Il existe une petite méprise concernant le terme « économie circulaire ». En effet, les atomes sont recyclables mais l'énergie ne l'est jamais. Récupérer des atomes dans un polymère en vue d'en refaire un autre vous demandera quand même de l'énergie. L'économie circulaire peut être une solution partielle ou importante à des questions de disponibilité en matière et en ressource. Toutefois, même l'économie circulaire va toujours avec la disponibilité d'une source énergétique. Dans certains cas de figure, l'énergie du recyclage n'est pas considérablement inférieure à l'énergie de la production de matière primaire. Le papier est un exemple bien connu. Désencrer le papier étant très énergivore, recycler du papier permet assurément d'éviter de s'approvisionner en fibres de bois vierge mais ne permet pas de gagner beaucoup sur un plan strictement énergétique.
Des métaux, peu alliés comme le cuivre, se recyclent facilement tandis que d'autres métaux, alliés comme le manganèse, se recyclent beaucoup plus difficilement. Un certain nombre de petits métaux, appelés les terres rares, sont dilués à des concentrations beaucoup trop faibles pour qu'il soit facile de les récupérer dans les objets dans lesquels ils sont. Il est possible de le faire, mais cela engendrerait des dépenses énergétiques extrêmement importantes, éventuellement supérieures à la dépense énergétique d'extraction de la croûte terrestre. Il n'existe donc pas de réponse unique à la question que vous posez et il faut regarder en fonction du métal. Souvent, pour les métaux onéreux et disponibles quelque part sous une forme un peu pure, les opérations de recyclage ont déjà lieu. Par exemple, lors des chutes dans l'usinage, les métaux sont la plupart du temps recyclés. De même, les carcasses de voitures sont facilement recyclées. En revanche, il est plus difficile de récupérer d'autres métaux ainsi que d'autres ressources, comme certains plastiques. Lorsqu'un plastique est vieux, il peut avoir été un peu fatigué par le rayonnement ultraviolet et ne peut pas être reproduit à l'identique de son usage initial. Bien évidemment, lorsque nous pouvons gagner quelque chose, il faut le faire.
L'acceptabilité des STEP est faible, comme toujours lorsque vous avez l'intention de construire quelque chose quelque part. Nous devrions nous mettre d'accord sur l'idée, difficile à installer dans le débat politique, que les temps qui viennent ne se prêteront à aucune solution parfaite et qu'il faudra accepter, de façon un peu partagée, l'idée que nous nous faisons collectivement du plus faible inconvénient. Ce sera toujours au détriment des gens localement concernés par ce plus faible inconvénient. Si nous décidons que ce dernier est de faire des STEP, des personnes habitant à l'endroit du projet s'y opposeront. Le droit a prévu depuis très longtemps la possibilité de réaliser des procédures d'expropriation. Toute la question est de savoir, collectivement, où nous mettons le moins de douleur pour le plus de bénéfices au profit de la collectivité. Il existe le même problème avec n'importe quelle installation nécessitant de couler du béton quelque part.
Parvenir à installer la sobriété va avec le fait que le cadre physique dans lequel nous devons raisonner à partir de maintenant ne nous laisse plus toutes les options. Il est désagréable d'accepter l'idée que nous ne disposerons plus de certains degrés de liberté physique dont nous disposions, comme la possibilité de parcourir 2 000 kilomètres en avion pour quelques heures de salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic).
Cette acceptation sera compliquée et doit nécessairement s'accompagner d'équité. Un petit débat a eu lieu sur la question des jets privés, qui ne sont pourtant pas cruciaux dans les émissions ou la consommation de carburants du pays. En revanche, les jets privés sont très emblématiques d'un luxe ostentatoire insupportable pour des personnes qui devront effectuer des efforts sur des gestes unitairement beaucoup plus modestes.
La question de la sobriété est fondamentalement associée à la question de la maitrise de son propre destin et à l'idée d'un arbitrage entre moins de libertés aujourd'hui pour plus de libertés plus tard. Combien sommes-nous prêts à payer aujourd'hui, en kilomètres en voiture non effectués, pour continuer à vivre en démocratie dans vingt ans ? Ce type de débat doit aussi être installé dans la population. Or il n'est pas simple d'illustrer ce que pourrait être le monde, dans de mauvais cas de figure, dans vingt ans. Nous sommes clairement dans une discipline un peu nouvelle, que j'appelle parfois la hiérarchie des renoncements, que nous devrons apprendre. À quoi sommes-nous prêts à renoncer ? Qu'avons-nous envie d'avoir en face ? Gagnons-nous de l'espoir, de la sérénité, de la sécurité ou un autre élément ayant une valeur importante pour les individus, à défaut d'avoir une valeur économique ? Il n'existe pas de réponse miracle. Il est donc clair que nous tâtonnerons probablement un peu, mais il me semble qu'il est important de déplacer le débat sur la juste répartition de l'effort et le fait de tenir un discours adulte à la population sur le cadre physique dans lequel nous serons obligés de réfléchir.
Concernant l'aménagement du territoire, je vous renvoie aux Stratégies de résilience des territoires, rédigées par le Shift Project. Là encore, il faut déconcentrer en partie l'initiative face aux problèmes, mais il faut la déconcentrer de manière intelligente, en mettant les personnes en mesure de comprendre. Comme pour les députés, qui n'ont pas été très assidus à la séance de formation, cela passe aussi pour les élus locaux par le fait de comprendre la situation, où sont leur marge de manœuvre et où est-ce qu'ils doivent être fatalistes, parce qu'ils se retrouveront face à plus fort qu'eux et qu'ils devront composer avec une évolution inévitable.
La première recommandation des Stratégies de résilience des territoires était de consacrer 1 % du budget des communes à l'acquisition de connaissances, avec de la formation (des élus ou des agents) ou des études ad hoc permettant de comprendre la situation de départ, avec les forces et les faiblesses ainsi que la façon de confronter le territoire à l'objectif national de se passer progressivement des hydrocarbures (sous contrainte de métaux, d'espaces, de biomasses et de biodiversité).
Je n'ai pas de réponse à vous apporter sur la question du salaire universel. En France, avec les systèmes de solidarité que nous avons, nous sommes plus proches de cette notion que d'autres pays. Je n'ai pas les compétences pour savoir s'il faut aller plus loin que ces systèmes de solidarité et sous quelle forme.
Vous avez commencé par me dire que mes nombreux propos sur la sobriété ne sont pas assez visibles, puis vous m'avez traité de monomaniaque du nucléaire. Or si je parle beaucoup de la sobriété, je ne peux pas être un monomaniaque du nucléaire.