Intervention de Général Stéphane Mille

Réunion du jeudi 13 octobre 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Stéphane Mille, chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace :

Le travail sur la LPM étant en cours, je ne pourrai peut-être pas répondre à toutes vos questions à ce sujet.

La France est une puissance aérienne et spatiale reconnue, car ses moyens aériens et spatiaux lui permettent d'agir sur l'ensemble du spectre des opérations militaires : depuis l'anticipation et la compétition, jusqu'à la contestation et, si besoin, l'affrontement. Elle est une puissance aérienne et spatiale complète, capable d'opérer dans les domaines conventionnel et nucléaire.

Elle est innovante et s'adapte en permanence, comme l'illustrent les missions Pegase ( projection d'un dispositif aérien d'envergure en Asie du Sud-Est), lancées en 2021 et consistant en un déploiement de forces en moins de quarante-huit heures, en complète autonomie, avec exécution de missions de combat à l'arrivée. Ces missions intègrent les dimensions spatiale et cyber et sont commandées depuis le Centre air de planification et de conduite des opérations (Capco), à Lyon. L'édition 2022, qui vient de s'achever, a marqué les esprits dans l'ensemble de l'Indo-Pacifique.

L'armée de l'air et de l'espace française est capable d'exploiter l'ensemble des qualités intrinsèques de l'arme aérienne, notamment la souplesse d'emploi, la puissance et l'allonge.

La France a édité sa stratégie spatiale militaire et créé le commandement de l'espace (CDE) en 2019, puis a transformé l'armée de l'air en armée de l'air et de l'espace en 2021. Dans le cadre de la montée en puissance du CDE, nous nous apprêtons à accueillir les premiers officiers du centre d'excellence espace de l'Otan dans les prochaines semaines. Pour plus de détails, je vous renvoie à ma vision stratégique, élaborée début 2022 mais qui conserve toute sa pertinence à la lumière des leçons tirées de la situation en Ukraine.

La France est enfin une puissance aérienne et spatiale industrielle. Cette industrie produit d'importants retours sur investissement pour l'emploi et les régions concernées. Elle garantit aussi au pays une certaine autonomie, particulièrement utile dans le contexte actuel.

En ce qui concerne le contexte géostratégique, notre environnement se durcit et les rivalités de puissance sont une réalité. L'évolution est la même dans tous les milieux – terre, air, mer, cyber, espace – et dans tous les champs de confrontation, dont la guerre informationnelle.

L'espace est en outre devenu un lieu de compétition stratégique. Les menaces gagnent ce milieu, alors que le nombre d'objets en orbite augmente significativement chaque année. Ainsi, 900 000 objets de plus d'un centimètre sont en orbite autour de la terre – satellites ou débris spatiaux. Certains de ces objets ont souvent des capacités duales.

Dans l'espace, les menaces se développent. En 2018, un satellite espion russe s'est approché d'un satellite européen. En novembre 2021, la Russie a effectué un tir Asat (missile antisatellite), après que la Chine a démontré la même capacité dès 2007. Fort de ces constats, j'ai demandé aux aviateurs, dans ma vision stratégique, d'être audacieux dans leurs choix pour moderniser l'armée de l'air et de l'espace, comme l'ont été leurs aînés, pionniers de l'aviation ; d'être agiles, ouverts et connectés, en restant attentifs aux aspirations de la société ; enfin, de se préparer aux combats les plus durs et de réfléchir aux besoins pour former l'aviateur de demain.

Depuis le 24 février 2022, la guerre en Ukraine fait rage. J'insisterai sur quelques points qui orientent nos travaux sur le PLF et sur la LPM.

Lors du déclenchement des hostilités de la Russie contre l'Ukraine, l'armée de l'air et de l'espace a projeté des Rafale en moins de six heures aux frontières orientales de l'OTAN. Ce tour de force a démontré que sa préparation opérationnelle lui permet de s'intégrer très rapidement dans un dispositif de l'Otan. Il confirme également que nos bases aériennes sont capables de monter en puissance dans un délai très bref. Il souligne enfin la cohérence de nos moyens – Rafale, Mirage 2000-5, MRTT (Multi Role Tanker Transport), E-3F, A400M, Samp-T que nous avons depuis projeté en Roumanie.

Un des enseignements majeurs de ce conflit, au-delà du retour des combats de haute intensité conventionnels aux portes de l'Europe, c'est la remise en lumière de la grammaire de la dissuasion nucléaire.

Autre constat : ceux qui croyaient que les seules forces matérielles suffisaient pour gagner avaient oublié le courage des hommes, la résilience collective des Ukrainiens et la solidarité stratégique au sein de l'OTAN et de l'UE.

Je retiens également que l'absence de supériorité aérienne a eu pour conséquence un retour au combat classique pour les forces au sol, avec la violence et l'attrition associées. Le général Brown, commandant de l'US Air Force, l'analyse de façon simple et un peu caricaturale en disant qu'en l'absence de maîtrise du ciel, la guerre reprend les caractéristiques de la première guerre mondiale, marquée par la prédominance de l'artillerie.

J'en viens à la présentation de l'armée de l'air et de l'espace. Elle apporte un avantage décisif à notre outil de défense. Elle est avant tout un moyen de défense et de protection de nos concitoyens, grâce à ses deux missions permanentes que sont la composante nucléaire aéroportée et la posture permanente de sûreté (PPS). Les forces aériennes stratégiques, qui tiennent la posture de dissuasion sans interruption depuis le 8 octobre 1964, jouent à cet égard un rôle essentiel de crédibilisation des forces nucléaires dans leur ensemble.

En ce sens, l'opération Poker, simulation d'un raid nucléaire d'envergure, est la manifestation la plus visible et la plus emblématique de la capacité de ces forces à s'entraîner pour accomplir leur mission nucléaire dans les environnements les plus hostiles. Cette opération est également un signe fort adressé à tout agresseur potentiel.

La posture permanente de sûreté aérienne (PPSA) est quant à elle exercée sous l'autorité de la Première ministre et placée sous la direction du commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes. Elle garantit la souveraineté nationale dans l'espace aérien français, en surveillant 15 000 mouvements aériens par jour, et assure la défense du territoire contre toute menace aérienne, terroriste ou étatique. Elle repose sur des moyens aériens, des centres de détection et de contrôle, un centre de commandement enterré et des règles d'engagement validées par la Première ministre.

À chaque instant, 400 aviateurs sont directement concernés par la PPS-A. Ils sont au service de la protection de notre territoire et de nos concitoyens. Pendant les huit premiers mois de l'année 2022, la PPS-A a donné lieu à 177 décollages sur alerte, dont 120 d'avions de chasse et 57 d'hélicoptères, à la suite de plus de 100 pertes de contact radio et de 150 violations d'espaces aériens interdits. Cela représente une augmentation de plus de 40 % des missions de police du ciel par rapport à l'année passée. Enfin, 36 opérations de recherche et de sauvetage ont permis de sauver 17 vies.

Outre ces deux missions fondamentales, l'armée de l'air et de l'espace est au service de notre politique extérieure. Elle l'a démontré depuis plusieurs décennies en Afghanistan ou sur le continent africain. Plus ponctuellement, elle l'a prouvé lors des opérations Hamilton, en Syrie, et Apagan, pour le rapatriement de nos ressortissants depuis Kaboul. Au cours des premières semaines de la guerre en Ukraine, elle a su maintenir deux patrouilles de combat dans les airs dix heures par jour sur le flanc oriental de l'Alliance atlantique.

L'armée de l'air et de l'espace est aussi un outil de crédibilité et de solidarité stratégique. Grâce à elle, la France peut être nation-cadre d'une coalition. C'est le cas, par exemple, avec la NRF, la Nato Response Force (Force de réaction de l'Otan), au sein de laquelle l'armée de l'air et de l'espace peut être amenée à conduire des opérations aériennes d'un volume de 200 sorties par jour, avec une centaine d'aéronefs de tous types et de toutes nationalités, au profit de l'Otan et sous commandement du Capco. La modernisation en cours de ses moyens, notamment le triptyque Rafale-A 400M-MRTT employé lors des missions de projection de puissance Pegase et Heifara, contribue à cette crédibilité. Ces capacités renforcent la solidarité stratégique.

En somme, vous pouvez avoir confiance dans l'outil de combat que nous mettons en œuvre au service des intérêts des Français. Mais, comme le rappelait le général de Gaulle : « rien ne dure qui ne se renouvelle constamment ». L'environnement stratégique évoluant, il exige que nous nous renouvelions pour faire mieux encore.

L'effort consenti dans le PLF pour 2023 va précisément dans ce sens et accompagne cette adaptation indispensable. En ce qui concerne les ressources humaines, tout d'abord, nous avons besoin d'aviateurs de haut niveau pour faire face à une conflictualité qui s'intensifie et se complexifie chaque jour davantage. En parallèle, les succès de la BITD (base industrielle et technologique de défense) créent un appel de spécialistes. L'enjeu pour l'armée de l'air et de l'espace est donc d'attirer et de fidéliser les aviateurs.

Le PLF pour 2023 apporte à cet objectif un soutien significatif, grâce à un budget de 135 millions d'euros pour la sous-action Ressources humaines des forces aériennes, soit une augmentation de 10 %. Ce budget permettra une politique volontariste de recrutement, ainsi que le financement des actions de formation, d'instruction et d'activité. Sur les 1 500 postes créés dans l'armée, 349 le seront dans l'armée de l'air et de l'espace. Ils concerneront pour l'essentiel les priorités globales du ministère, le renseignement en particulier. Ils permettront aussi d'accompagner la montée en puissance des nouvelles flottes d'A400M et de MRTT, en créant des postes dans le domaine du MCO (maintien en condition opérationnelle) aéronautique.

Les forces morales, un élément de toute première importance, sont consolidées dans le PLF grâce notamment aux efforts faits sur la NPRM (nouvelle politique de rémunération des militaires), mais aussi l'activité et les équipements.

L'activité chasse revêt un intérêt particulier dans le contexte des limitations imposées par le prélèvement des Rafale destinés à la Grèce et à la Croatie. Le PLF ne prévoit pour l'entraînement des pilotes de l'aviation de chasse qu'environ 150 heures de vol par personne et par an, puisque les livraisons de Rafale à la France reprendront dès décembre 2022, avant une remontée progressive en 2024 et 2025. Treize appareils vont nous être livrés en 2023, mais dix nous seront parallèlement retirés. Les prélèvements d'avions seront donc compensés par les livraisons et nous devrions assister à une remontée progressive du nombre de Rafale disponibles.

Outre ces treize Rafale au standard F3-R, le PLF pour 2023 permettra la livraison de trois avions ravitailleurs MRTT, de deux avions de transport A400M Atlas et de neuf avions d'entraînement Pilatus PC-21. Nous réceptionnerons également treize avions de chasse Mirage 2000D rénovés et un satellite de télécommunication Syracuse 4, qui devrait être envoyé au début de l'année 2023. Nous réceptionnerons également 37 stations tactiques satellitaires.

Lorsque l'on parle de spatial, on parle de gros satellites, comme le Syracuse, mais aussi de location de services, pour laquelle les crédits doublent par rapport à la loi de finances de l'année 2022, pour s'établir à 51 millions d'euros. C'est bien la location de services qui nous permettra en effet d'atteindre l'objectif d'avoir un taux de rafraîchissement élevé des données pour suivre l'évolution d'une situation, en complément de nos moyens souverains

Pour ce qui est des commandes, le PLF pour 2023 formalise celle de quarante-deux Rafale, c'est-à-dire les trente appareils prévus dans le cadre de la LPM, auxquels s'ajoutent les douze qui viendront remplacer ceux cédés à la Croatie. L'effort portera également sur la remontée des stocks de munitions. Nous commanderons ainsi des missiles air-air, des Hellfire et des obus, et nous recevrons la livraison d'un lot de missiles Scalp (système de croisière conventionnel autonome à longue portée) rénovés et des missiles air-air Mica (missile d'interception, de combat et d'autodéfense).

L'exercice budgétaire 2023 renforcera d'autres projets structurants, qui garantissent la cohérence de l'ensemble. Il s'agit de moyens de lutte antidrones, essentiels dans la perspective des Jeux olympiques de Paris en 2024, mais aussi de la modernisation des moyens de formation. À ce sujet, je voudrais insister plus particulièrement sur les neuf Pilatus PC-21, qui seront livrés cette année dans le cadre du projet Mentor. Le basculement de la formation des pilotes de chasse sur cet appareil va nous permettre de gagner quasiment une année sur un cursus complet, tout en nous faisant économiser 70 % de carburant. Si les économies d'énergie ne peuvent pas être au centre de nos préoccupations lorsque nous sommes en opération, elles sont en revanche prises en compte sur nos bases aériennes dans l'emploi de nos moyens au quotidien et concernant tout ce qui peut faire l'objet d'optimisations.

Le PLF pour 2023 cible enfin la construction et l'amélioration d'infrastructures technico-opérationnelles importantes pour nos bases aériennes. À Toulouse, par exemple, l'objectif est de disposer des bâtiments définitifs qui, à l'horizon 2025, accueilleront le CDE et le centre d'excellence espace de l'Otan. Des travaux de construction significatifs seront également menés à Évreux, pour préparer l'arrivée de l'escadron Poitou, et à Cognac, pour accueillir les PC-21.

Nos aviateurs ont également de grandes attentes dans le domaine de l'hébergement. Plusieurs chantiers importants débuteront ou se termineront en 2023. La construction de 200 places d'hébergement, sur notre site-école de Rochefort, débutera également en 2023. À Istres, un bâtiment de 50 places sera livré et permettra d'accompagner la montée en puissance du hub des armées. Un autre bâtiment de 50 places sera achevé à Mont-de-Marsan en fin d'année.

Les investissements dans l'armée de l'air de l'espace sont justifiés et bien utilisés. Ils servent les intérêts des Français dans un monde plus incertain. Vous êtes toutes et tous les bienvenus sur nos bases aériennes comme dans nos états-majors, où vous pourrez rencontrer les aviateurs et, ainsi, mieux comprendre leur mission et les enjeux du moment. Vous pourrez apprécier l'engagement, la passion et le professionnalisme dont ils font preuve au quotidien.

Pour l'armée de l'air et de l'espace, l'année qui s'achève a été marquée par trois événements principaux. La guerre en Ukraine, d'abord ; l'opération Marne ensuite, au Mali, au cours de laquelle 35 % du transport aérien a été effectué par la flotte A400M ; la mission Pegase enfin.

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