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Intervention de Patrick Pouyanné

Réunion du mercredi 9 novembre 2022 à 10h30
Commission des affaires étrangères

Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies :

Monsieur Vuibert, vous pouvez m'accuser de ne pas nous occuper des énergies décarbonnées mais je voudrais savoir quel groupe français investit plus que nous dans les énergies renouvelables. Si vous le trouvez, indiquez-le-moi ! En investissant 4 milliards tous les ans, nous faisons partie des cinq plus gros investisseurs au monde dans les énergies renouvelables. On peut toujours dire qu'il faut faire plus mais ce n'est pas qu'une question d'argent ; encore faut-il trouver des projets.

Les énergies renouvelables demandent d'énormes efforts. Ce sont des projets terrestres, des projets locaux. Il faut trouver l'espace. Il faut des équipes nombreuses. Nous recrutons et augmentons régulièrement nos équipes : 10 000 personnes travaillent dans ce secteur. Chaque projet est un effort, pas seulement dans notre pays, mais partout dans le monde. Aujourd'hui, ce n'est pas l'argent qui nous limite, mais notre capacité à trouver les projets et à les développer.

Si nous sommes allés dans ce champ des énergies renouvelables et de l'électricité, c'est que nous considérons que le potentiel de croissance est très élevé dans l'ensemble des pays, puisque nombreux sont ceux à vouloir développer de tels projets. Donc, je le répète : nous sommes un groupe pétrolier et je ne sais pas tout changer d'un coup de baguette magique. C'est parce que TotalEnergies investit 4 milliards par an pendant dix ans que le groupe parviendra à produire 20 % d'électricité d'origine renouvelable en 2030. C'est cela la stratégie de l'entreprise. Elle consiste aussi à faire en sorte que l'électricité représente plus de 50 % de notre production en 2050. Nous sommes en train de transformer un producteur d'énergies fossiles, pétrole et gaz, en un producteur d'électricité décarbonnée. Par ailleurs, comme nous l'avons décrit, notre portefeuille comportera à peu près 25 % de molécules décarbonées, comme de l'hydrogène, des fiouls synthétiques ou autres, et les hydrocarbures ne représenteront sans doute plus que 25 % de ce portefeuille, en ligne avec le fameux scénario de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) qui prévoit, en 2050, de continuer à avoir une production d'hydrocarbures d'à peu près 20 à 25 % du mix.

Voilà notre plan. On peut considérer que ce n'est pas assez rapide mais passer de 1 à 2 milliards, puis à 4 milliards d'investissements annuels en trois ans alors que l'on ne part de rien et que l'on est censé constituer des équipes, n'est pas rien. Ce ne sont pas les milliards qui font les projets mais les hommes et les femmes que vous avez besoin de recruter, de former et mettre en œuvre, et ce dans de nombreux pays du monde.

Nous sommes engagés dans cette stratégie mais, comme je l'ai expliqué par ailleurs, on peut envisager les investissements de deux façons. Quels sont vraiment les projets nouveaux ? Et qu'est-ce qui maintient le système ?

Un système industriel de la taille du nôtre, qui produit 1,5 à 2 % de l'énergie mondiale, puisque telle est notre part de marché en pétrole et gaz, réclame des milliards chaque année, pour son seul maintien, soit à peu près 8 milliards. Sur les autres 8 milliards de résultat net du groupe, la moitié est consacrée aux énergies décarbonnées, l'autre moitié à de nouveaux projets en énergies fossiles, car je dois aussi conserver des projets nouveaux pour lutter contre un déclin, parce que la demande est toujours là et que, par ailleurs, le gaz naturel liquéfié se substitue au charbon pour produire de l'électricité.

Pour 95 % d'entre eux, si nos clients nous achètent du gaz naturel liquéfié, c'est pour substituer du gaz au charbon. Il faut y voir une contribution, certes transitoire, au changement climatique puisqu'une centrale à gaz émet deux fois moins de CO2 qu'une centrale à charbon. Ce gaz que vous décriez contribue au fait que l'atmosphère soit moins chargée de CO2. Cette notion d'émissions évitées est essentielle dans le débat. Le phénomène est transitoire et positif. Le gaz comme énergie de transition est un apport positif à la question du changement climatique, au moins pour ce qui est des vingt prochaines années. Après, il faudra verdir le gaz : on passera à l'hydrogène, à l'ammoniaque et à d'autres moyens de le produire.

Un système électrique qui ne serait qu'intermittent ne vous satisferait pas. S'il faut expliquer à nos concitoyens qu'ils n'auront de l'électricité que lorsqu'il fait soleil ou que le vent souffle, en tant que responsables politiques, vous ne serez pas satisfaits, je vous le garantis. Il faut bien évidemment accompagner les énergies renouvelables. Autrement, je suis désolé, on peut tous se raconter des histoires, mais ce sont des histoires. Produire de l'électricité fiable nécessite des moyens de production flexibles. Les meilleurs moyens dont nous disposons à ce jour sont les centrales à gaz. Il est aussi possible de s'appuyer sur le nucléaire. C'est le choix de la France, où les centrales nucléaires ne sont pas un moyen flexible mais un moyen de base. Il n'en demeure pas moins que la France a aussi besoin de centrales à gaz.

On peut tous vouloir et tous dire en même temps « yaka », ce n'est pas la vérité de la modification d'un système énergétique. Ce n'est pas ainsi que cela se passera.

Monsieur François, vous avez posé des questions précises sur le canal du Mozambique. Il se trouve que nous connaissons le dossier Juan de Nova. Vous avez dit la vérité, la France a adopté une loi qui interdit à quiconque sur le territoire français de rechercher des hydrocarbures. Nous respectons l'État de droit. C'est un choix, voté par la représentation nationale, nous le respectons. Donc, personne n'obtiendra d'autorisation pour aller chercher des hydrocarbures dans les îles Éparses ou les îles Glorieuses.

C'est un sujet que nous avons étudié un certain temps et que nous avons abandonné après avoir travaillé avec une des sociétés dont vous avez parlé, pour voir si cela présenterait quelque intérêt. Il n'y en avait pas et, par ailleurs, le Parlement français ayant décidé qu'il ne fallait pas rechercher d'hydrocarbures sur le territoire national, le sujet a été clos.

Pour répondre complètement à vos propos, de l'avis de nos experts, le potentiel n'est pas de la taille de celui que vous avez décrit. Je pense donc que l'on peut laisser les îles Éparses et les îles Glorieuses à leur fonction de sanctuaires de la biodiversité.

Puisque nous évoquions le Mozambique, je réponds tout de suite à madame Youssouffa. La reprise du projet du Mozambique pose plusieurs questions.

Ma première responsabilité, qui domine d'ailleurs dans beaucoup de dossiers, est la sécurité du personnel de TotalEnergies. En avril 2021, nous avons dû évacuer des milliers de personnes, non seulement appartenant au groupe mais aussi des civils. Remettre en chantier est une décision compliquée. Cela explique nombre des positions que nous avons prises au cours des dernières années. Lorsque nous mettons du temps à nous désengager de Russie ou du Myanmar, c'est aussi parce que ma première préoccupation est de ne pas exposer le personnel que nous avons dans ces pays. Tant que je n'ai pas trouvé les conditions pour les protéger ou les évacuer, j'évite de prendre des décisions hâtives, même si je ne soutiens pas les régimes en question.

Donc, à la question de savoir si l'on peut reprendre les opérations au Mozambique, la décision se prendra sans doute au cours de la première moitié de 2023 et impliquera, de mon point de vue, que l'on a retrouvé des conditions de sécurité durables dans le Cabo Delgado. Cela signifie notamment, et nous l'avons dit au gouvernement du Mozambique, que nous voulons que les populations puissent vivre normalement, que les administrations fonctionnent, que l'activité économique redémarre. La meilleure sécurité, c'est tout de même que les personnes puissent vivre normalement. Il n'est pas question que nous reprenions ce projet en étant sécurisés en permanence par une armée.

Si nous le faisons, Mayotte en profitera. Je vous l'affirme car, en liaison étroite avec le Gouvernement qui me l'avait demandé, nous avions prévu l'installation d'une base à Mayotte, notamment pour la partie des flexibles sous-marins, avec l'un des contracteurs. Nous avions également prévu que Mayotte puisse servir de base arrière d'évacuation. Nous étions prêts à investir dans l'hôpital à Mayotte parce qu'en cas d'accidents, il était plus rapide pour nous d'évacuer des blessés sur Mayotte qu'à Maputo, qui est plus éloigné.

Donc, nous pensons bien évidemment à Mayotte pour ce projet. Nous avions aussi prévu un câble électrique sous-marin pour les questions de téléphonie avec Orange, qui relierait notre projet à Mayotte. Nous avons donc bien ce projet à l'esprit. Je ne sais pas encore si nous le reprendrons. Je ne peux pas me prononcer aujourd'hui. J'ai d'ailleurs dit à mes équipes que nous ne le relancerions que le jour où elles m'autoriseront à me rendre au Cabo Delgado, à emprunter la fameuse route de cent kilomètres et à rencontrer les personnes sur le terrain. Je pense être un bon test : tant que mes équipes de sécurité me diront de ne pas y aller, je n'enverrai ni le personnel, ni les contracteurs de TotalEnergies. On me dit que je pourrais y aller au premier trimestre. Vous verrez donc.

S'agissant de votre seconde question concernant Mayotte, je ne suis pas au courant. J'ai été sollicité sur le rabais à la pompe et j'ai dit que Mayotte en bénéficierait, bien évidemment. Mais je n'étais pas au courant de cette question relative au kérosène que vous soulevez. Nous vous répondrons par écrit.

Madame Panot, sans poser de questions, en a posé dix. Je ne sais si je vais utiliser les mêmes métaphores pour répondre à chacune d'elles. Je reviens malgré tout sur l'Ouganda, car j'en ai un peu assez d'entendre que 100 000 personnes – ou 100 000 foyers pour Monsieur Faure – sont déplacées. Je vais vous donner les chiffres réels, parce qu'il est facile d'affirmer des choses sur Twitter en prétendant que c'est la vérité.

La vérité n'est pas celle-là. J'aurais adoré que le Parlement européen nous invite à nous expliquer. Je ne comprends pas nos systèmes démocratiques dans lesquels des personnes prennent des résolutions sans même inviter la principale partie prenante pour l'interroger. J'aurais répondu aux questions et j'aurais évité au Parlement européen de se discréditer, en prenant une résolution.

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