Mme Givernet m'a interrogé sur les facteurs éclairant les prises de décisions politiques en matière énergétique. J'ai évoqué la lutte contre la pollution atmosphérique. Le grand smog de Londres de 1952 a été un véritable traumatisme. Au début du mois de décembre, le brouillard londonien se charge de poussières de charbon. On compte 5 000 à 6 000 morts en un seul week-end, et un total de 10 000 à 12 000 dans le mois suivant. Les ingénieurs, les médecins et les pouvoirs publics identifient cet événement comme un drame qui ne doit plus jamais se produire. La priorité est alors donnée à la lutte contre la pollution atmosphérique, à laquelle le nucléaire est présenté comme une solution, par des personnalités telles que Louis Armand, tout en fournissant également une réponse à la crise pétrolière de 1956.
Par la suite, les notions d'indépendance partielle et de préservation de la souveraineté se conçoivent aussi dans les usages et les besoins identifiés de la population. L'énergie est donc dotée d'un sens politique, et non plus seulement industriel ou économique.
Monsieur Falcon, le parti vert Die Grünen a effectivement un poids important en Allemagne. Toutefois, il faut également prendre en compte le tournant libéral de l'Europe. La première directive sur l'électricité coécrite en 1996 par la Commission et le Parlement avait une forte dimension sociale. Cette orientation se perd dans les directives suivantes. L'Allemagne s'affirme aussi comme leader d'un marché européen de l'électricité, et pas seulement en ce qui concerne les énergies renouvelables, qui est aussi une façon d'affaiblir EDF, érigé comme figure d'épouvantail par les industriels et responsables politiques allemands. La construction de l'Europe de l'énergie se fait donc contre les grandes structures étatiques. En raison de ces décisions allemandes, le choix a été fait en France de différer des décisions dans le nucléaire au début des années 2000.
Monsieur Laisney, une partie importante des mouvements écologistes se sont construits sur l'idée que le nucléaire était imposé aux populations dans les années 1970. Le nucléaire n'a, en fait, pas été plus imposé aux Français que le TGV ou que d'autres grandes infrastructures. Des débats ont lieu au Parlement. Les crédits ont fait l'objet de discussions et de votes. Ce qui explique l'incompréhensions des hauts fonctionnaires ou des chefs d'entreprise. La participation et l'adhésion des citoyens sont en tension dans les années 1970 : les tenants du nucléaire n'ont pas le sentiment de faire une œuvre antidémocratique, quand des associations revendiquent davantage d'expression et d'information. Il est vrai qu'une partie de ces choix n'ont pas fait l'objet de concertation avec les citoyens. Pour autant, ce programme n'était pas pensé comme antidémocratique au milieu des années 1970.
Enfin, il est certain que les hauts fonctionnaires et les responsables d'entreprises mettent du temps à s'emparer des participations politiques. Les citoyens sont alors représentés en tant que consommateurs. Ainsi, à partir de 1975, des rencontres régulières sont organisées avec les associations de consommateurs, mais elles portent sur des éléments de consommation, sur la facture et non sur le choix énergétique.