Intervention de Jean-Marc Jancovici

Réunion du mercredi 2 novembre 2022 à 15h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Jean-Marc Jancovici, Professeur à Mines Paris :

Aucune de ces deux questions n'a une réponse simple.

Concernant l'exploitation des ressources, encore faudrait-il que nous en ayons. Le sol français n'a plus beaucoup de charbon et de minerais de fer. Je ne sais pas s'il a contenu des minerais de cuivre mais, le cas échéant, ils doivent être peu nombreux à ce jour. Certes, nous disposons de certaines ressources que nous pouvons exploiter mais il n'est pas du tout certain que nous ayons la possibilité d'exploiter certaines autres ressources.

S'agissant des ressources métalliques, il y a un cercle vicieux — ou, en tout cas, d'asservissement — entre l'énergie et les métaux car, avec le temps, la teneur en métal des minerais baisse, ce qui signifie qu'il faut de plus en plus d'énergie pour produire une tonne d'un métal donné. Par exemple, au début de l'exploitation minière des premières mines de cuivre exploitées dans le monde, et notamment dans la mine de Rio Tinto, le cuivre représentait entre 15 à 20 % en poids dans le minerai. Aujourd'hui, dans le minerai des mines exploitées dans le monde, la teneur moyenne en cuivre s'élève à 0,4 % en poids. Il existe un mouvement général de baisse de la teneur en métaux dans toutes les mines exploitées dans le monde. Une partie des mines françaises ont été abandonnées parce que la teneur devenait trop basse et que ces mines n'étaient pas rentables en comparaison avec d'autres gisements plus intéressants dans le monde.

Pour accéder aux métaux, de l'énergie est nécessaire. Or, les ressources que nous pouvons éventuellement trouver en France sont inévitablement conditionnées à la quantité d'énergie dont nous pouvons disposer pour accéder à ces métaux et, par ailleurs, à l'inventaire de départ. Nous resterons nécessairement dépendants, pour partie, d'éléments qui ne viennent pas de France. Au vu des quantités de cuivre impliquées dans le développement de tout ce qui est électrique, il est évident qu'en France, nous ne pouvons pas déployer quoi que ce soit de significatif comme mode renouvelable — ou même non renouvelable — et comme usage aval électrique sans importer du cuivre. Je ne sais pas si ce sera facile ou difficile.

Concernant le cuivre, une information a récemment été publiée par l'agence internationale de l'énergie (AIE), disant que les mines de cuivre en fonctionnement et en cours de développement dans le monde passeraient leur pic entre maintenant et dans deux ans. Or, pour que de nouveaux projets de mines voient le jour, il faut compter entre dix et quinze ans.

La création de scénarios crédibles est très compliquée. Au sein du Shift Project, nous avions modestement fait un discours de la méthode sur les scénarios électriques, qui nous a valu des dialogues très nourris et fructueux avec Réseau de transport électrique (RTE). Nous avions proposé un mode de réalisation des scénarios indiquant que, pour que le scénario soit complet et que le décideur arrive à s'y retrouver, il faut absolument prendre position sur un certain nombre de points et bien préciser ce qui constitue une donnée d'entrée et une donnée de sortie.

Presque tous les scénarios énergétiques partagent une faiblesse, à savoir de placer l'économie comme une donnée d'entrée. Or, de mon point de vue, l'économie est une donnée de sortie. En effet, c'est parce que nous avons des ressources que nous sommes capables d'avoir un système économique. S'il n'y avait pas d'atomes de fer sur Terre, il n'y aurait pas d'immeubles tels que nous les construisons aujourd'hui avec des armatures en fer. La disponibilité des ressources est donc un facteur limitant de la production économique. La croissance du PIB devrait être une donnée de sortie d'un modèle dans lequel les données d'entrée sont les ressources disponibles et le nombre de gens capables de travailler. Cette faiblesse est notamment partagée par le scénario de RTE.

Une autre faiblesse, partagée par beaucoup de scénarios économiques, est le fait de postuler que les prix d'aujourd'hui sont prédictifs de l'absence de limites sur les quantités de demain. Or, malheureusement, les prix d'hier ne sont absolument pas prédictifs des quantités de demain. Nous le constatons en ce moment avec le gaz, qui était peu onéreux il y a un an et demi, ce qui ne signifie pas du tout que nous aurons du gaz sans problème pour les trois hivers à venir.

La difficulté à désimbriquer l'économie de la partie strictement physique constitue une faiblesse partagée par tous les scénarios énergétiques. Les autres faiblesses sont un peu plus secondaires. Aucun des scénarios énergétiques envisagés aujourd'hui n'est résistant à la récession. Dans un monde dans lequel nos moyens physiques sont en décroissance, nous ne savons pas si le scénario énergétique est toujours réaliste. Ce qui est très étonnant est que même les scénarios de sobriété, tels que les scénarios Transition(s) 2050 de l'agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie (ADEME) qui viennent d'être publiés, contiennent de la croissance économique, ce qui témoigne d'une contradiction.

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