Je pense que nous ne réussirons pas à éviter la décroissance. Au vu des flux physiques, l'Europe connait déjà une décroissance depuis 2007 ou 2008, c'est-à-dire le moment du pic d'approvisionnement pétrolier. Un premier exemple est que le nombre de mètres carrés construits en Europe a atteint un pic en 2007, jamais atteint depuis. Un deuxième exemple est que la quantité de tonnes chargées dans les camions a été maximale en 2007. Mesurer la production industrielle — qui est mesurée en euros — avec une unité strictement physique telle que les tonnes ou les mètres cubes permettrait d'obtenir une réponse beaucoup plus claire.
En tant qu'élites urbaines préservées du système, vivant en ville loin des flux physiques, nous ne nous rendons pas compte que nous connaissons une décroissance. Nous ne sommes pas les premiers à nous rendre compte avec nos sens que nous vivons déjà une espèce de décrue larvée en Europe. Les Italiens, les Espagnols et les Portugais s'en rendent très bien compte.
Cette décrue va malheureusement s'accélérer car les combustibles fossiles, qui subissent eux-mêmes une décrue, jouent un rôle si central dans l'émergence de la civilisation dans laquelle nous vivons que cette décrue ne sera pas compensée par une autre forme d'énergie décarbonée dans les temps, compte tenu des ordres de grandeur qui sont en jeu. Les énergies décarbonées pourront jouer un rôle d'amortisseur — ce qui justifie l'intérêt de leur production — mais elles ne parviendront pas complètement à éviter une remise en cause car les combustibles fossiles sont absolument partout. Je ne crois pas à la possibilité de faire une civilisation telle que celle que nous connaissons actuellement sans combustible fossile.
En utilisant de moins en moins de combustibles fossiles, nous vivrons ce que nous appelons la décroissance, la contraction ou la sobriété, c'est-à-dire que nous devrons vivre avec moins de choses physiques. Il nous appartient que cette décroissance ne soit pas une catastrophe. Toutefois, je ne crois pas que nous y échapperons, pour des raisons physiques notamment.