Je ne sais si je parviendrai en quinze minutes à répondre toutes vos interrogations mais je vais essayer de brosser rapidement le tableau.
L'énergie est un bien essentiel à tout développement économique et social, et toute politique énergétique présente trois caractéristiques. La première est de faciliter l'existence du plus grand nombre grâce à une énergie fiable et sûre. Cela paraît évident ici, en France, même si, en ce moment, des débats surgissent également en Europe ; ce n'est pas aussi évident pour le milliard de personnes sur la planète qui n'ont pas accès à l'énergie.
La deuxième caractéristique, que j'aurais également pu placer en premier, est que l'énergie doit être durable, au sens climatique du terme. Un impératif a été fixé auquel TotalEnergies souscrit, signé dans l'accord de Paris : nous devons faire face au dérèglement climatique et l'énergie, fossile notamment, est source d'émissions de carbone qui posent question.
La troisième caractéristique, que l'on vit de façon prégnante en 2022, est que l'énergie doit être abordable. Après vingt-cinq ans passés dans le secteur de l'énergie, je constate que le prix de celle-ci pilote à peu près toutes nos politiques car c'est un bien essentiel, dont tout le monde a besoin. Lorsque l'on commence dans la vie, que l'on a un salaire, la première chose que l'on fait, c'est de se chauffer et se déplacer pour pouvoir vivre et travailler.
Ce caractère abordable vaut également pour tout développement économique et social des pays émergents. Depuis des siècles, l'homme cherche l'énergie la plus abordable possible et vit des révolutions énergétiques successives : à l'origine, c'était le charbon, puis le pétrole, le gaz, le nucléaire, etc.
Le pétrole est l'énergie la plus dense et abordable que l'on ait trouvée. Le défi de la transition énergétique est de passer d'un système mondial à 81 % d'énergies fossiles – de l'ordre de 30 % de charbon, 30 % de pétrole et 20 % de gaz – à un système sans énergies fossiles, et ce à l'échelle de la planète, pas seulement à l'échelle d'un pays puisque le changement climatique est un défi global. Certes, les pays développés doivent faire des efforts car nous avons une responsabilité historique, mais il ne servirait à rien de les faire seuls si le reste de la planète ne nous suit pas.
Le défi est prométhéen. Il y a vingt-cinq ans, la part des énergies fossiles était de 82 % ; l'année dernière, elle était de 81 %. Des évolutions ont pourtant eu lieu entre-temps mais, avant tout, la population de la planète croît. C'est la raison pour laquelle les efforts considérables que nous produisons pour construire les énergies décarbonnées sont, en fait, absorbés par la demande supplémentaire liée à la croissance de la population. C'est un sujet majeur dont il faut bien saisir la portée parce que le défi de la transition énergétique consistera à répondre aux besoins d'une population croissante tout en décarbonant.
Ces populations croissantes aspirent toutes, légitimement, au niveau de la planète, à avoir accès à l'énergie. Le sujet ne se pose pas tant dans nos pays développés occidentaux que dans les pays asiatiques, sud-américains et africains où la demande porte sur une énergie à faible coût. Nous le constatons de façon spectaculaire cette année car, les prix du gaz s'envolant sous la pression européenne, les pays asiatiques se tournent à nouveau vers le charbon et nous assistons à un passage du gaz au charbon parce que le charbon est l'énergie la moins chère pour produire de l'électricité dans des pays qui en ont besoin.
Tel est le défi. Il est loin d'être simple à relever et il est collectif. Il pose, bien évidemment, de nombreuses questions.
Au regard des milliards que nous allons investir dans notre propre transition énergétique, je me demande si de telles sommes représentent le moyen le plus efficace pour abaisser les émissions marginales de CO2, marginales même si elles existent dans nos pays, alors qu'il faudrait des trilliards pour parvenir à maîtriser la croissance des émissions des pays majeurs que sont la Chine et l'Inde notamment, dont le mix énergétique domestique repose fondamentalement sur le charbon et le renouvelable, ce qui n'est pas nécessairement bon pour le climat.
Tout cela forme un système complexe. Je vais sans doute choquer certains d'entre vous, mais croire que cela se fera en une nuit n'est tout simplement pas possible. La transition prendra du temps. Je sais bien que l'on me répondra que les experts du climat disent qu'il y a urgence. J'en conviens mais, en même temps, nous voulons vivre et notre capacité à accepter de changer nos comportements, nos vies, nos sociétés n'est pas aussi évidente que cela. Regardez ce qui se passe cette année : les prix de l'énergie augmentent à cause de la guerre et de ses effets, et les États européens doivent mettre en place des systèmes de subvention à l'énergie d'aujourd'hui, qui est fossile.
Le défi est donc important. Pour réussir cette transition énergétique, puisque je suis un producteur d'énergie, nous allons beaucoup parler d'offre. On a le sentiment qu'en baissant la production d'énergies fossiles, le problème sera réglé, mais la demande d'énergies fossiles – plus précisément, la demande d'énergie qui, aujourd'hui, est majoritairement satisfaite par les énergies fossiles – continue de croître. Tant que ce sera le cas, si, nous, producteurs d'énergies fossiles, décidons – comme nous l'avons d'ailleurs fait – de réduire nos investissements, à la fin, ce sont les prix qui procéderont à l'adaptation entre la demande et l'offre.
C'est exactement ce à quoi nous assistons en ce moment, de façon spectaculaire. Nous avons réduit les investissements dans les énergies fossiles à l'échelle de la planète ; ils sont passés de 700 milliards en 2014 à 400 milliards cette année. Pour TotalEnergies, cela représente une baisse de l'ordre de 40 %, puisque nous sommes passés de 20 milliards à 12 milliards. Or si nous n'investissons pas, il y a un déclin naturel des champs de pétrole et de gaz de 4 à 5 % par an. La fourniture de pétrole ne fonctionne pas comme une usine de médicaments. Un écart se creuse parce que la pression dans le puits diminue au fur et à mesure que l'on produit, engendrant une baisse de la production l'année suivante. Ce phénomène est majeur. À partir du moment où TotalEnergies décide d'investir dans l'énergie fossile, elle perd 4 % par an, soit 60 % de sa production en quinze ans. La question est donc de savoir quand arrêter pour atteindre l'objectif visé en 2050. Nous devons donc continuer à investir. Pour reprendre l'exemple de la voiture, en attendant, nous continuerons à utiliser des véhicules thermiques, et l'on voit bien malheureusement que lorsque, pour d'autres raisons, nous n'arrivons pas à fournir l'essence à nos concitoyens, la situation devient difficile.
Le défi est double. D'une part, il faut massivement investir pour construire le système décarbonné, ce que j'appelle le système B d'énergie de demain. À l'heure actuelle, 700 milliards de dollars sont alloués à cette énergie décarbonnée – donc, plus qu'aux énergies fossiles. En réalité, pour être dans la trajectoire, il faudrait être capable de passer de 700 milliards à 1,5 trilliard de dollars par an. Il serait nécessaire de doubler à l'échelle de la planète les investissements en faveur des énergies renouvelables comme du secteur de l'électricité. De plus, s'agissant de l'électricité, il ne faut pas oublier les réseaux car, plus on produira d'énergie renouvelable décentralisée, plus il faudra de réseaux, ce que l'on oublie parfois. Les réseaux que nous utilisons, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, datent de l'après-guerre. Or les investissements en la matière sont relativement limités.
Il faudrait consentir un effort gigantesque. Ce système B n'existe actuellement que de façon embryonnaire et ne permet de couvrir que 5 à 7 %, disons 10 %, des besoins mondiaux. Notre défi est, bien évidemment, de construire massivement ce système B, mais si nous cessons d'investir dans le système de l'énergie qui nous fait vivre actuellement, si cette énergie diminue, cela ne fonctionnera pas. La transition ne pourra s'opérer. Il convient de trouver le bon équilibre entre investir dans l'énergie de demain et accélérer, tout en maintenant le système énergétique actuel car c'est un impératif tant que le système B ne sera pas suffisamment développé. Telle est l'équation, elle ne sera pas résolue en un ou deux ans. Un système énergétique se construit sur plusieurs décennies.
TotalEnergies applique exactement ce choix stratégique. Quand le groupe Total est devenu TotalEnergies en 2020, ce n'était pas simplement pour changer de nom, mais pour traduire un véritable changement de stratégie. Lorsque l'on regarde les marchés de l'énergie, on voit bien que le marché pétrolier actuel finira par stagner, puis diminuera. Le marché gazier, quant à lui, s'il peut continuer à croître, diminuera aussi. L'énergie de transition passe par l'électricité. Il faut donc électrifier l'économie et, pour ce faire, construire un système électrique à base d'énergies renouvelables, à base également de centrales à gaz pour assurer des moyens de génération flexibles, à base de batteries et de matériels de stockage de l'électricité, qui n'est pas le sujet le plus simple à résoudre.
En passant de Total à TotalEnergies, nous avons donc décidé d'exercer un métier supplémentaire : celui de fournisseur d'électricité. Nous investissons dans ce domaine, et pas de façon limitée puisqu'en 2022, sur nos 16 milliards d'investissement, 4 milliards, soit 25 %, ont été consacrés aux énergies décarbonnées, et notamment à bâtir ce pilier d'électricité. À la fin de cette année, nous atteindrons 16 gigawatts, à peu près l'équivalent en capacités d'énergies renouvelables ou centrales à gaz, l'essentiel étant l'énergie renouvelable. À la fin de l'année prochaine, nous serons à plus de 22 gigawatts, l'objectif étant d'atteindre 35 gigawatts en 2025 et 100 gigawatts à la fin de la décennie.
C'est une évolution majeure pour nous même si, dans le même temps, nous continuons à investir 12 milliards dans les énergies fossiles, soit 6 à 7 milliards pour maintenir notre activité actuelle, et 4 à 5 milliards dans de nouveaux projets, notamment des projets de gaz naturel liquéfié.
Ces rappels m'amènent à la question géopolitique.
Permettez-moi tout d'abord quelques réflexions sur ce que nous vivons. La Russie, vous le savez, est un acteur majeur dans le monde de l'énergie : troisième producteur mondial de pétrole et deuxième exportateur ; deuxième producteur de gaz naturel et premier exportateur ; sixième producteur de charbon et troisième exportateur. Elle est d'ailleurs également le quatrième producteur de nickel et le sixième de cuivre, ce qui concerne plutôt les énergies renouvelables. La disruption russe est donc un sujet majeur dans le monde de l'énergie, qui a des conséquences pour nous, Européens.
Côté pétrole, TotalEnergies a indiqué que nous pourrions nous passer de pétrole russe, et nous allons nous en passer. Les impacts sont relativement limités. Nous pourrons y revenir lors des questions.
Coté gaz, en revanche, pour nous, Européens, le sujet est majeur. En effet, que se passe-t-il sur le gaz ? En vérité, depuis vingt ans, on a construit le système européen comme si le gaz russe était un gaz domestique ; il ne l'est pas, nous le découvrons. Mais c'est ainsi que nous avons construit le marché gazier européen et construit, si l'on peut dire, notre « indépendance ». Le terme exact serait plutôt celui de « dépendance ».
À lui seul, le gaz russe représente 100 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié. La production mondiale de gaz naturel liquéfié est de 400 millions de tonnes. Cette année, l'Europe n'a pas acheté 100 millions de tonnes, elle est allée chercher 40 millions de tonnes sur le marché mondial du gaz naturel liquéfié. Nous avons engendré un choc de la demande de 10 % sur le marché mondial du gaz naturel liquéfié. C'est énorme pour lemarché énergétique. Pour fournir ces 10 % à l'Europe, nous avons dû les chercher en Asie, en concurrence avec les Chinois, les Japonais et les Coréens. C'était nécessaire, et nous l'avons fait en faisant monter les prix.
Une usine de gaz naturel liquéfié demande un investissement d'une dizaine de milliards et demande cinq à six ans de construction.
Ce marché de 400 millions de tonnes – l'année dernière, il était exactement de 380 millions de tonnes – n'évoluera pas rapidement. La prochaine vague de constructions sera livrée en 2026 ou 2027, car des usines continuent de se construire, même si le Covid avait quasiment stoppé les investissements. Nous sommes donc face à un système contraint par l'offre de 400 millions de tonnes. Nous, Européens, en avons demandé 40 millions cette année et, potentiellement, s'il faut remplacer tout le gaz russe, ce sont 100 millions de tonnes qu'il nous faudra.
Ce choc est majeur. C'est la raison pour laquelle les prix du gaz se sont envolés et nous avons une nouvelle dépendance. Si nous n'utilisions pas le gaz naturel liquéfié auparavant, c'est parce qu'il était plus cher que le gaz russe. La vérité est que notre dépendance au gaz russe tenait à son coût, plus bas. En conséquence, l'un des facteurs de compétitivité de l'industrie européenne, notamment de nos voisins d'outre-Rhin, tenait au gaz russe. En le remplaçant par du gaz naturel liquéfié (GNL), qui est deux fois plus cher, les Européens sont confrontés à un problème de compétitivité lié à l'énergie.
Le Japon connaît cette situation depuis trente ans. Ce pays vit avec une énergie beaucoup plus chère que le reste de la planète. Il a d'ailleurs créé le gaz naturel liquéfié dans les années 1970-1980. Il importe quasiment toute son énergie : du charbon, mais aussi du gaz naturel liquéfié. Il avait le nucléaire mais Fukushima l'a remis en question. Au passage, qu'a fait le Japon ? Il a fermé ses frontières, c'est-à-dire qu'il a instauré des tarifs douaniers pour protéger son industrie. Quand un pays est confronté à des facteurs de compétitivité qui n'en sont plus, il faut bien prendre des décisions pour protéger son industrie. Cela ne relève pas de ma compétence en tant que patron d'un groupe du secteur de l'énergie, c'est un simple commentaire, mais je vous invite en tant que décideurs politiques à observer comment le Japon réagit pour mieux préserver son économie face à une énergie chère.
Il est une autre conséquence majeure de cette disruption que je voulais partager avec la commission des affaires étrangères. Après le début du conflit, très rapidement, j'ai été amené à me rendre en Inde où nous investissons. J'ai été très frappé de la réaction de mes interlocuteurs indiens. Puis, je me suis rendu au Moyen-Orient et, alors que nous vivions ce drame de la guerre en Ukraine, tous me demandaient ce que nous avions fait, nous, Européens, pour en arriver à une telle situation. Je me suis rendu compte que la vision que nous avions de ce conflit – nous occidentaux, Européens et nos alliés américains, c'est-à-dire le camp occidental – n'était pas du tout partagée par l'immense majorité du reste du monde qui nous regarde comme si nous en étions coresponsables, considérant que nous n'avons pas fait ce qu'il fallait. D'ailleurs, nous avons pu constater combien ils étaient surpris de notre décision d'engager des sanctions de manière unilatérale, avant même de consulter des Nations Unies pour vérifier que nous avions raison.
Il importe vraiment de prendre en compte ce phénomène. Nous avions construit un monde global fondé sur le commerce, en espérant que ce dernier entraînerait nos idéaux démocratiques. Après la chute du mur de Berlin en 1991, nous avons basculé dans un autre monde – nous l'avions constaté avec le Covid, mais nous le percevons encore plus clairement aujourd'hui avec ce conflit qui devient plus géopolitique créant une cassure entre blocs : le bloc occidental d'un milliard de personnes et le Sud de quelque six milliards d'individus. Il ne faut donc pas se tromper dans l'analyse : les Chinois ne sont pas seuls à soutenir plus ou moins les Russes, il y a bien plus de monde que cela dans ce Sud qui nous regarde.
Cela rejoint le débat actuel à la COP27, qui est un débat de même nature géopolitique entre le Nord – l'occident, les pays développés – et le Sud – notamment les pays africains qui affirment leur droit de se développer.
Une cassure est en train de s'opérer à travers un certain nombre de conflits et de crises. C'est un sujet qu'il ne faut pas sous-estimer. Le Sud est composé de six milliards de personnes. Nous sommes, quant à nous, un milliard. Il faut comprendre que ces pays – et je connais bien, aussi, les pays du Moyen-Orient – vivent dorénavant leur futur par eux-mêmes ; et leur futur, c'est l'Asie ! Le futur des pays du Moyen-Orient se trouve à l'Est ; c'est d'ailleurs l'Asie qui achète leur pétrole aujourd'hui, beaucoup moins l'Occident.
Il convient donc de prendre en compte les forces géopolitiques que constituent tous ces clubs de pays dans les positions que nous adoptons en tant qu'Européens parce que, d'un point de vue énergétique, l'Europe se retrouve un peu dans la situation du Japon. Puisque nos énergies fossiles diminuent, que nous dépendons des autres, la solution est d'accélérer la maîtrise des énergies sur notre territoire, à savoir les énergies renouvelables. C'est pour cela que je pense que le plan européen est adéquat. Je me prononcerai moins sur l'énergie nucléaire, parce que je ne suis pas expert en la matière ; vous inviterez le président d'EDF si vous voulez qu'il vous en parle. Mais, avec le nucléaire, les énergies renouvelables sont les seules énergies de souveraineté que nous pouvons maîtriser.
Construire un système énergétique européen plus souverain prendra du temps, même si des dépendances subsisteront. S'agissant des énergies renouvelables, une des questions majeures tient à la fabrication en Chine de la plupart des composants ; nous nous retrouvons donc en prise à une autre dépendance et, pour le moins, il nous faudra importer les matériaux nécessaires à la construction des batteries. Il n'empêche que c'est un sujet de sécurité énergétique qu'il convient de repenser.
Comme je l'expliquais, la stratégie de TotalEnergies a beaucoup évolué. Nous sommes confrontés à un défi parce que, dès lors que les prix des hydrocarbures sont plus élevés, un certain nombre d'actionnaires nous demandent pourquoi nous n'investissons pas davantage. Nous avons décidé d'une stratégie, à laquelle nous allons nous tenir, consistant à maintenir notre production de pétrole, à ne plus la faire croître, à adapter surtout notre système de raffinage et de réseau, qui est très européen, au fait que la transition énergétique interviendra d'abord en Europe, à continuer de croître sur le gaz naturel liquéfié – nous sommes devenus le deuxième acteur mondial du gaz naturel liquéfié, le troisième si je compte le Qatar avec Shell – et à atteindre notre ambition d'être parmi les cinq plus grands producteurs d'énergies renouvelables d'ici à 2030, avec une centaine de gigawatts.
Comment répartissons-nous notre valeur ajoutée ? La valeur ajoutée fluctue ; cette année, elle est beaucoup plus élevée. L'une des conséquences de ces bénéfices plus importants est que nous avons décidé de passer de 14 à 18 milliards d'investissement. Nous augmentons donc nos investissements, notamment dans les énergies dites décarbonées. L'an dernier, nous étions à 3 milliards, nous passons à 4 milliards et nous avons annoncé que nous monterions jusqu'à 6 milliards, soit un tiers du portefeuille, la partie réservée aux hydrocarbures demeurant stable afin d'assurer la mission que j'ai décrite.
Par ailleurs, nous répartissons notre valeur ajoutée avec nos actionnaires, nos salariés ainsi qu'avec les consommateurs puisque, dès le mois de mars, nous avions pris l'initiative de lancer des opérations visant à soutenir les consommateurs français.
Je ne répondrai pas sur la notion de contrôle qui relève plus du Parlement. Je peux toutefois dire que des sociétés comme les nôtres font face à de très nombreuses réglementations auxquelles nous devons obéir, d'autant plus que le groupe TotalEnergies est à la fois coté en Europe, en France et à New York. Le nombre de réglementations auxquelles nous devons répondre est élevé. En même temps, une des autres règles que nous suivons est que nous respectons le droit de tous les pays dans lesquels nous sommes implantés.
Vous m'avez parlé de voiture. La voiture est un exemple de transition. Je pense que Carlos Tavarès ou Luca Di Meo seraient plus à même de parler de construction automobile que moi. Pour ma part, j'observe qu'un choix est fait. En réalité, je ne suis jamais très favorable à ce qu'un choix technologique soit fait par un pouvoir politique. J'ai apprécié votre paradigme du risque du Minitel, qui est réel.
À mon sens, la vraie décision à prendre est celle de savoir quelles sont les émissions de carbone que l'on veut ou que l'on ne veut pas pour rouler. Le véhicule électrique est une option. On peut imaginer des options alternatives, l'une d'entre elles étant les fiouls synthétiques fabriqués à partir de CO2 et d'hydrogène. Ce liquide synthétique permettrait de réutiliser des moteurs thermiques. Certains constructeurs allemands aimeraient bien suivre cette voie. En imposant le tout-électrique aujourd'hui, on est en train de l'abandonner. Or nous aurons besoin de développer cette voie du fioul synthétique si nous voulons décarboner l'aérien, par exemple.
Dans l'aérien, en effet, compte tenu du problème de stockage, les carburants devront être liquides. L'avion à hydrogène ou à batterie électrique aura un rayon relativement limité. Si l'on veut des avions qui, comme aujourd'hui, permettent de traverser l'Atlantique, il faudra un liquide. Si ce n'est pas du pétrole, ce sera ce qu'on appelle des carburants aériens durables. Je vous invite à avoir en tête un exercice théorique : si l'on transformait tous les déchets à l'échelle de la planète contenant des lipides, du gras, en carburant aérien durable, il ne serait possible de couvrir, en 2050, que la moitié des besoins des avions. Il faut inventer autre chose, probablement des fiouls synthétiques, et ces nouveaux carburants pourraient aussi être utiles pour la voiture.
L'autre conséquence liée au véhicule électrique est qu'il faut s'assurer que l'électricité qui l'anime est décarbonée. Si l'électricité continue d'être produite avec du charbon, comme c'est encore le cas dans certains pays européens, nous n'aurons pas réalisé un très grand progrès.
Il est donc urgent d'accélérer la décarbonation de l'électricité. Sinon, notre équation ne sera pas parfaite. Or ce n'est pas gagné, car cela demande un renforcement des réseaux électriques et des bornes de recharge, encore que ces dernières ne soient pas ce qui m'inquiète le plus. En toute honnêteté, cela me paraît même la partie la plus facile à mettre en œuvre. Pour autant, messieurs et mesdames les députés, il vous faudra régler le problème des copropriétés, car le véhicule électrique de demain sera rechargé comme l'iPhone, à 40 % à son domicile, à 40 % au bureau et à 20 % dans les stations et dans les rues.
C'est une révolution majeure pour notre réseau de stations-service. Qu'allons-nous en faire ? Nous conserverons, bien évidemment, le réseau sur les grands axes mais le réseau de proximité n'aura probablement que très peu d'utilité. Nous construirons sans doute des hub électriques. Nous sommes en train d'en construire quatre autour de Paris et de certaines grandes villes, qui seront essentiellement destinés à des professionnels, taxis et autres. Mais les particuliers vont devoir profondément changer de comportement et il y a une urgence à se préoccuper de ces questions qui ne sont plus du champ de compétence des distributeurs, notamment celle des copropriétés.
Je me suis éloigné de mon sujet, mais le véhicule électrique est un véritable défi, et un choix majeur.
Un autre défi est d'éviter d'instaurer une dépendance aux productions chinoises. Il reviendrait plutôt à Carlos Tavarès de vous l'expliquer mais la Chine a fait aujourd'hui le grand pari du véhicule électrique, et elle le produira moins cher. Il conviendra d'éviter de faire, sur ce véhicule électrique, ce que l'Union européenne a fait sur les panneaux solaires. L'Allemagne, notamment, a lancé une politique extrêmement proactive dans les années 2005-2010 en faveur de l'énergie solaire à l'échelle de la planète, qui a rencontré un grand succès. Simplement, nous n'avons pas construit l'industrie solaire qui allait avec le panneau solaire et elle est devenue chinoise à 90 %. Or, depuis l'année dernière, les prix montent et nous nous retrouvons, là aussi, face à un problème. Nous essayons, pour notre part, de diversifier nos sources d'approvisionnement en panneaux solaires en allant en chercher, par exemple, en Inde, et en promouvant d'autres ressources.
Je n'ai pas répondu à toutes vos questions mais voilà ce que je peux décrire en introduction, pour planter le décor. Je suis prêt à répondre à vos questions.