Monsieur Fiévet, si l'écologie est une préoccupation du quotidien, dans le cadre de nos engagements opérationnels ce qui compte est avant tout la réussite des opérations. En dehors de ces opérations, les aviateurs sont pleinement mobilisés, comme l'ensemble du ministère, notamment pour réduire les consommations de carburant. J'ai cité l'exemple du cursus de formation des pilotes de chasse, mais beaucoup d'autres illustrent notre engagement en ce sens sur les bases, au quotidien. À Tours, nous allons ainsi mettre en service une navette autonome électrique, qui va permettre au personnel de se déplacer sur la base. Il leur suffira de l'appeler avec leur téléphone pour qu'elle vienne les chercher. Ce moyen de transport collectif et non polluant nous permettra de faire des économies de carburant. Nous allons lancer l'expérimentation d'ici à la fin de l'année. Selon une démarche dite du bas vers le haut, les commandants de base nous font part des bonnes pratiques que tout le monde, à commencer par le militaire du rang, peut proposer et qui, une fois consolidées, peuvent être déployées massivement sur nos bases.
Pour ce qui est des biocarburants, ils ne représentent que 1 % de nos consommations en 2022, mais compteront pour 2 % en 2024 ; une augmentation progressive de leur utilisation est envisagée.
Je voudrais également évoquer le projet Euroglider, que nous développons en coopération avec l'Aedevv (Association européenne pour le développement du vol à voile) et l'école Isae-Supaéro. Il s'agit d'un planeur électrique que nous testons à Salon-de-Provence et sur lequel nous fondons de gros espoirs, notamment pour l'utiliser comme outil d'activité aéronautique à l'École de l'air et de l'espace dans les années à venir.
Rapace est un autre projet prometteur, mené au sein du Centre de recherche de l'École de l'air et de l'espace. Rapace est un drone qui fonctionne grâce à une pile à combustible. Les premiers essais sont attendus début 2023 et les perspectives sont assez encourageantes. Je suis ce projet de très près, car il nous donnerait une certaine avance quant à l'utilisation de ce genre de modèle.
L'engagement de la France sur le flanc est de l'Europe est un choix souverain. Il résulte dans sa mise en œuvre de travaux impliquant le commandement de l'Otan et l'armée de l'air et de l'espace. Nous veillons à ne pas user prématurément nos appareils, tout en prenant en compte les besoins exprimés par l'Otan. Concrètement, nous avons fait le choix, dans un premier temps, de maintenir les Rafale en métropole et de ne projeter que des Mirage 2000-5 à l'est de l'Europe. Pourquoi ? Parce qu'un avion envoyé à l'extérieur est utilisé à 100 % pour cette mission. C'est par conséquent un avion qui nous manque pour la formation de nos pilotes alors que, comme je l'ai rappelé en introduction, vingt-quatre de nos Rafale ont été cédés. Dès lors qu'on nous demande moins de douze sorties par semaine, je préfère faire décoller les avions depuis la métropole, plutôt que de les déployer à l'Est. En revanche, dans le cadre du renforcement du dispositif de l'Otan, nous déploierons quatre Rafale, pendant quatre mois.
L'Otan est en train de modifier sa posture permanente dans l'Est et assure désormais aussi des missions d'entraînement. Ces missions permettent d'entraîner les pilotes qui, au lieu de pratiquer en métropole, le feront dans l'est de l'Europe. Et nous ne perdrons plus de temps pour les déploiements.
À ce stade, je n'ai pas de préoccupation majeure ni sur l'usure du matériel ni sur la préparation opérationnelle des pilotes.
Monsieur Giletti, je suis d'accord avec vous quant au besoin d'augmenter nos stocks – au-delà du PLF pour 2023, cette dynamique doit se poursuivre dans la prochaine LPM – et de passer à une économie de guerre. Et il faut aussi, en effet, convaincre nos industriels qu'il est nécessaire de produire plus rapidement quand la situation l'exige. Sans doute devraient-ils avoir des stocks en propre. Peut-être aussi faudrait-il qu'ils acceptent de produire sans pour autant être sûrs de vendre instantanément. Certains matériels se prêtent probablement mieux que d'autres à une telle approche. Leurs fabricants savent que les productions seront vendues, sans pour autant savoir quand. Peut-être faut-il faire preuve d'un peu plus d'audace…
Il y a de toute façon un travail à mener en commun, dans le cadre de cette économie de guerre. C'est l'objet des réunions que nous avons en ce moment sous la présidence du ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, pour réduire les délais. Chaque chaîne de production doit être scrupuleusement étudiée afin de repérer les éventuels goulets d'étranglement qui ralentissent ou bloquent la production.
Pour ce qui est de l'impossibilité d'utiliser l'armement de nos partenaires et alliés, lancer des programmes en coopération est une solution. Grâce à cette option, il est possible de mutualiser des munitions identiques, qui peuvent être utilisées par différents appareils. Les deux premières voies sont évidemment très nationales, mais je crois que cette troisième n'est pas à négliger non plus, puisqu'elle autorise la constitution de stocks communs à plusieurs pays.
Monsieur Thiériot, la défense aérienne consiste à acquérir la supériorité aérienne et à dénier l'utilisation de l'espace aérien à un mobile dans la troisième dimension. Mais la défense aérienne, c'est aussi la défense sol-air, qui est affaire de nombre, et pas uniquement de qualité – comme dans tous les pays membres de l'Otan.
La LPM que nous sommes en train de construire doit nous permettre d'aller plus loin, en matière de défense sol-air comme pour la SEAD (Suppression of ennemy air defense). La Sead est une capacité que nous imaginions développer dans le cadre du Scaf (Système de combat aérien du futur). Compte tenu des leçons que l'on peut tirer de la guerre en Ukraine, j'ai demandé qu'on anticipe et qu'on retrouve plus rapidement cette fonction, que nous maîtrisions mais que l'on a abandonnée il y a quelques années.
S'agissant du FMTC (Future Medium-size Tactical Cargo), les choses avancent. Des études sont désormais lancées au niveau de l'Union européenne, puisque c'est un appareil que nous n'imaginons pas développer seuls. Pour nous, l'horizon se situe au début des années 2030, voire 2035. Il s'agit de remplacer les C-130H et les Casa 235 largement employés outre-mer.
Quant à l'hélicoptère lourd, nous avons vu ce qu'il pouvait nous apporter en Afrique ou sur des terrains d'opération similaires. Qu'en est-il sur d'autres théâtres ? Selon moi, mais ce n'est qu'un avis personnel, l'hélicoptère lourd n'est pas forcément une priorité.
Monsieur Bru, vous avez détaillé les priorités de la stratégie spatiale et les objectifs que l'on se fixe : utilisation du spatial en soutien des opérations ; surveillance de ce qui se passe dans l'espace ; défense spatiale. Nous prenons en compte toutes ces priorités dans le cadre du PLF pour 2023.
Pour en venir aux feux de forêt, l'armée de l'air et de l'espace a été essentiellement impliquée et très sollicitée dans la région de Cazaux. Il se trouve que notre brigade de pompiers de l'air est basée à Cazaux. Cette coïncidence a permis à nos pompiers de prendre une part active à la lutte contre les feux, d'autant qu'ils disposaient d'hélicoptères sur place. Organiser cela à l'échelle de la nation est, en revanche, plus compliqué à envisager. Cette lutte contre les incendies de forêt relève avant tout de la sécurité civile. Les forces armées ne sont que des acteurs complémentaires. Toutes nos bases aériennes ont des pompiers, donc nous ferons tout ce qui peut être fait si besoin est. D'ailleurs, chaque fois qu'un événement se déroule à proximité d'une de nos bases, nous n'hésitons pas à faire sortir nos pompiers.
Madame Santiago, vous avez évoqué le chiffre de 205 Rafale en 2030 (Armée de l'air et de l'espace et Marine Nationale). Je suis toujours très prudent avec les chiffres et je préfère vous donner rendez-vous à la fin des travaux sur la LPM. Mais, effectivement, l'ordre de grandeur est celui-là. Vous dites qu'avec 205 Rafale, la France serait la première puissance aérienne en Europe. Mais comment mesure-t-on cette puissance ? Doit-on se fier au nombre d'avions, à la capacité opérationnelle, à l'entraînement des pilotes ? Je préfère avoir une armée de l'air et de l'espace plus réduite mais cohérente, qui inclut des appareils opérationnels, des pilotes bien formés, entraînés et en nombre suffisant ainsi que des munitions. C'est au chef d'état-major des armées qu'il incombe de donner sa cohérence à cet ensemble, afin qu'il soit disponible et efficace quand on a besoin de lui.
Les munitions dont dispose l'armée de l'air et de l'espace sont-elles suffisantes ? Ce que je peux dire, c'est que les carences mentionnées dans de précédents rapports sont prises en compte, dans le cadre du PLF, mais doivent aussi – car il est impossible de les corriger en un an – être discutées dans le cadre de la prochaine LPM.
Monsieur Piquemal, je vous renvoie aux propos de M. Bru, qui a rappelé les trois grandes priorités de nos stratégies spatiales. Ce que vous avez évoqué – stations de communication, stations d'exploitation des images… – relève pour l'essentiel de la première, c'est-à-dire l'utilisation de l'espace sur les théâtres d'opérations.
La surveillance de l'espace, l'intervention et la défense de l'espace arriveront quant à elles au cours des prochaines années. Nous avons cependant déjà des solutions opérationnelles qui nous permettent de surveiller l'espace, notamment le système Graves (Grand réseau adapté à la veille spatiale), mais aussi des télescopes. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons une relation privilégiée avec les Américains : nous voyons dans l'espace des choses que beaucoup de nos partenaires ne voient pas.
Le démonstrateur Yoda (Yeux en orbite pour un démonstrateur agile) doit pour sa part nous permettre de faire la preuve, fin 2024 ou début 2025, de notre capacité à agir directement dans l'espace.
Nous venons en outre d'acquérir le supercalculateur qui nous permettra de réaliser des millions de milliards d'opérations par seconde, autant de calculs qui sont indispensables si l'on veut mener des opérations dans l'espace. Enfin, les travaux de construction du futur bâtiment du CDE, qui sera inauguré en 2025, vont prochainement débuter.
Comme vous pouvez le constater, au-delà des paroles, les ambitions de la France et de l'armée de l'air et de l'espace sont réelles. Vous verrez, dans les années à venir, des contributions concrètes, pour l'ensemble des priorités affichées.