Intervention de Jean-Marc Jancovici

Réunion du mercredi 2 novembre 2022 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris :

Le trio de tête des énergies renouvelables utilisées dans le monde comme en France comprend la biomasse produite avec du bois — sous réserve de ce que j'ai dit en ouverture sur la déforestation —, l'hydroélectricité — c'est-à-dire l'exploitation des fleuves — et l'éolien.

Les perspectives sont assez différentes pour ces énergies renouvelables.

L'utilisation du bois est conditionnée par l'évolution de la forêt, qui sera mise à mal par le réchauffement climatique. À condition climatique stabilisée — c'est-à-dire si le réchauffement s'arrêtait —, 10 % de la forêt française mourra tout de même. Dans un monde se réchauffant de deux degrés, nous nous rapprochons plutôt de 40 ou 50 % des espèces actuelles, selon des simulations réalisées avec toutes les réserves que nous pouvons avoir et sachant que, ces dernières années, l'évolution a été plus négative que les simulations dont j'avais connaissance il y a dix ans.

Concernant l'hydroélectricité, nous connaitrons un stress hydrique qui nous desservira car les simulations au sujet du réchauffement climatique montrent globalement un assèchement sur le pourtour du bassin méditerranéen, et notamment dans les Alpes au sens large. Cet assèchement peut même s'étendre vers le nord puisque cette année, les réservoirs de barrages sont très mal remplis en Norvège. La sécheresse s'est donc étendue suffisamment au nord en Europe pour que la Norvège évoque même la possibilité d'exporter moins d'électricité que d'habitude, ce qui a provoqué de vives réactions au Danemark, qui a besoin des échanges avec la Norvège pour équilibrer l'intermittence de son parc éolien extrêmement développé. L'hydroélectricité ne peut pas être beaucoup plus développée en France. Avec la microhydraulique, nous pouvons faire des microproductions, mais, même en grand nombre, ces dernières ne changeront pas significativement la donne à l'échelle française.

Parmi les nouvelles énergies renouvelables, les deux contributions les plus utilisées sont les pompes à chaleur et l'éolien.

Concernant l'éolien, nous comptons l'énergie électrique qui sort d'une éolienne quand les pales sont mises en mouvement par la force du vent. L'avantage de l'éolien est qu'une fois construite, l'éolienne n'engendre pas d'émission. La limite est qu'il faut construire beaucoup d'éoliennes pour récupérer des quantités significatives d'électricité car l'éolien exploite une énergie relativement diffuse. Développer beaucoup de projets signifie que, pour chaque projet, des gens sont éventuellement capables de s'y opposer. Ensuite, le vent n'est pas toujours régulier en permanence alors que la puissance d'une éolienne dépend du cube du vent. Si la vitesse du vent est divisée par deux, la puissance électrique fournie est divisée par huit. À l'échelle de l'Europe, même avec l'interconnexion de toutes les éoliennes européennes, l'ensemble du parc éolien peut descendre à moins de 5 % de la puissance installée. Nous ne pouvons donc pas avoir un système purement éolien. En outre, même en ajoutant du solaire — qui est un peu contracyclique par rapport à l'éolien —, l'ensemble des deux ne permet toujours pas de garantir l'approvisionnement.

Ces énergies ont une limite en termes d'emplacements et de matériaux, car elles sont beaucoup plus intensives en métal que les modes centralisés que nous avons l'habitude d'utiliser jusqu'à maintenant. Ces limites sont plutôt physiques, a contrario des limites du nucléaire, qui sont plutôt liées aux compétences et au consensus. Je ne dis pas que la volonté humaine est une limite plus simple à franchir car elle peut au contraire être beaucoup plus compliquée.

Les pompes à chaleur exploitent le transfert d'énergie entre l'environnement et l'intérieur d'un logement ou l'intérieur d'une usine avec un cycle thermodynamique, qui a en général l'avantage d'avoir un rendement supérieur à 1 — c'est-à-dire que, pour un kilowattheure d'électricité que vous injectez dans la machine, vous transférez plusieurs kilowattheures de chaleur entre l'extérieur et l'intérieur d'un logement. Cette contribution commence à devenir significative mais cette énergie renouvelable a besoin d'électricité pour être mise en œuvre, ce qui constitue un peu un paradoxe. J'avais fait un petit calcul d'ordre de grandeur et déduit que, si on voulait remplacer l'ensemble du chauffage au gaz de France par des pompes à chaleur, après avoir préalablement isolé l'ensemble des bâtiments, il faudrait quand même trouver quelques dizaines de térawattheures d'électricité, ce qui est possible mais semble difficile.

Après l'éolien et les pompes à chaleur arrivent des contributions plus marginales telles que les agrocarburants, le solaire ou encore la géothermie.

La difficulté est qu'il n'y a aucune de ces énergies renouvelables pour lesquelles nous pouvons nous dire qu'il n'existe pas de problème à son expansion indéfinie.

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