune chance d'apparaître côté américain. C'est un vrai problème. Il faut tout de même vous rendre compte, et je profite de l'occasion pour le dire, qu'aujourd'hui, les sociétés européennes, en raison d'un certain nombre de réglementations qui sont sans doute toutes légitimes mais qui ne s'appliquent pas à l'ensemble de nos vrais compétiteurs – qui sont aujourd'hui largement américains –, doivent se battre dans la compétition mondiale avec plus de contraintes que leurs rivaux.
Je ne dis pas que ce n'est pas bien. Je dis simplement que, lorsque nous, Européens, voulons progresser dans les normes sociales et environnementales, comme celles que porte ce texte et dont je comprends le fondement, il faudrait au moins qu'elles s'appliquent dans le champ des alliés, notamment le champ transatlantique, car c'est cela la réalité de notre compétition aujourd'hui. Elles s'appliqueront encore moins en Chine, mais je n'ai même pas l'illusion de le vouloir. Ce qui m'ennuie surtout, c'est que l'évolution de l'autre côté de l'Atlantique est très éloignée de cela.
Ce n'est pas un texte très simple parce qu'au-delà de la lettre et du contenu même de la loi, il y a l'intention que certaines parties prenantes veulent visiblement lui conférer. Cela devient délicat. Nous verrons bien ce qui se passera. Je le répète : nous sommes dans un État droit et nous respectons l'État de droit. Donc, à la fin, la justice aura raison. Mais, à mon avis, le feuilleton judiciaire de cette affaire n'est pas près de s'achever.